Logo du CNRS Le Journal Logo de CSA Research

Grande enquête « CNRS Le Journal »

Votre avis nous intéresse.

Le CNRS a mandaté l’institut CSA pour réaliser une enquête de satisfaction auprès de ses lecteurs.

Répondre à cette enquête ne vous prendra que quelques minutes.

Un grand merci pour votre participation !

Grande enquête « CNRS Le Journal »

Sections

Thomas Ebbesen, médaille d’or 2019 du CNRS

Thomas Ebbesen, médaille d’or 2019 du CNRS

03.07.2019, par
Thomas Ebbesen
Le physico-chimiste Thomas Ebbesen sur le campus de l’université de Strasbourg, où il mène ses recherches.
Le 3 juillet, la médaille d’or du CNRS a été attribuée à Thomas Ebbesen. Portrait de ce grand spécialiste de la lumière au parcours exceptionnel.

Thomas Ebbesen, aujourd’hui directeur du Centre international de recherche en chimie (ICFRC) et de l’Institut d’études avancées de l’université de Strasbourg (USIAS), est donc le lauréat 2019 de la médaille d’or du CNRS (voir le communiqué de presse ici). Ce portrait, intitulé « Thomas Ebbesen, chercheur de lumière » a été publié dans sa version initiale en janvier 2015, quelques semaines après la remise au chercheur du prix Kavli, la récompense la plus importante pour les nanosciences.

« Tenter de planifier des découvertes est un non-sens. Toute vraie découverte est faite par accident, dans le cadre de la recherche, c'est-à-dire dans l'exploration de l'inconnu. » Le Franco-Norvégien Thomas Ebbesen, administrateur de l’Institut d’études avancées de Strasbourg (Usias), est l’illustration parfaite de ce qu’il avance. En septembre 2014, ce physico-chimiste à l’allure élégante a reçu le prestigieux prix Kavli, catégorie « nanosciences », pour avoir mis en évidence, de manière toute à fait fortuite, des propriétés de la lumière jusqu’alors insoupçonnées.

Avant ce jour chanceux de 1989 qui le mènera à une découverte majeure, Thomas Ebbesen a bourlingué. Né en 1954, fils d’une artiste peintre et d’un officier de la Norwegian Air Force, il grandit en Norvège dans un environnement familial paisible. En 1960, le père étant muté à la délégation norvégienne de l’Otan, toute la famille déménage à Paris. Excepté un séjour de dix-huit mois à Bruxelles, il vivra dans la capitale jusqu’à l’obtention de son baccalauréat en maths et en physique, en 1972. Puis, après une année passée à sillonner la planète à bord d’un cargo norvégien pour « prendre l’air », il choisit d’intégrer, parmi les universités américaines auxquelles il s’est vu admis, le Collège Oberlin (Ohio). « Le meilleur choix de toute ma vie », se félicite-t-il. Et pour cause : là-bas, il se prend de passion pour la physique-chimie, développe son âme d’artiste, notamment en créant une coopérative de photographie, et rencontre sa femme, avec laquelle il partage toujours sa vie : la pianiste japonaise Masako Hayashi.

Que la lumière soit !

Après son diplôme d’Oberlin, une thèse de doctorat sur la photosynthèse artificielle à l’université Pierre-et-Marie-Curie (Paris) et un post-doctorat au Notre Dame Radiation Laboratory (Indiana), sa carrière le mène à l’université Tsukuba, au Japon, où il est rapidement recruté par la société privée NEC qui cherche alors de jeunes talents pour son laboratoire de recherche fondamentale. « Les conditions de travail étaient extraordinaires, se souvient Thomas Ebbesen, le visage constamment animé d’un sourire. Nous jouissions chez NEC des gros moyens financiers du privé, mais avions une grande liberté, comme si nous étions dans un institut public. Nous pouvions y mener absolument toutes les recherches que nous souhaitions. »

Un jour de 1989, il tombe sur un article du physicien Serge Haroche (Prix Nobel 2012) décrivant l’électro-dynamique quantique en cavité. Puisqu’il est « curieux comme un enfant », comme nous a confié son épouse, il décide de mener lui-même une expérience sur le sujet et demande à un collègue de lui confectionner des nano-éprouvettes. Comprenez : une microscopique plaque de métal percée d’un réseau de trous de chacun 300 nanomètres de diamètre espacés régulièrement, le tout assemblé sur une plaque de verre.

Surprise immédiate : la lumière traverse le dispositif. Comment est-ce possible ? Les trous sont en effet plus petits que la longueur d’onde de la lumière visible. Les ondes de cette dernière, dont la longueur varie de 400 à 700 nanomètres (nm) du violet au rouge, devraient normalement se heurter aux trous de 300 nm et rester bloquées derrière la plaque. Interdit, tout comme ses collègues, qui restent sans voix, Thomas Ebbesen multiplie les vérifications, mais la lumière s’obstine à traverser la plaque. Plus troublant encore : elle semble traverser une aire trois fois plus grande que celle occupée par les trous, comme si elle parvenait à franchir le métal !

