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Les macroalgues sont des organismes pluricellulaires macroscopiques, autrement dit composés de plusieurs cellules et visibles à l’œil nu. Il en existe des brunes, des rouges, des vertes, des petites, des grandes, des géantes. « On en dénombre plus de 700 espèces, juste dans la Grève de Roscoff », précise Mirjam Czizek, biochimiste au Laboratoire de biologie intégrative des modèles marins (LBI2M) sous la tutelle du CNRS et de Sorbonne Université. Plutôt pratiques, ces échantillons de recherche à portée de main ! Si les macroalgues fascinent, c’est tout autant pour les connaissances fondamentales qu’elles apportent en biologie marine que pour les multiples applications qu’elles promettent. Naturellement impliquées dans la séquestration du carbone et le recyclage de la biomasse marine, elles se trouvent utiles à la plupart des grands défis du XXIe siècle reconnus par l’Organisation des nations unies (ONU) : la gestion des ressources aquatiques et l’adaptation au changement climatique, mais aussi la production d’énergie propre, le renouveau industriel, la sécurité alimentaire, la santé et le bien-être.
Légende : Culture d'individus de l'algue brune Ectocarpus fasciculatus. © D. Scorent / CNRS
Ectocarpus, premier modèle de macroalgue
« Vous l’avez sûrement déjà croisée », parie Mark Cock, directeur de l’équipe Génétique des algues au LBI2M. « Ectocarpus est une petite algue brune filamenteuse qui colonise les bouées et les coques de bateau. C’est la première macroalgue dont le génome a été entièrement séquencé. » Ce travail coordonné à Roscoff et publié en 2010 a considérablement ouvert la voie à la compréhension de la biologie de ces algues. Mais pourquoi Ectocarpus ? Le chercheur témoigne : « Lorsque je suis arrivé à la station il y a une vingtaine d’années, nous étions en quête d’un modèle de recherche fondamentale sur lequel il était possible d’appliquer les outils et méthodes de la génétique, un peu comme sur la mouche drosophile, pour analyser le comportement des gènes. Ectocarpus était un bon candidat. D’abord pour son cycle de vie maîtrisé, facilitant les expérimentations en laboratoire et la génération de mutants, mais aussi pour son petit format, permettant des études sur de larges populations. » L’équipe de Mark Cock travaille maintenant sur le séquençage du génome d’un ensemble de 46 espèces d’algues brunes dans le but de comprendre leur diversité et de retracer l’histoire de leur évolution. Le génome des algues rouges et vertes fait l’objet de travaux similaires, à Roscoff ou ailleurs, car si les trois macroalgues proviennent toutes du même ancêtre, unicellulaire, chacune s’est complexifiée à sa manière, au point de s’écarter sur l’arbre phylogénétique et de constituer trois groupes pluricellulaires à part entière.
Légende : Algue rouge Chondrus crispus sur les rochers au large de Roscoff. © J. Collén / CNRS Photothèque
Les macroalgues, une ressource d’avenir
Certaines sont comestibles, comme Saccharina latissima et les autres algues brunes du genre Laminaria. Aussi connues sous le nom de kombu et particulièrement riches en iode, elles sont les plus consommées au monde ! D’autres comme l’algue rouge Chondrus crispus, séquencée à Roscoff en 2013, produisent des carraghénanes, une forme de polysaccharides aux propriétés épaississantes et gélifiantes convoitées par l’industrie alimentaire et laitière pour les flans et les yaourts. Les polysaccharides souples comme l’alginate issus de la paroi des macroalgues brunes sont quant à eux valorisés dans le développement de dispositifs biotechnologiques ou médicaux, par exemple dans la fabrication d’implants pour réparer le cartilage ou l’impression de tissus en 3D. « Mais toutes ces propriétés ne sont pas seulement l’affaire des macroalgues » signale Philippe Potin, chercheur de l’équipe Biologie des algues et leurs interactions avec l’environnement au LBI2M. « Comme tous les organismes vivants, les algues vivent en étroite collaboration avec une cohorte de bactéries, virus et champignons, indispensables à leur survie et à l’expression de leurs fonctions. Cette association entre un organisme pluricellulaire et tous ses microbes est qualifiée d’holobionte. » Le microbiote tire parti du métabolisme des algues et contribue en retour à leur développement, leur croissance, leur reproduction, leur tolérance aux stress et leur adaptation au changement climatique qui impacte des paramètres tels que la température, le pH ou la salinité des eaux. « Nous caractérisons le microbiote des algues dans les moindres détails, non seulement pour connaitre les équilibres mis en jeu dans la nature et faire le parallèle avec les espèces animales, dont l’Homme, mais également pour savoir quelles interactions et quelles souches favoriser pour produire des molécules bioactives à forte valeur ajoutée, augmenter la performance et la résistance des cultures... » Ce type d’approches au croisement de la biologie, de la chimie et des mathématiques repose sur des outils de génétique, de métabolomique, de biochimie, d’analyse statistique et de modélisation, permettant de formuler de nouvelles hypothèses puis de les tester d’un point de vue expérimental.
Légende : Culture d’algues brunes Saccharina latissima, le kombu royal, dans l'estuaire de la Rance près de Saint Malo. © C-Weed Aquaculture
Molécules et interactions à la loupe
L’équipe Glycobiologie marine dirigée par Mirjam Czizek au LBI2M s’intéresse spécifiquement aux polysaccharides et aux voies enzymatiques responsables de leur biosynthèse dans la paroi des algues. « Etonnement, même si les algues ressemblent à des végétaux, leurs polysaccharides ne trouvent pas d’équivalents chez les plantes terrestres. Ils sont beaucoup plus proches de ceux retrouvés chez les animaux », confie la chercheuse. Elle étudie aussi l’activité des microorganismes à la surface des algues, car elles ont développé tout un arsenal d’outils enzymatiques pour dégrader et assimiler les polysaccharides contenus dans les parois. « Grâce à ces enzymes bactériennes, les industriels disposent de modes d’extraction plus verts pour récupérer les polysaccharides d’intérêt dans les macroalgues. Mais au-delà, nous cherchons à leur apporter des solutions pour valoriser les déchets de leurs procédés d’extraction. » Ces déchets sont riches en oligosaccharides, des petits morceaux de polysaccharides qui n’ont pas de propriétés épaississantes ou gélifiantes, mais qui ont néanmoins des activités potentiellement intéressantes. « Chez les algues, il existe un équilibre subtil entre l’hôte et le microbiote : les bactéries ne dégradent pas les polysaccharides des parois lorsque les végétaux sont en vie, car les oligosaccharides produits provoqueraient une réponse immunitaire compromettant leur survie. C’est exactement pour cette raison que ces petites molécules présentent des avantages : elles stimulent le système inflammatoire et immunitaire, motivant des applications en cosmétique (cicatrisation, antivieillissement) et nutraceutique (composés nutritifs stimulant la défense immunitaire). » Mais pour tirer profit de tout le potentiel offert par les macroalgues, il reste bien entendu des efforts de recherche à fournir et des méthodes de culture efficaces à trouver, car l’étendue de la ressource en France et en Europe est encore trop limitée pour être exploitée à grande échelle.
Légende : Algue verte Ulva lacinulata cultivée en masse dans les bassins de France Haliotis à Plouguerneau. Appelée « laitue de mer », cette algue est comestible. Mais lorsqu’elle prolifère, elle créé des marées vertes épaisses envahissant les plages. Coincées dans des poches privées d’oxygène entre les couches d’algues, certaines bactéries provoquent alors la décomposition de l’algue et la libération d’un gaz toxique, le sulfure d’hydrogène. © L. Zakrewski / UBO / IUEM Brest