Vous êtes ici
« Halte à la destruction du patrimoine au Moyen-Orient ! »
Le 20 mai 2015, les djihadistes de Daesh ont pris possession de Palmyre, en Syrie, la « Perle du désert ». Depuis, vestige par vestige, ils détruisent ce site gréco-romain classé au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco en 1980. Ils s’en sont pris aussi à l’âme du site, en torturant et en décapitant son conservateur. Ce sont les destructions parmi les plus récentes d’une longue liste de sites archéologiques en Irak et en Syrie qui sont tombés sous la coupe de Daesh.
Une tentative d’effacement du passé
En août 2014, Daesh prenait le contrôle de la province de Ninive, au nord de l’Irak, et commençait à effacer son passé. Après avoir volé et brûlé des centaines de manuscrits et livres rares de la bibliothèque de Mossul, les djihadistes ont détruit statues et reliefs conservés au musée de Mossul. Ils s’en sont pris ensuite aux capitales de l’empire assyrien et ont tourné des vidéos de leurs destructions, diffusées via Internet au début du printemps et relayées par la presse internationale. On les a vus démolir à l’aide de marteaux-piqueurs les taureaux androcéphales ailés géants (lamassus), gardiens de la porte de Nergal, à Ninive, capitale de l’Assyrie à partir du règne de Sennacherib (704-681 av. J.-C.).
Une autre vidéo présente l’explosion du palais nord-ouest de Kalhu (Nimrud), construit par Assurnazirpal II (883-859 av. J.-C.). Ce bâtiment monumental avait ses murs encore couverts de reliefs représentant le roi accomplir des cérémonies rituelles ou recevant des tributs des peuples vaincus, des génies ailés, des arbres de vie… Il n’en reste qu’une reconstitution virtuelle au Metropolitan Museum de New York. Les autorités irakiennes annonçaient ensuite, au mois de mars, la destruction de Dûr-Sharrukîn (Khorsabad). Cette ville bâtie par Sargon II (721-705 av. J.-C.) mobilisa la main-d’œuvre et les richesses de l’empire pendant plus de dix ans. Des lamassus protégeaient l’entrée du palais dont les murs étaient ornés de bas-reliefs. En très peu de temps, trois capitales assyriennes situées dans le territoire contrôlé par Daesh ont ainsi été gravement endommagées. Assur, la toute première capitale de l’Assyrie au XIVe siècle av. J.-C., aurait été épargnée à ce jour.
Un quart de siècle de génocide culturel
En réalité, cela fait plus de vingt cinq ans, depuis la guerre du Golfe et l’embargo imposé sur l’Irak par les Nations unies, que le patrimoine culturel irakien est pillé et détruit. Les voleurs ont creusé d’innombrables trous sur les sites archéologiques à la recherche de tablettes cunéiformes, de statuettes ou de bijoux à vendre, en particulier dans le sud du pays, détruisant à jamais l’architecture et la stratigraphie des sites, et brisant le lien entre les objets et leurs lieux de découverte. Les assyriologues font face aujourd’hui à une masse de tablettes cunéiformes dont l’origine est inconnue ; certains lots documentent l’administration de domaines ou de villes impossibles à situer sur la carte. En outre, les bases militaires, comme celle établie par les Américains à Babylone, ont provoqué des dommages irréversibles.
début de la guerre,
plus de 320 sites
archéologiques ont été pillés, abîmés
ou détruits.
En Syrie, depuis le début de la guerre en mars 2011, en plus d’un bilan humain terrifiant – plus de 240 000 morts –, plus de 320 sites archéologiques ont été pillés, abîmés ou détruits, parmi lesquels Ebla et Mari, dont les palais datés des XXIVe et XVIIIe siècles av. J.-C. renfermaient d’importantes archives royales, Dura-Europos, la « Pompéi du désert », Palmyre, somptueuse ville gréco-romaine… L’ancien directeur du Service des fouilles en exil parle d’un « génocide culturel ».
En Syrie, comme en Irak, le trafic des antiquités est contrôlé par Daesh. Ce groupe salafiste, fondé en 2004, prône la violence religieuse afin de fonder un État islamique. Sa doctrine est un retour à l’islam des origines, non corrompu par les innovations. En détruisant les sites, monuments et artefacts préislamiques, Daesh entend priver les populations de leur histoire, de leur mémoire et donc de leur identité ; il s’agit là d’une sorte de « purification ». Les vidéos montrant les destructions de monuments, reliefs ou statues monumentales sont destinées à servir la propagande djihadiste, tandis que les pièces plus petites sont revendues pour financer la lutte armée : les acheteurs d’antiquités se rendent complices du pillage du patrimoine culturel mondial.
Que faire ?
Il est fondamental de contrôler la vente des antiquités ; celle-ci s’opère de manière professionnelle, sur commande, ou à petite échelle, par la vente à des particuliers sur Internet. Contrairement à nos voisins, la vente sur Internet n’est pas surveillée en France. Le 12 février 2015, les Nations unies ont adopté la résolution 2199 qui condamne la destruction de patrimoine culturel et le trafic d’antiquités venant d’Irak et de Syrie. L’Unesco travaille avec Interpol, les douanes, les musées et les principales salles de vente pour empêcher que les objets volés puissent être vendus.
avec Interpol,
les douanes,
les musées et les
salles de vente
pour empêcher
que les objets
volés puissent
être vendus.
Les chercheurs sont aussi mobilisés. Deux associations ont été créées par les archéologues, historiens et philologues qui travaillent sur le Proche-Orient ancien : Shirin (Syrian Heritage in Danger : an International Research Initiative & Network) et Rashid (Research Assessment and Safeguarding of the Heritage of Iraq in Danger). L’antenne française de Shirin réunie il y a peu a mis l’accent sur le soutien aux collègues et étudiants syriens en situation précaire en France, la formation de restaurateurs et conservateurs pour l’après-conflit, la numérisation des archives des missions françaises en Syrie, l’analyse des dommages sur les sites archéologiques et l’expertise sur le trafic d’objets. L’Association for the Protection of Syrian Archaeology publie des informations régulières sur les sites.
L’International Association for Assyriology, qui regroupe assyriologues et archéologues du Proche-Orient, a publié dès août 2014 une déclaration en dix langues sur son site Internet pour alerter populations et gouvernements sur la situation. L’association a redessiné l’intégralité de son site Web afin de s’adresser à un plus large public dans un but pédagogique. L’éducation est la meilleure arme contre l’ignorance et le barbarisme ; elle doit s’adresser à tous. Certaines associations, comme Heritage for Peace, tentent de sensibiliser les réfugiés dans les camps en Turquie, en Jordanie et au Liban aux vestiges de leur passé. Cette ouverture au monde doit aussi se faire chez nous, en France, par le biais de conférences, films, livres grand public, animations diverses, expositions… L’enseignement de l’histoire antique du Proche-Orient, avec l’invention de l’écriture et de la base 60 que l’on utilise aujourd’hui encore pour la mesure du temps, fait prendre conscience aux jeunes, quel que soit leur milieu ou leur origine, des racines communes de leur histoire.
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.