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14-18, un monde en guerre
Édito par Antoine Prost
L’histoire s’écrit au croisement des questions et des sources. Les questions changent avec le temps, et les historiens cherchent des sources pour y répondre. Aussi l’historiographie évolue-t-elle : les récits élaborés à une époque perdent leur intérêt pour l’époque qui suit. Les « vérités » se succèdent. Ainsi n’est-il pas étonnant que le dossier que l’on va lire témoigne d’un renouvellement de l’histoire de la Grande Guerre. L’histoire diplomatique tente de dépasser la querelle des responsabilités pour démonter le fonctionnement des pouvoirs, tandis que se développent des approches plus sociologiques ou comparatives. C’est l’aboutissement d’une évolution qu’il convient de mettre en perspective. Entre 1919 et 1939, la question centrale sur laquelle travaillaient les historiens était d’identifier les responsables de cette catastrophe : elle concernait l’histoire diplomatique et militaire. Après un passage à vide, après la Seconde Guerre mondiale, l’histoire sociale a posé la question des conséquences de la Grande Guerre : pourquoi a-t-elle débouché sur des révolutions en Russie et en Allemagne ? La scène se déplace, des chancelleries, des ministères et du front vers les villes et les usines ; on n’étudie plus les armées mais les groupes de soldats.
L’ouverture de l’Historial de la Grande Guerre à Péronne en 1992 marque un double tournant. Pensé par des historiens de trois pays (la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne), il invite à dépasser les approches purement nationales. Il en résulte des colloques internationaux, quelques thèses comparatives et, en 2013-2014, la publication simultanée par l’Université anglaise de Cambridge et par les éditions Fayard d’une grande histoire trans-nationale de la guerre en trois volumes, qui n’accorde aucun chapitre à quelque nation que ce soit, mais s’intéresse aux comparaisons et aux interactions entre elles. Second tournant : l’histoire culturelle. L’expérience du front est tellement inimaginable qu’on se demande pourquoi les soldats ont tenu. Les réponses diffèrent. Les uns soulignent que les poilus consentaient à la guerre, les autres qu’ils ne pouvaient faire autrement. Ce débat franco-français, en partie dépassé, a conduit à la publication de nombreux témoignages de poilus, ainsi qu’à des études sur leur vécu, leur langage, la foi, la violence, les refus de la guerre, les constructions mémorielles. Peut-être le moment vient-il d’une démarche plus sociologique, centrée sur l’institution militaire, les rapports, différents selon les pays, entre l’armée d’active et celle de réserve, les rapports entre officiers et soldats. Bref, de passer d’une histoire des soldats à une histoire de la société militaire, une entreprise dont ce dossier atteste l’actualité.
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À propos de l'auteur
Président du conseil scientifique du centenaire de la Grande Guerre, Antoine Prost est professeur émérite au Centre d’histoire sociale du XXe siècle (CNRS/Univ. Paris-I).
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