Huit ans pour percer le mystère

Huit années durant, le chercheur va s’évertuer à percer ce mystère, en même temps qu’il mène d’autres types de recherches au sein de NEC. Sans relâche. « J’avais suffisamment d’expérience pour savoir que je ne faisais pas d’erreur de manipulations, raconte-t-il. Par ailleurs, certains collègues, comme Shunji Kishida, n’ont eu de cesse de m’exhorter à continuer, à ne pas me décourager. »

Je dis toujours
à mes étudiants
qu’ils ont encore
bien des choses à
découvrir dont on
n’a pas la moindre
idée aujourd’hui.

Grand bien leur en a pris. Car, grâce à leur soutien et à l’entêtement de Thomas Ebbesen, le curieux phénomène est aujourd’hui bien compris : le réseau de trous se comporte en réalité comme une antenne. En effet, sur la surface conductrice – la plaque de métal –, les électrons libres se rassemblent aléatoirement en groupes appelés plasmons. Ces plasmons se calent sur le rythme du réseau, c’est-à-dire l’espacement entre les trous. On dit qu’ils entrent en résonance avec lui. Tout ce passe alors comme si ces plasmons formaient une loupe au-dessus de chaque trou : ils concentrent les photons qui tombent sur les trous et les réémettent.

« Si, au départ, la probabilité qu’un photon passe entre les trous est très faible, les “loupes” augmentent fortement cette probabilité, résume le physicien. La concentration est telle qu’on se retrouve avec plus de lumière transmise que ne l’autorise la seule surface occupée par les trous. » De l’amélioration de la qualité des lasers à l’augmentation du rendement des fibres optiques, les applications industrielles de cette découverte sont évidemment très nombreuses…

Une nouvelle propriété de la lumière découverte à la fin des années 1990, alors même que l’on croyait tout savoir sur cette messagère depuis des décennies ! Lors du discours de Thomas Ebbesen à la remise du prix Kavli, les lauréats de la catégorie « astrophysique », qui utilisent la lumière pour sonder l’Univers, en étaient très surpris… « Je dis toujours à mes étudiants qu’ils ont encore bien des choses à découvrir dont on n’a pas la moindre idée aujourd’hui, ajoute-t-il. D’ailleurs, Albert Einstein avait apparemment dit que “si la sphère des connaissances augmente, la frontière de ce que l’on ne connaît pas augmente encore plus vite !” »

Thomas Ebbesen reçoit le prix Kavli.
Le 9 septembre 2014, à Oslo, Thomas Ebbesen, Stefan W. Hell. et Sir John B. Pendry (de d. à g.) ont reçu le prix Kavli pour leurs travaux en nanosciences, l’équivalent du prix Nobel dans ce domaine.
Thomas Ebbesen reçoit le prix Kavli.
Le 9 septembre 2014, à Oslo, Thomas Ebbesen, Stefan W. Hell. et Sir John B. Pendry (de d. à g.) ont reçu le prix Kavli pour leurs travaux en nanosciences, l’équivalent du prix Nobel dans ce domaine.

Son dernier dada : les états hybrides lumière-matière

D’ailleurs, après sa découverte sur les réseaux de trous, Thomas Ebbesen n’a jamais cessé d’explorer l’inconnu. Il est aujourd’hui lauréat de plusieurs distinctions prestigieuses en plus du prix Kavli (dont le Agilent Europhysics Prize, pour ses travaux sur les nanotubes) et codétenteur d’une trentaine de brevets. Mais il n’a pas l’intention de s’arrêter là. « Actuellement, je travaille sur les états hybrides lumière-matière, et je m’amuse comme je ne me suis jamais amusé de ma vie ! », lance-t-il en riant.

L’histoire se répète : c’est après relecture du même article de Serge Haroche, dont les travaux, comme ceux de Claude Cohen-Tannoudji, sont pour lui source d’inspiration, qu’il commence à jouer à ce nouveau jeu : « Avec mes équipes, nous sommes parvenus à changer les propriétés de la matière (la conductivité, la vitesse d’une réaction chimique, l'activité enzymatique…) en plaçant des molécules sur un réseau de nano-trous ou en utilisant des miroirs, explique-t-il. Nous n’avons même pas besoin de lumière : les fluctuations quantiques du vide, celles-là mêmes qui sont peut-être en partie à l’origine de l’énergie noire, se chargent de faire entrer la matière en résonance avec le réseau, un phénomène qui a pour effet de modifier les propriétés des molécules. » De belles publications en perspective… (il a d’ailleurs reçu le Grand prix 2018 de la Fondation de la Maison de la chimie pour avoir créé cette nouvelle chimie dite polaritonique.  NDLR, juillet 2019) Et une autre belle démonstration, s’il en fallait encore une, que toute vraie découverte procède, non pas d’une recherche appliquée, téléguidée, mais de la simple soif de comprendre. Celle des grands enfants.

Commentaires

0 commentaire
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS