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Les enjeux de la publicité politique ciblée
Une fois par mois, retrouvez sur notre site les Inédits du CNRS, des analyses scientifiques originales publiées en partenariat avec Libération.
Avec plus de 2,5 milliards d’utilisateurs, Facebook reste la plateforme de publicité en ligne la plus populaire. Elle tire sa puissance de l’opportunité offerte à n’importe quel publicitaire de communiquer son message de manière ciblée à une large part des citoyens connectés à Internet. Précurseur dans les innovations concernant la publicité en ligne, Facebook procure en effet aux publicitaires des techniques très avancées pour atteindre leurs audiences. Les annonceurs peuvent ainsi s’adresser à des segments très précis de la population, et délivrer un message sur mesure.
Afin de mieux cerner comment Facebook s’y prend pour nous « profiler », nous avons développé l’outil de monitoring AdAnalyst. Celui-ci nous a donné accès, via une extension installée dans leur navigateur, aux publicités reçues par les utilisateurs du réseau social.
Quelle protection des utilisateurs sur la plateforme ?
Nos mesures ont montré que les publicitaires peuvent sélectionner parmi plus de 250 000 attributs, dont beaucoup sont très spécifiques et parfois sensibles tels que « l’intérêt dans les mouvements anti-avortement » ou « la conscience du cancer ». De plus, en analysant les sources des données utilisées pour le ciblage, on s’est aperçu que le Facebook appariait la plupart de ses utilisateurs étasuniens (90 %) avec des données collectées hors ligne grâce à des partenariats avec des courtiers en données. Ces données contiennent, entre autres, des informations sur les crédits, les propriétés locatives des utilisateurs ou encore leurs achats dans les grandes surfaces. Facebook a depuis rompu le contrat avec ces partenaires.
Nous avons ainsi montré que les mécanismes de transparence mis en avant par le géant du Web avec la fonctionnalité « Pourquoi je vois cette publicité ? » – supposée expliquer aux utilisateurs pourquoi ils ont reçu telle ou telle publicité – sont souvent loin d’être complets, Facebook ne montrant pas les attributs les plus sensibles dans ses explications. Nous nous sommes donc plus particulièrement intéressés aux publicités politiques, qui sur Facebook ont accès aux mêmes options de ciblage que les publicités commerciales. Or c’est ce ciblage qui rend la publicité politique sur Internet si dangereuse, comparativement aux canaux classiques. On se souvient tous de l’affaire Cambridge Analytica, cette entreprise de conseil en politique qui a exploité les capacités de ciblage offertes par Facebook pour peser sur élections présidentielles américaines et le référendum sur le Brexit en 2016.
Face aux critiques, la société a mis en place plusieurs mécanismes de protection et de transparence pour les publicités politiques, en particulier la Political Ad Library (bibliothèque publicitaire) : un dépôt central publiquement accessible censé répertorier les publicités politiques diffusées sur la plateforme. À l’heure actuelle, tout publicitaire envoyant une publicité politique est ainsi tenu de la déclarer comme telle.
Un cas pratique : les élections présidentielles au Brésil en 2018
Nous voulions vérifier si la Political Ad Library était exhaustive, si toutes les publicités politiques étaient bien déclarées comme telles, et si Facebook avait mis en place des mécanismes de contrôles efficaces pour s’en assurer. Nous avons profité des élections présidentielles de 2018 au Brésil pour réaliser une expérimentation grandeur nature à l’aide de l’outil AdAnalyst. Deux mille utilisateurs ont accepté d’installer l’extension, ce qui nous a permis de collecter 240 000 publicités (politiques ou non) reçues pendant la période électorale.
Nous avons alors implémenté un algorithme d’apprentissage automatique capable de détecter la publicité politique. Sans entrer dans les détails, cet algorithme est entraîné à partir d’exemples de publicités, politiques et non politiques, qu’il apprend ainsi à reconnaître automatiquement : 85 % de publicités politiques sont ainsi détectées avec seulement 1 % de faux positifs (publicité non politique marquée comme politique).
Il apparaît ainsi que 2 % des publicités commerciales reçues par les utilisateurs pendant les élections présidentielles brésiliennes de 2018 étaient en fait politiques bien que non déclarées comme telles. Un taux très important si on le compare aux 2 à 4 % de publicités déclarées comme politiques et présentes dans la Political Ad Library, malheureusement seule ressource que les journalistes, les organisations indépendantes, ou même le grand public peuvent consulter pour faire un monitoring du discours politique.
Nous avons mis en évidence un autre problème : la non-conformité des publicités politiques à la législation électorale du pays. Ainsi, la législation brésilienne prévoit que seuls les politiciens peuvent envoyer de la publicité politique en période électorale. Les données que nous avons collectées montrent que 20 % des publicités non déclarées étaient en fait envoyées par des publicitaires. Ce résultat pointe la difficulté des États à faire respecter leurs législations s’ils n’ont pas accès à ces plateformes de publicité.
Vers plus de transparence et de contrôle citoyen
Ces recherches soulignent deux enjeux majeurs : la nécessité pour la société civile d’avoir accès aux données sur les publicités ciblées mises en ligne, ainsi que l’importance des instruments d’audit extérieur comme AdAnalyst. Sur cette base, nous avons demandé que toutes les plateformes publicitaires rendent publiques des Ad Libraries contenant la totalité des publicités et non seulement les publicités politiques. D’abord parce que Facebook n’est pas compétent pour discriminer les publicités politiques ; mais aussi parce que d’autres types de publicités peuvent être sensibles et d’importance publique (comme celles concernant le Covid-19 ou les vaccins par exemple). Nous demandons aussi que soient rendus publics les critères de ciblage utilisés par les annonceurs, ainsi que toutes les informations sur l’impact réel de ces publicités : combien d’utilisateurs ont cliqué, nombre de commentaires, de likes, etc. Ces données sont essentielles pour détecter la publicité malveillante.
En absence de lois précises sur la transparence, la seule façon de mettre les plateformes face à leurs responsabilités et se protéger de la publicité politique malveillante est d’aider la recherche en installant des outils comme AdAnalyst. Avec une trentaine d’acteurs de la société civile, nous avons ainsi détaillé ces recommandations dans une proposition intitulée “Universal ad transparency by default”, soumise à la Commission européenne. Ceci permettra détecter les failles et disposer des données concrètes. ♦
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur(s) auteur(s). Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.
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Commentaires
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du journal CNRS
Très intéressant, merci. En
LaurentClaessens le 18 Juin 2021 à 09h13