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En Syrie, un patrimoine en péril
Aujourd’hui, les paysages rocailleux des campagnes dites du Massif calcaire, au Nord de la Syrie, à proximité de la frontière turque, constituent l’arrière-plan d’une actualité dramatique alors que des populations aux abois doivent les fuir ou, au contraire, y trouver refuge. Ce territoire plus ou moins dévoilé au gré des reportages recèle un patrimoine scientifique précieux qui, s’il a pu, début 2011, être inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, compte désormais au nombre des dommages collatéraux d’un conflit destiné à durer : sa disparition s’accélère sous les pillages et les bombardements.
Des archives archéologiques exceptionnelles
Relativement peu connues au regard d’autres sites syriens, tels la ville d’Alep ou le Krak des chevaliers, les campagnes du Massif calcaire présentent la particularité de constituer un ensemble géographique et historique cohérent où l’on peut encore voir, dans un état de conservation souvent remarquable, des villages et des paysages qui ont été façonnés entre les IIe et VIe siècles de notre ère.
Sous la pression démographique de ces trente dernières années, beaucoup des sites indexés par les voyageurs et les scientifiques qui ont parcouru la région depuis la fin du XIXe siècle tendaient à disparaître, mais une cinquantaine d’entre eux, exceptionnellement préservés, ont continué à faire l’objet de recherches menées, depuis les années 1980, par la Mission archéologique syro-française de Syrie du Nord1. Ces villages, parfois entiers et encore environnés des vestiges fossiles des activités agricoles et pastorales qui ont fait leur prospérité à la fin de l’Antiquité, offrent des conditions d’étude remarquables. Ils constituent des archives archéologiques susceptibles d’éclairer de multiples aspects de la vie de toute une communauté rurale depuis la fin de l’époque hellénistique jusqu’au VIIe siècle de notre ère.
Contribuer à la préservation des connaissances
Une de ces agglomérations, Serğilla, située au sud du ğebel Zawiyé, le plateau le plus méridional du Massif calcaire, a récemment fait l’objet d’une monographie2. L’étude du bâti – en majorité de simples maisons paysannes, mais aussi des installations artisanales, des tombeaux, un ensemble ecclésial, une auberge et des bains – y occupe une place centrale. Comprendre les vestiges encore apparents, en proposer une restitution et expliciter leur organisation et leurs modes de mise en œuvre ont permis de retracer l’évolution du village avant son abandon progressif à partir du VIIe siècle. En 2010, alors que l’étude de Serğilla s’achevait, le site était devenu une réserve archéologique, elle-même incluse dans un parc plus vaste destiné à être protégé sans pour autant être figé : un habitat, modeste et dispersé, commençait en effet à se développer à l’écart du site antique et la perspective d’un développement culturel autour de ce patrimoine semblait une promesse de prospérité renouvelée pour les habitants de la région.
L’histoire en a décidé autrement. Depuis 2013, les sites du Massif calcaire inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco ont été reportés sur la liste du patrimoine en péril à la demande de Maamoun Abdulkarim, codirecteur de la Mission, afin d’attirer l’attention de la communauté internationale sur leur situation. Les chercheurs ne peuvent plus directement contribuer à la préservation physique des vestiges antiques du Massif calcaire, mais peuvent encore veiller à la préservation des connaissances acquises et à leur diffusion de la façon la plus large possible. À cette fin, en collaboration avec l’université de Damas, deux équipes du CNRS3 pilotent actuellement l’élaboration d’une carte archéologique qui donnera, à terme, les moyens d’identifier les vestiges endommagés ou, peut-être, déjà disparus.
- 1. La Mission archéologique syro-française de Syrie du Nord a été dirigée par Georges Tate jusqu’en 2009. Elle est aujourd’hui codirigée par Gérard Charpentier et Maamoun Abdulkarim.
- 2. Cet ouvrage, Serǧilla. Village d’Apamène, paru en 2013 aux Presses de l’Ifpo (coll. « Bibliothèque archéologique et historique », tome 203), a obtenu en 2014 le prix Gustave Schlumberger de l’Académie des inscriptions et belles lettres. Pour en savoir plus : www.ifporient.org/node/1432
- 3. Il s’agit du Service de techniques archéologiques de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée-Jean Pouilloux (MOM), à Lyon, et du Service d’analyse des formes architecturales et spatiales du laboratoire Archimède, à Strasbourg, deux services d’appui à la recherche d’unités du CNRS affiliées au réseau des Maisons des sciences de l’homme.
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du journal CNRS