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Donner du sens à la science

Science et paix

Science et paix

20.02.2017, par
Mis à jour le 27.02.2022
Après l'appel de 664 chercheurs et journalistes scientifiques russes exigeant « l’arrêt immédiat de tous les actes de guerre dirigés contre l’Ukraine », (re)lisez ce billet de l'historien Denis Guthleben sur l'engagement des savants pour la paix. Il retrace notamment l’histoire du « mouvement Pugwash », prix Nobel de la paix en 1995 et toujours actif dans la défense de la sécurité mondiale.

1870 et le triomphe de la « science germanique » – le mot est de Renan –, 1914-1918 et la Grande Guerre des chimistes, 1939-1945 et la mobilisation des physiciens… Ajoutez à cela les innombrables conflits qui ont enflammé toutes les régions du monde, et vous constaterez vite que l’histoire récente témoigne à volonté des liens unissant les scientifiques à la guerre. L’histoire plus ancienne n’est d’ailleurs pas en reste non plus. Quant à l’actualité, chacun jugera en feuilletant son quotidien ! Mais la paix, dans tout ça ? Hé bien ! ces savants déterminés, cocardiers et meurtriers – quelque chose me dit que la rédaction va encore recevoir des wagons de courriers – s’en sont aussi souciés, et 2017 fournit l’occasion de revenir sur l’une des initiatives les plus originales dans ce domaine.

Einstein, Russell et… Pugwash

Connaissez-vous Pugwash ? Il s’agit d’un village de Nouvelle-Écosse, réputé pour ses pêcheurs, ses forêts et ses mines de sel. En arrivant, des affiches vous avertiront : « World Famous for Peace ». Ce n’est pas que les « Pugwashiens » souffrent d’un problème d’ego. Leur fierté, légitime, provient de l’accueil en juillet 1957 de la première « conférence sur la science et les affaires du monde ». Hébergée par un philanthrope du cru, Cyrus Eaton, elle a réuni 22 scientifiques de renom, originaires de dix pays, dont les cinq membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU.

La première «conférence sur la science et les affaires du monde» s’est tenue dans le village canadien de Pugwash, en juillet 1957, deux ans après l’appel signé par Bertrand Russell, Albert Einstein et d’autres savants sur les dangers de l’arme nucléaire.
La première «conférence sur la science et les affaires du monde» s’est tenue dans le village canadien de Pugwash, en juillet 1957, deux ans après l’appel signé par Bertrand Russell, Albert Einstein et d’autres savants sur les dangers de l’arme nucléaire.

Mais Pugwash n’a pas été le siège de cette rencontre par hasard. Deux ans plus tôt paraissait le manifeste dit d’Einstein-Russell, un texte préparé par le mathématicien Bertrand Russell et le physicien Joseph Rotblat, qu’Albert Einstein avait signé quelques jours avant sa mort, suivi par d’autres prix Nobel dont le Français Frédéric Joliot-Curie.
 

Souvenez-vous
de votre humanité. Oubliez le reste.

Condamnant les armes de destruction massive, notamment la nouvelle bombe H, il invitait les dirigeants du monde à privilégier les solutions pacifiques dans le règlement de leurs différends, et proposait d’établir une conférence de scientifiques susceptibles d’agir dans ce sens.

Lors de sa présentation à la presse, le 9 juillet 1955, Bertrand Russell avait su trouver les mots les plus frappants : « J’adresse de la part des signataires de ce texte un avertissement à tous les gouvernements puissants du monde dans l’espoir fervent qu’ils accepteront d’autoriser leurs citoyens à survivre. » Joseph Rotblat, entré dans l’histoire dix ans plus tôt comme le seul physicien à avoir claqué la porte du projet ManhattanFermer nom du programme de recherche, né en 1939, qui aboutit à la production de la première bombe atomique, durant la Seconde Guerre mondiale, avait pour sa part insisté sur un extrait non moins percutant du manifeste : « Souvenez-vous de votre humanité. Oubliez le reste ». Dans la foulée, il avait commencé à travailler avec Cyrus Eaton à l’organisation de la première conférence.

Une stratégie payante

Celle-ci aurait dû se tenir dès 1956, mais les événements en ont décidé autrement : il a fallu attendre que s’éteigne la crise de Suez, dernier écueil en date dans la « bonne » marche du monde. Enfin réunis en 1957, les participants se sont accordés sur la création d’un mouvement permanent, qui a pris le nom du village canadien et vu fleurir partout des antennes : Pugwash-France, par exemple, est né en 1964 autour de personnalités telles que Raymond Aubrac, Alfred Kastler, André Lwoff et Jules Moch.

Le prix Nobel de la paix 1995 a été attribué conjointement au mouvement Pugwash et au physicien Joseph Rotblat (à droite), cofondateur du mouvement.
Le prix Nobel de la paix 1995 a été attribué conjointement au mouvement Pugwash et au physicien Joseph Rotblat (à droite), cofondateur du mouvement.

Surtout, les membres de Pugwash se sont entendus pour privilégier l’action sobre et discrète aux grandes manifestations publiques, une stratégie payante puisque le mouvement peut revendiquer un rôle dans l’élaboration de nombreux accords, du traité d’interdiction des essais nucléaires à la convention sur l’interdiction des armes chimiques. À la clé, l’organisation a partagé le prix Nobel de la paix avec son principal père fondateur, Joseph Rotblat, en 1995.

La fin de la guerre froide n’a effectivement pas congelé Pugwash. Non seulement le spectre d’une guerre nucléaire, loin d’avoir disparu, s’est disséminé. Et, chemin faisant, d’autres problématiques ont émergé, qui, à l’image des questions environnementales, pèsent sur l’avenir de l’humanité. Mais le cœur de métier du mouvement demeure toujours la paix. Et son ambition, de corriger un vieil adage : si vis pacem… para pacem1 !

  
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.

Notes
  • 1. Traduction : si tu veux la paix, prépare la paix. Alors que le vieil adage dit au contraire : si vis pacem… para bellum (si tu veux la paix, prépare la guerre).

Commentaires

2 commentaires

Einstein a non seulement participé à la Bombe, mais il a fait 3 enfants dont deux gravement handicapés de naissance, c'est-à-dire deux gravement mutilés par la guerre de la Vie contre la Vie. Deux personnes fabriquées pour servir les idées d'Einstein, ces deux personnes qui n'avaient évidemment pas demandé à exister, bien entendu. Comment peut-on obtenir ou désirer la paix quand on participe au "struggle for life" et surtout quand on contraint d'autres, sans vergogne, à ce combat absurde?

Bonjour, il me semble important de signaler parmi les personnes ayant été membres du CNRS, Alexander Grothendieck, qui a été un infatigable militant pour la paix. Même s'il n'a pas contribué à l'élaboration d'un traité, il a toujours cherché à mener une vie en accord avec ses idées et plus particulièrement celle de paix. Dans plusieurs de ses nombreux écrits, il s'interroge sur l'attitude à avoir, préférant adopter lui-même une position intransigeante même si elle peut paraître moins efficace à premier abord que certains compromis. En tout cas , ce sujet l'a toujours préoccupé, au point de le privilégier sur sa recherche scientifique et que sa réflexion ne puisse être résumée en quelques lignes.
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