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Démasquer les faux avis du Web

Démasquer les faux avis du Web

05.06.2014, par
Les faux témoignages sur le Web sont beaucoup plus répandus qu’on ne le pense. Décryptage de cette pratique frauduleuse par Andreas Munzel, spécialiste de l’analyse des avis d’internautes.

« Nous y reviendrons », « Excellent, à essayer ! » : qu’il s’agisse de la recherche d’un bon restaurant, du choix d’un hôtel bien placé ou d’un film à voir, les avis postés par d’autres consommateurs sur les sites Internet comme Tripadvisor ou Allociné sont bien utiles pour réduire le risque de regretter son choix. Les études confirment l’importance des avis d’internautes dans les prises de décision des consommateurs : 80 % des acheteurs en ligne déclarent tenir compte de ces avis et, selon Nielsen, 68 % des répondants font confiance aux opinions postées par d’autres consommateurs. Mais cette confiance est périlleuse quand on sait que de 10 % à plus de 30 % des avis publiés en ligne sont faux.

Des logiciels de détection sophistiqués

Au-delà des régulations (comme celles qu’Afnor1 a initiées en France) et des codes de bonne conduite mis en place par les acteurs du secteur, les opérateurs des sites peuvent recourir à des outils sophistiqués qui améliorent leurs capacités d’identifier les faux avis. Cette stratégie – intégration des algorithmes et modèles de détection de caractéristiques textuelles des faux avis – est essentielle : lors de mes recherches, j’ai pu vérifier l’impact qu’a sur les internautes le fait qu’un site puisse détecter et supprimer les faux avis2. Le manque de crédibilité de la source d’un avis affecte à la fois le prestataire de services évalué (par exemple l’hôtel ou le restaurant) et le site d’avis lui-même.

Les agences
d’e-réputation spécialisées dans
la création de faux avis adaptent leur style de rédaction aux plus récentes avancées
des systèmes
de détection.

Le développement des logiciels de détection des faux avis a jusqu’ici surtout été l’œuvre de chercheurs états-uniens en informatique qui, grâce aux travaux des linguistes sur le mensonge, sont parvenus à identifier certaines caractéristiques textuelles propres aux faux avis. Ainsi, à l’aide d’indicateurs comme le style ou le niveau de langage, la longueur du texte ou l’emploi de certains mots, les chercheurs affirment pouvoir distinguer les faux avis des vrais avec 90 % de certitude. Ils invitent également les internautes à poster n’importe quel avis en anglais dans un champ du site www.reviewskeptic.com pour en tester la vraisemblance. Bien que cette stratégie s’avère utile dans la lutte contre les faux avis, son efficacité reste à évaluer. En effet, les agences d’e-réputation spécialisées dans la création de faux avis savent adapter leur style de rédaction aux plus récentes avancées des systèmes de détection. Cette course entre la recherche et ces faussaires professionnels rend le développement d’un filtre de détection extrêmement difficile et fragile.

Les limites potentielles des algorithmes fondés uniquement sur l’analyse textuelle des avis m’ont poussé à y inclure des facteurs contextuels susceptibles d’aider les internautes à détecter les faux avis. L’objectif de cette deuxième stratégie place l’internaute et ses compétences « numériques » au centre des intérêts. Lors d’une série d’études expérimentales, j’ai analysé l’importance et l’utilité de différentes caractéristiques contextuelles d’un avis3.

L’un des indicateurs les plus pertinents est la cohérence entre cet avis particulier et la moyenne des notes attribuées par les autres internautes au produit ou au service en question. Si un avis très positif se distingue très clairement des avis précédents, un certain niveau de scepticisme semble opportun. L’avantage de cet indicateur est que sa manipulation par les différents acteurs est plutôt difficile. De plus, si l’auteur d’un avis révèle des informations sur son identité (nom, ville, âge) et le contexte de l’expérience (en couple, seul/e), cela affecte également la crédibilité d’un avis et de son auteur4. Ces informations permettent en effet de voir les avis précédemment publiés par cet internaute. Malgré les travaux pionniers entrepris dans cette direction, plus d’études sont nécessaires pour identifier et tester les indicateurs de contexte susceptibles d’assister les internautes dans la détection des faux avis.

Des pratiques frauduleuses qui restent rentables

Finalement, comme pour toute tentative et acte de fraude, la pratique des faux avis semble étroitement liée à la nature des mesures incitatives : dans un environnement où tout acteur sait que la meilleure stratégie est de respecter les règles du jeu et de dire la vérité, les pratiques frauduleuses perdent tout intérêt. Malheureusement, comme le montre l’exemple de Samsung, les stratégies malhonnêtes demeurent aujourd’hui plus profitables, et cela au détriment de la confiance envers tout le système. La réaction suivante à un article sur les faux avis publié sur le site du quotidien 20 Minutes illustre magnifiquement ce risque d’érosion généralisé de la confiance qu’engendre la pratique des faux avis : « De toute façon, tout (et tout le monde) est faux aujourd’hui. En quoi ou qui peut-on croire aujourd’hui… »

Quelles en sont les conséquences ? Si les pratiques frauduleuses restent rentables tandis que les stratégies de détection des faux avis s’avèrent inefficaces, les consommateurs vont se tourner vers les sources d’information qu’ils estiment crédibles, tels que leurs amis ou leurs collègues. Dans ce scénario, tous les acteurs sont perdants : les consommateurs, car leurs propres sources d’information sont probablement plus limitées que la sagesse des foules ; et les entreprises, car toute communication de recommandation entre pairs aura tendance à avoir lieu derrière des portes fermées et leur restera ainsi inaccessible et donc non observable. Un détournement des sites d’avis privera, par exemple, les entreprises d’une source importante de retours d’expériences de clients, retours qui leur permettraient de découvrir des pistes d’amélioration de leurs produits et de développement d’avantages concurrentiels.

Notes
  • 1. Association française de normalisation.
  • 2. « Attention aux faux avis ! Investigations expérimentales relatives à la détection des pratiques frauduleuses par les internautes », Andreas Munzel, Actes du 30e Congrès international de l’Association française du marketing, 2014.
  • 3. « Attention aux faux avis ! Investigations expérimentales relatives à la détection des pratiques frauduleuses par les internautes », Andreas Munzel, Actes du 30e Congrès international de l’Association française du marketing, 2014.
  • 4. « Trustworthiness at stake: experimental investigations of deception primes, assurance mechanisms and identity disclosure in online reviews », Andreas Munzel, manuscrit non encore publié, 2014.

À lire / À voir

Interactions in online review sites. Motives, effects, and management, Andreas Munzel, FGM-Verlag, 2013, 348 p., 59,15 €