Vous êtes ici
Un nouvel espoir contre le lupus
Outre le fait d’être ou d’avoir été célèbres, quel est l’autre point commun entre les artistes Michael Jackson, Lady Gaga, Selena Gomez, l’écrivain américaine Flannery O’Connor et l’ancien dictateur philippin Ferdinand Marcos ? Tous ont été diagnostiqués comme souffrant de la même maladie : le lupus. Cette affection chronique, protéiforme, très handicapante et à ce jour incurable est au cœur d’ambitieux programmes de recherche. C’est ainsi qu’à l’occasion de la Journée mondiale du lupus, qui se tient tous les 10 mai, le CNRS et la faculté de Strasbourg organisent les 10 et 11 mai, à Strasbourg, un colloque entièrement consacré à cette maladie. Un lieu tout sauf fortuit : le CHU de Strasbourg est en effet un centre de référence nationale pour les maladies auto-immunes et c’est une équipe strasbourgeoise qui développe l’un des traitements les plus prometteurs : le Lupuzor.
Une maladie auto-immune chronique
Le lupus érythémateux systémique est une maladie auto-immune chronique relativement rare. Le système immunitaire du patient développe des cellules autoagressives qui sécrètent des anticorps contre les tissus de son propre organisme. Ce phénomène provoque une inflammation chronique qui entraîne de nombreuses pathologies. Le lupus peut en effet s’attaquer à beaucoup d’organes comme le cerveau, les reins, la peau, les articulations…
polymorphe, dont
les symptômes
les plus courants
sont une peau
très sensibilisée
au soleil et des
atteintes des
articulations.
« Le lupus touche une trentaine de milliers de personnes en France et débute le plus souvent chez des jeunes filles entre 15 et 25 ans, explique Jean Sibilia, chef du service de rhumatologie du CHU Strasbourg-Hautepierre et directeur adjoint du programme Immunorhumatologie moléculaire de l’Inserm. C’est une maladie polymorphe, dont les symptômes les plus courants sont une peau très sensibilisée au soleil et des atteintes des articulations. Elle peut aussi toucher les reins, l’enveloppe des poumons, les cellules du sang et le péricarde, qui est la tunique extérieure du cœur. La plupart des symptômes sont faciles à détecter, mais il existe également des formes plus sournoises comme le neurolupus. Il peut provoquer des hallucinations et des dépressions, il n’est alors pas facile de diagnostiquer un lupus sur ces seuls signes neurologiques. »
Les causes de la maladie sont multifactorielles et encore assez mal connues : prédispositions génétiques, facteurs environnementaux et/ou effet des hormones sexuelles. Le lupus se distingue aussi par le fait qu’il ne touche pas tous les groupes de la même manière. Ainsi, 90 % des personnes atteintes sont des femmes, et l’affection se déclare souvent quand elles sont en âge d’avoir des enfants. Elle provoque généralement une grande fatigue qui complique la vie professionnelle et quotidienne des patients. Certaines populations semblent être davantage concernées, dont les Afro-Américains et les Caribéens.
Soigner sans affaiblir
Même si l’espérance de vie des patients a beaucoup augmenté ces dernières décennies, certaines formes rénales, hématologiques et neurologiques du lupus peuvent être extrêmement graves. En l’absence de traitement spécifique, les stratégies thérapeutiques actuelles reposent sur les corticoïdes et les immunodépresseurs. Le système immunitaire est alors mis au repos et cesse d’attaquer son propre corps. Cependant, le patient est aussi fragilisé face aux autres infections, voire à certains cancers, et les effets secondaires peuvent être nombreux et très délétères.
Ce manque thérapeutique a poussé les chercheurs à étudier d’autres types de stratégies pour neutraliser les lymphocytes autoréactifs sans toucher au reste du système immunitaire. L’équipe de Sylviane Muller, professeure des universités et directrice du Laboratoire d’immunopathologie et chimie thérapeutique1 de l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire de Strasbourg, a ainsi mis au point le très prometteur Lupuzor. Il s’agit d’un peptide synthétique, aussi appelé P140, développé par la société ImmuPharma à partir d’une licence exclusive du brevet CNRS.
« Chez les personnes atteintes de lupus, les lymphocytes T autoréactifs répondent à des peptides présents à la surface de certaines cellules, explique Sylviane Muller. Le Lupuzor empêche cette reconnaissance abusive et les lymphocytes T déréglés ne réagissent plus. Comme ils ne sont plus stimulés, ils ne peuvent plus eux-mêmes activer des lymphocytes B sécréteurs d’auto-anticorps, la cascade d’événements pathogènes est stoppée. Les lymphocytes T autoréactifs peuvent cependant réapparaître plus tard et il faut alors administrer à nouveau le peptide. Le Lupuzor se prend d’ailleurs plutôt une fois par mois que tous les jours. »
Des tests prometteurs
Dès les premiers tests sur les animaux, les souris atteintes du lupus et traitées au Lupuzor ont vu leur espérance de vie se rallonger. Elles ont également développé moins de problèmes rénaux et dermiques que celles qui étaient malades mais qui n’étaient pas soignées. Enfin, les souris traitées au Lupuzor ont résisté à une infection virale de la même manière que les rongeurs non traités, une réaction qui indique que leur système immunitaire de défense était resté intact.
administré à dose
faible, une fois
par mois, et il est
remarquable par
l’absence d’effets
secondaires.
Le Lupuzor a depuis passé avec succès les premières phases de tests cliniques sur les humains. L’administration américaine a même accordé une procédure particulière à cette niche thérapeutique. Il a réussi un essai d’efficacité clinique en double aveugle, dit de phase 2, avec un taux de patients répondeurs de 70 %, le meilleur résultat obtenu jusqu’ici en essais cliniques dans cette pathologie. Le médicament est à présent dans la phase 3 d’essai clinique, toujours en double aveugle. Davantage de patients et de pays sont impliqués afin d’obtenir une autorisation de mise sur le marché..
« La thérapie par les peptides que nous avons développée n’est pas la seule solution envisageable, précise Sylviane Muller, mais le Lupuzor présente des avantages sans autres équivalents. Il est administré à dose faible, une fois par mois seulement et, surtout, il est remarquable par l’absence d’effets secondaires. Ce que l’on apprend de nos études pourrait également nous servir pour traiter d’autres pathologies auto-immunes, comme la polyarthrite rhumatoïde ou la maladie de Crohn. »
- 1. Unité CNRS.
Voir aussi
Auteur
Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.