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De la nécessité et du plaisir d'avoir un bon nez
Une fois par mois, retrouvez sur notre site les Inédits du CNRS, des analyses scientifiques originales publiées en partenariat avec Libération.
Quand donnerons-nous à l’odorat la place qu’il mérite ? Ignoré, négligé, souvent considéré comme accessoire… ce sens n’a que trop vécu dans l’ombre de ses quatre congénères. Heureusement, les temps changent, aidés en cela par une société devenue plus hédoniste, et donc plus attentive aux émotions liées aux odeurs. Surtout, depuis quelques années, l’odorat commence à s’imposer comme un objet scientifique à part entière. Et plus on l’étudie, plus son impact sur notre qualité de vie saute aux yeux.
Comme c’est souvent le cas, l’importance de l’odorat apparaît en creux lorsqu’il vient à manquer. Ce qui, au passage, n’est pas rare : des études récentes montrent qu’une bonne part de la population est touchée par une déficience de l’olfaction. Première conséquence : on observe de nombreux troubles de l’alimentation chez ces patients. En effet, ceux-ci ressentent une réduction de la richesse des stimulations apportées par les aliments, une baisse de l’appétit, du plaisir à manger et à cuisiner. Mais ce n’est pas tout. Ces mêmes personnes présentent des risques de dépression significativement plus élevés : on estime qu’environ 25% à 30% d’entre elles présentent des symptômes dépressifs ! Elles sont également d’avantage sujettes à des accidents domestiques, notamment parce qu’elles sont privées d’un moyen de détecter des sources de risque (le brûlé, le gaz, le moisi etc.). Certaines activités professionnelles (cuisiniers, parfumeurs, etc.) peuvent même être gravement compromises.
Comment expliquer cet éventail de conséquences entrainées par la déficience d’un sens soi-disant secondaire ? L’explication se cache dans notre cerveau : l’information olfactive y est en effet traitée par des aires cérébrales situées dans les parties ventrale et frontale du cerveau… des régions impliquées également dans les processus de la mémoire et de l’émotion. C’est cette connexion privilégiée qui explique (en partie) l’implication de l’odorat dans plusieurs fonctions essentielles. En voici quelques unes qui montrent à quel point il est important que ce sens fonctionne correctement.
La première de ces fonctions est protectrice : certaines odeurs nous envoient un message d’alerte aux substances toxiques de l’environnement ; par exemple notre nez contribue à détecter la nourriture avariée, les polluants industriels ou les molécules soufrées ajoutées au gaz naturel pour qu’il sente mauvais, et nous pousse à éviter ces substances dangereuses.
De grandes différences entre individus
La deuxième, plus variable entre individus, est attractive : l’odorat joue un rôle majeur dans notre orientation hédonique vers les odeurs positives, florales, esthétiques et surtout alimentaires où, associées au goût (salé, sucré, acide, amer), elles contribuent à l’appréciation et à l’identification des aliments. Les émotions positives nées du plaisir olfactif illustrent combien l’odorat peut améliorer notre humeur. Ces émotions sont néanmoins marquées par de grandes différences interindividuelles et dépendent de notre état, de nos motivations, de notre patrimoine génétique, de nos expériences passées, de notre âge et notre genre, et bien entendu de notre culture et du contexte dans lequel nous les percevons. Pourquoi en France sommes-nous capables d’apprendre à apprécier l’odeur du fromage de Saint Félicien que d’autres cultures considèrent comme une insulte pour les sens ? Comment expliquer qu’une certaine odeur de transpiration se révèle insupportable à certains d’entre nous alors qu’elle n’est absolument pas perçue par d’autres ? Cette variabilité est encore un mystère pour les scientifiques, et un défi pour les industriels de l’agroalimentaire et de la parfumerie, qui tentent de déchiffrer pourquoi un arôme ou un parfum est accepté par les uns et mal aimé par les autres.
La troisième fonction est sociale : les odeurs influencent fortement nos relations avec autrui. Nous en faisons tous l’expérience au quotidien. Deux études le prouvent par l’exemple. Une étude anglaise a ainsi montré que les femmes trouvent des visages d’hommes moins attractifs lorsque ces derniers sont vus en présence d’une odeur désagréable. Une autre étude, allemande cette fois, montre que les hommes nés sans odorat déclarent avoir un nombre plus réduit de relations sexuelles par rapport à des personnes dont l’odorat est intact.
Aujourd’hui, scientifiques et cliniciens étudient les déficits de l’odorat pour mieux les comprendre, les diagnostiquer et à terme les soigner. Provoquées par des causes variées (infections, allergies, tumeurs, traumas crâniens, exposition aux polluants, etc.), les pertes olfactives sont très répandues ! Aux Etats-Unis, une étude menée sur 2500 personnes a conclu à une prévalence de 24% d’hyposmies (perte partielle d’odorat) et de 1% d’anosmies (perte totale). En Allemagne, une étude sur 3000 personnes a établi un taux de 10% de personnes touchées par une déficience olfactive.
En France, notre équipe a mis en place en novembre dernier la première étude de ce type à grande échelle. Financée par la Mission Interdisciplinarité du CNRS, elle compte déjà plus de 4000 participants et devrait permettre d’avoir enfin une mesure précise de la prévalence des déficits olfactifs et de leurs effets sur la qualité de vie des Français. Des résultats préliminaires sur de petits échantillons ont déjà montré une fréquence des déficits olfactifs qui varie en fonction de l’âge et de la pathologie : 10% chez les jeunes, 39% chez les plus de 65 ans et 83% chez les patients Alzheimer.
Peut-on restaurer l’odorat ? Beaucoup de médecins considèrent qu’on ne sait rien faire et qu’il ne faut pas promettre la Lune aux patients, parce que les cas de récupération complète de l'odorat sont rares. Cette restauration est néanmoins possible : des études récentes montrent que l’exposition répétée à des odeurs améliore les performances de patients hyposmiques. Autrement dit, que l’odorat peut s’améliorer si l’on s’en sert et qu’on l’entraîne. Cette perspective prometteuse n’en est qu’à ses débuts chez l’homme mais les travaux chez l’animal démontrent l’importante plasticité du système olfactif : les odeurs auxquelles nous sommes exposés quotidiennement modifient notre système olfactif, comme si elles nourrissaient les neurones stimulés. Il est donc important d’approfondir la recherche sur la rééducation de l’odorat humain. Mais n’oublions pas l’éducation : à quand l’enseignement des odeurs à l’école ?
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Commentaires
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du journal CNRS
Bonjour, très heureux de lire
Beniat le 2 Janvier 2015 à 11h26