Vous êtes ici
Quand l'architecture imite la nature
La bio-inspiration consiste en l'observation des systèmes naturels pour donner certaines de leurs caractéristiques à des espaces, objets ou services. Et si l'on est aussi soucieux de développement durable, on sélectionne ses inspirations dans le but de protéger l'environnement : on parle alors généralement de biomimétisme.
Fascinés depuis toujours par le design des bâtiments, pour l'un, et par l'architecture des plantes pour l'autre, nous nous sommes, mon frère Nicolas1 et moi-même, tournés vers la conception biomimétique en architecture2 depuis une douzaine d'années. Comment faire des bâtiments dont l'empreinte écologique est la plus faible possible ? La phyllotaxieFermerScience qui explore le développement de l’architecture primaire des structures végétales aériennes, à savoir les raisons pour lesquelles les bourgeons, les feuilles ou les fleurs sont-ils disposés selon des règles mathématiques et biologiques très précises – souvent en spirale – sur la tige d'une plante., avec ses règles géométriques qui influencent la captation de l’énergie solaire, nous semblait être une voie prometteuse.
Gagner en luminosité
Pour notre premier projet en 2007, nous avons conçu une « maison spirale », actuellement visible à Malakoff (Hauts-de-Seine). Le but était de surélever sur deux niveaux une maison existante qui souffrait d’un manque de lumière naturelle. Pour y parvenir, nous avons choisi une forme en spirale imitant la phyllotaxie et captant les lumières Est, Sud et Ouest.
Cinq ans plus tard, nous avons, via le cabinet In Situ Architecture fondé par mon frère, livré un projet de 49 logements à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). Toujours largement influencés par la phyllotaxie, les logements se décalent les uns des autres sur la hauteur, selon un système en gradins disposés en spirale. Là encore, en captant la lumière du soleil, le bénéfice est double : profiter de l’énergie passive du soleil et créer un environnement favorable aux biorythmes des habitants.
Nous avons ensuite travaillé à la formalisation de notre démarche. En 2017, nous avons ainsi initié le développement d’un algorithme permettant de modéliser le gain énergétique de l'agencement des logements inspirés de la phyllotaxie. Cet algorithme permet de calculer la disposition de chaque logement d'un habitat plus ou moins dense, comme des feuilles disposées en spirale le long d'une tige, et ce en maximisant la quantité de lumière naturelle captée. Sur un projet de résidence à Senlis (OIse), encore en cours de développement, le gain calculé sur le poste chauffage a par exemple atteint 20 %.
Résultat d'une collaboration entre le laboratoire Reproduction et développement des plantes3 et le cabinet In Situ Architecture, notre algorithme, qui pourrait intéresser les mairies et les collectivités, est en développement pour une version commercialisable.
Réguler la température
Pour un projet de bureaux dans le 15e arrondissement de Paris, nous avons ensuite développé une « double peau » sensible à la température. Elle est composée de cellules vêtues de tissu et dont le pliage s'inspire de la feuille de charme. Cette feuille a été choisie car le rapport entre sa surface repliée et sa surface déployée est optimal : son pliage obéit à des règles géométriques simples et efficaces, selon des nervures très marquées, alignées en V avec un axe correspondant aux arrêtes du pliage. Dans les bureaux en question, un tissu est donc tendu sur des baleines accrochées à un axe latéral qui se déploient selon la température, de façon à éviter les phénomènes de surchauffe et optimiser la consommation énergétique du bâtiment.
Au printemps dernier, le cabinet In Situ Architecture a aussi livré au Sénégal une église dont la ventilation reproduit celle des termitières. Dans ces structures, l'air s’introduit en partie basse et ressort en partie haute. La verticalité de l’édifice crée un « effet cheminée » qui favorise la circulation de l’air et assure une température d’environ 25 °C à l’intérieur de la termitière alors qu’il peut faire 50 °C à l’extérieur. Ce projet a permis à In Situ Architecture de remporter le MasterPrize 2019, un prix international.
Il faut toutefois noter que Mick Pearce, un architecte zimbabwéen, avait déjà construit en 1996 un bâtiment de sept étages, le Eastgate Center, à Harare (Zimbabwe), en s'inspirant du même principe de ventilation. Cet immeuble, tout comme l'église de notre conception, est très économe en énergie tout en présentant une température ambiante confortable sans faire appel à des ventilateurs ou climatiseurs.
L'économie de matériaux représente aussi un enjeu important en matière de développement durable. Dans cette optique, nous avons aussi travaillé sur des structures en bois adoptant des formes polygonales (principalement des pentagones et des hexagones). Le choix était évident... Alvéoles des nids d'abeilles, squelette calcaire des coraux ou des oursins, trame des cellules végétales produisant la chlorophylle, etc. : quand une même structure se retrouve chez un grand nombre d’espèces vivantes, végétales comme animales, il s’agit certainement d’une solution performante !
Mieux évaluer la pertinence avant de construire
Bien entendu, les solutions du vivant ne constituent une réponse qu'à un écosystème bien précis et ne peuvent pas toujours convenir aux contraintes du bâtiment. Il faut aussi admettre que le concept de biomimétisme est parfois survendu avec des logiques qui relèvent uniquement de l’analogie. Chaque source d’inspiration doit donc être précisément testée avant d'être considérée comme une solution.
Heureusement, la technologie nous offre aujourd'hui de précieux outils, bien loin des maigres moyens dont disposait Léonard de Vinci quand il a tenté de fabriquer des machines battant des ailes en s'inspirant des volatiles. La modélisation informatique nous permet ainsi d’évaluer la pertinence de nos systèmes très rapidement sans qu'il soit besoin de les construire et d’estimer les gains énergétiques associés. Une expertise interdisciplinaire comme dans notre duo est essentielle pour concevoir des modèles biomimétiques tenant également compte des contraintes de l’architecture et de l’urbanisme.
Seule une vision de la nature où l’être humain forme une chaîne avec l’ensemble du vivant – et non pas où il trône au sommet – constitue une approche vertueuse et durable pour l'humanité. C'est dans cet esprit que nous essayons d'œuvrer pour une architecture biomimétique. ♦
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur(s) auteur(s). Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.
- 1. Fondateur de l'agence In Situ Architecture, à Paris.
- 2. Lire "Comment construire des villes durables en s’inspirant de la nature", Le Monde, 2 décembre 2019.
- 3. Unité CNRS/Inra/ENS de Lyon/Université Claude-Bernard.
Mots-clés
Partager cet article
Commentaires
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS