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Le patrimoine, gisement d’idées pour le futur?
Une fois par mois, retrouvez sur notre site les Inédits du CNRS, des analyses scientifiques originales publiées en partenariat avec Libération.
Comprendre les phénomènes d’altération affectant les peintures de chevalet, identifier les animaux dont la peau fut employée pour produire des parchemins médiévaux, documenter les climats anciens à partir des fossiles du Muséum, comprendre les premiers procédés métallurgiques… Des travaux comme ceux-ci, nous aurions pu en citer des centaines. Les sciences des matériaux anciens et patrimoniaux connaissent en effet depuis quelques années un bouleversement. Des technologies empruntées au monde médical, au spatial ou aux géosciences, et d’autres créées spécialement pour le patrimoine, ont transformé l’étude des œuvres d’art ou des sites archéologiques. Mais la révolution est encore plus profonde. La notion même de patrimoine est en pleine évolution alors que se rapprochent sciences humaines et sciences de l’environnement. Plus encore, loin d’une vision passéiste, le patrimoine apparaît aujourd’hui comme une mine de créativité. Nous faisons le pari que les concepts issus des matériaux anciens, loin de rester uniquement la création de quelque équipe d’archéologie, de paléontologie ou du patrimoine culturel passionnée, trouveront demain des applications directes en santé, en sciences de l’environnement ou pour la synthèse de nouveaux matériaux.
Le concept de « paléo-inspiration »
Avec une équipe américaine du Massachusetts Institute of Technology (MIT), nous avons proposé le concept de «paléoinspiration » pour discuter à quel point nos matériaux anciens, qui ont subi le filtre de l’intelligence humaine et celui du temps long, constituaient des sources quasi infinies d’inspiration pour l’élaboration de nouveaux matériaux. La durabilité de certains matériaux paléontologiques dans des milieux d’enfouissement parfois particulièrement rudes excède des millions d’années. Les propriétés colorimétriques de pigments d’artistes, de céramiques ou d’alliages métalliques, optimisées pendant des siècles voire des millénaires, sont inouïes. De nombreux systèmes anciens ont été produits dans des conditions eco-friendly, à partir de ressources énergétiques limitées et avec un contrôle minimal de leurs conditions d’élaboration. Mais l’origine de ces propriétés est encore largement inexpliquée.
Au laboratoire, un enjeu majeur est de comprendre comment elles s’inscrivent dans la matière même. Quels sont les mécanismes fondamentaux à l’origine de cette durabilité, de ces couleurs, de ces propriétés mécaniques ? Interpréter la composition des matériaux anciens, les reproduire en accélérant leur mode de synthèse pourrait, comme pour la bio-inspiration, constituer une voie originale et fertile apportant de nouveaux matériaux et concepts pour répondre aux enjeux de nos sociétés actuelles.
Le rôle des nouvelles technologies
Ce n’est qu’un exemple parmi les nombreuses leçons que nous pourrions tirer de l’étude des matériaux du passé. Que faut-il pour y parvenir? Sans doute commencer par remettre en question notre hiérarchie des domaines scientifiques pour accorder à ces nouveaux champs de recherche une vraie place. Ce que le public ou les étudiants viennent chercher dans nos disciplines, avec un attrait sans cesse renouvelé, c’est un dialogue entre les différents régimes de la connaissance. Ils ont raison. Comme le montrent l’insondable crise environnementale ou la résurgence de conflits dans de nombreuses parties du monde, aucun des maux actuels ne se résoudra sans une hybridation des connaissances reliant sciences humaines et sciences de la nature. Il est donc urgent de créer des lieux et des compétences propices pour que ce dialogue puisse prendre forme et s’instituer. L’enjeu est important, et c’est également une nécessité pour les métiers de demain. Eclairer le passé, inspirer le futur, développer l’interdisciplinarité et les interactions, voilà ce à quoi nous convient les matériaux anciens!
Le rôle des nouvelles technologies de recherche est aussi évident. Déjà, des instruments issus de la biologie permettent d’amplifier l’ADN ancien et d’identifier sucres, corps gras et protéines anciennes à l’échelle moléculaire. L’emploi d’imageries issues du monde médical, du spatial ou des géosciences s’impose du terrain à l’échantillon avec toute leur puissance d’investigation morphologique, chimique et physique: rayons X, microscopies optiques et électroniques, imagerie satellitaire. Mais une nouvelle révolution est également à l’œuvre: la création de nouveaux outils «optimisés» pour les matériaux anciens, construits à partir de leurs spécificités intrinsèques.
Ainsi, Ipanema et le synchrotron Soleil, le plus important des grands équipements de recherche français, ont créé à Saclay (Essonne) une ligne d’analyse complète dédiée aux matériaux anciens ; le Muséum national d’histoire naturelle vient de s’équiper d’imageurs 3D et 2D avancés de rayons X ; à Marseille, le MAP crée des outils hybrides de relevé et de documentation des monuments historiques; des équipes internationales développent des drones pour le relevé archéologique. Les sciences des données et l’intelligence artificielle ne sont pas en reste et commencent à faciliter la classification et la description de tableaux, de photographies et d’objets.
Décrire le parcours au cours des temps
Sur le plan même des méthodes, qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas uniquement de développer de nouveaux appareils, mais de revisiter l’imagerie, de penser la complexité extrême, et de traduire cette dernière en lois de comportement. Par exemple, en sciences du patrimoine, l’enjeu n’est pas seulement la course à la résolution ultime, permettant d’atteindre des échelles atomiques, mais surtout notre capacité à saisir des systèmes hétérogènes à différentes échelles pour en décrire plus finement la composition, la morphologie, mais aussi l’histoire, la réactivité, le parcours tortueux au travers des temps, et découvrir comment mieux les conserver.
A l’Institut de France, et dans de nombreux lieux en Ile-de-France, du 12 au 19 février, le CNRS et le laboratoire Ipanema organisent, en collaboration avec l’Académie des sciences et sous l’égide du Groupe interacadémique pour le développement, la première Rencontre mondiale patrimoines, sciences et technologies qui regroupe près de 2000 visiteurs. Les plus grands scientifiques du domaine mettent la dernière main à une Déclaration de Paris portant sur ces sujets : l’importance des sciences des matériaux anciens pour la connaissance et pour sauver le patrimoine en péril, la nécessité d’une hybridation des savoirs par des parcours interdisciplinaires, le rôle du patrimoine dans nos représentations sociales et pour la paix dans le monde. Ils insisteront également sur un point qui peut sembler plus abstrait, se comprendre, quand on vient de mondes aussi différents que l’archéologie et la physique ou les mathématiques et les sciences de la conservation, ne se fait pas sans volonté ni sans outil.
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.
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