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Serge Lallemand, chercheur de failles

Serge Lallemand, chercheur de failles

17.03.2014, par
Serge Lallemand, géologue
Le géologue Serge Lallemand a reçu la médaille d’argent du CNRS en 2013.
Tombé dans les sciences de la Terre par hasard, Serge Lallemand est aujourd’hui un expert mondial de la tectonique des plaques. Rencontre avec un passionné, qui consacre depuis vingt ans ses recherches à l'Asie.

Une calligraphie chinoise trône au-dessus de la table, des grandes cartes colorées du Pacifique illuminent les murs, une photo d’un navire d’exploration océanographique lance un appel au large… Bienvenue chez Serge Lallemand ! Perché au quatrième étage de la tentaculaire faculté des sciences de Montpellier, le bureau du spécialiste mondial de la tectonique des plaques en Asie invite à découvrir un monde mystérieux : les abysses. Le ton posé et le regard accroché à celui de son interlocuteur, le directeur de recherche au Laboratoire Géosciences de Montpellier1 veille à ce que le néophyte n’en perde pas une miette. Les heures d’enseignement n’y sont pas étrangères, mais il tient surtout à partager sa passion pour cette Terre qui n’en finit pas de le surprendre.

Explorateur dans l’âme

Lyonnais d’origine, Serge Lallemand espérait d’abord devenir vétérinaire ou agronome. « J’étais plus intéressé par le vivant que par le minéral », dit-il. C’est finalement l’École supérieure de l’énergie et des matériaux à Orléans qui l’initie aux sciences de la Terre. Nous sommes en 1981, la tectonique des plaques a été mise en lumière à peine quinze ans plus tôt. Une vraie révolution dans le monde de la géologie. D’une vision dite fixiste, qui considère que les plaques sont immobiles à la surface de la Terre, les chercheurs passent à une vision mobiliste. Les paysages, le relief et la formation des continents s’expliquent donc par leur mouvement. « Un champ de recherche immense s’ouvrait », s’enthousiasme-t-il encore. Restait à le prouver… Il choisit de s’intéresser au phénomène de subduction, à savoir la zone où une plaque, souvent océanique, glisse sous une autre plaque. Y sont associés séismes, volcanisme et autres caprices de la croûte terrestre.

En moins de dix
ans, le monde
a connu les plus
gros séismes
des cinquante dernières années.

Durant cette période d’ébullition scientifique, son professeur à Orléans, Jean-Paul Cadet, participe aux grandes explorations de forage océanique qui se déroulent autour du Japon. « Ses cours s’inspiraient de ses découvertes aux confins de l’Asie. Je me suis dit que j’aimerais bien avoir cette vie-là », confie Serge Lallemand. Lors d’un stage à l’Ifremer, à Brest, il réalise sa première mission dans l’Atlantique Nord, malgré le mal de mer… « Je pensais à tout ce que l’on découvrait », se souvient-il. À bord, la personnalité haute en couleurs de son maître de stage, Jean-Claude Sibuet, confirme à l’étudiant qu’il veut appartenir à ce monde. « Il m’encourageait à publier, c’était une chance. En plus, nous explorions des fonds inconnus », raconte-t-il.

Le hasard fait bien les choses : au moment même où Serge Lallemand doit accomplir son service militaire, on lui propose de rédiger une thèse sur la fosse du Japon. Il n’hésite donc pas longtemps avant de s’envoler pour dix-huit mois au pays du Soleil-Levant. Il embarque sur l’expédition Kaiko, une grande mission d’exploration des fonds marins autour de l’archipel.

Serge Lallemand à bord du Nautile, au Japon.
Le géologue à bord du Nautile lors de la mission Kaiko, au Japon, en 1985.
Serge Lallemand à bord du Nautile, au Japon.
Le géologue à bord du Nautile lors de la mission Kaiko, au Japon, en 1985.

Une théorie défendue bec et ongles

Touchés régulièrement par des séismes, les Japonais s’intéressent depuis longtemps à leur mécanique. « Nous pensions que le Japon était une région modèle, que c’était la zone de subduction type », explique-t-il. Les grands géologues français s’y pressent. Parmi eux, Xavier Le Pichon, un des pionniers de la théorie de la tectonique des plaques, le premier à proposer un modèle global de dérive des continents. Dans la carrière de Serge Lallemand, il comptera parmi ces mentors qui marquent une vie. Un chercheur « très exigeant, qui nous amenait à nous surpasser », précise-t-il.

De recherches en colloques, Serge Lallemand rencontre ensuite Roland von Huene, un chercheur américain qui l’initie à l’érosion tectonique. Cette théorie affirme que, lorsqu’elle s’enfonce, la plaque inférieure arrache des pans entiers de roche à la plaque supérieure. Elle implique notamment que le bord de la plaque japonaise se soit consumé d’environ 1 centimètre par an pendant 23 millions d’années, soit un rétrécissement de près de 200 kilomètres ! « Nous avons défendu cette théorie bec et ongles. Maintenant, elle est enseignée partout », se félicite-t-il. Ce projet de recherche lui permet d’entrer au CNRS en 1988. Depuis, un remède au mal de mer a été trouvé et les campagnes s’enchaînent : Nouvelles-Hébrides, Nouvelle-Zélande, Philippines, Antilles… C’est finalement à Montpellier que le géologue pose ses valises avec sa famille en 1992. « Pour nous, c’était un vrai bol d’air », dit ce père de trois enfants qui passe ses week-ends sur les sentiers de VTT du Languedoc.

Serge Lallemand commence alors à travailler à Taïwan. « L’île, à cheval sur une limite de plaques imbriquées, est un concentré de déformations tectoniques actives. Comme si cela ne suffisait pas, c’est aussi l’endroit du globe balayé par le plus grand nombre de typhons. Du coup, séismes, inondations et glissements de terrain se succèdent à un rythme inégalé. À l’échelle d’une vie, on peut scruter de nombreux phénomènes, c’est un lieu d’observation idéal », explique le chercheur.

Comprendre les événements extrêmes

Le géologue Serge Lallemand au cours de la mission AntiTheSis.
Serge Lallemand (à gauche), à bord du « Pourquoi pas », au large des Antilles, participe à la campagne AntiTheSis, dédiée à la mesure des flux de chaleur, qui s’est déroulée du 24 décembre 2013 au 8 janvier 2014.
Le géologue Serge Lallemand au cours de la mission AntiTheSis.
Serge Lallemand (à gauche), à bord du « Pourquoi pas », au large des Antilles, participe à la campagne AntiTheSis, dédiée à la mesure des flux de chaleur, qui s’est déroulée du 24 décembre 2013 au 8 janvier 2014.

Depuis vingt ans, il y a mené une quinzaine de campagnes d’étude des fonds, a encadré huit thèses et vient de terminer une campagne de carottage pour étudier les séismes anciens. Un projet de recensement des paléo-séismes qu’il voudrait plus ambitieux, mais mobiliser les moyens en mer adéquats n’est pas chose aisée dans cette région. Indonésie, Chili, Japon… « En moins de dix ans, le monde a connu les plus gros séismes des cinquante dernières années », constate-t-il.

La fosse qui a cassé en mars 2011, provoquant la catastrophe de Fukushima, est justement celle sur laquelle il a écrit sa thèse. « Nous avons tous été surpris par l’ampleur du séisme. Comme la plupart de mes collègues, je me suis demandé ce qui nous avait échappé », dit-il. Les spécialistes planchent depuis sur de nouveaux scénarios.

Quant à Serge Lallemand, qui s’est vu décerner la médaille d’argent du CNRS fin 2013, il porte actuellement un projet de laboratoire international à Taïwan sur l’étude des événements extrêmes. Regroupant des climatologues, des océanographes, des géologues, des sismologues et des hydrologues, il vise à analyser les interactions entre les séismes, les typhons et les glissements de terrains. Le but ? Comprendre, pour ne plus se laisser surprendre.

Notes
  • 1. Unité CNRS/UM2.
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Auteur

Marine Veith

Journaliste scientifique

À lire / À voir

 La Subduction océanique, Serge Lallemand, Éditions scientifiques GB, 2001

Convergence lithosphérique, Serge Lallemand, Philippe Huchon, Laurent Jolivet et Gaëlle Prouteau, Vuibert, coll. « Enseigner les sciences de la Terre », 2005

 

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