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L’Esof célèbre la science sans frontières
Si Manchester évoque quelques-unes des plus belles pages de l’histoire du football, sa renommée dépasse largement les confins du stade d’Old Trafford. Pour ébouriffant que soit leur palmarès, Bobby Charlton et George Best ne sont pas les seuls à avoir donné à la ville ses lettres de noblesse – ni d’ailleurs les premiers. Patrie de certains des plus grands noms de la science, du physicien James Prescott Joule au mathématicien Alan Turing, Manchester s’imposait pour accueillir la 7e édition – et la première au Royaume-Uni – de l’EuroScience Open Forum en juillet dernier.
Berceau de la Révolution industrielle et du premier bébé-éprouvette, la vibrante métropole n’a pas ménagé ses efforts pour la biennale. Dès l’aéroport, des fresques vantent la vocation et les succès scientifiques de la ville, rapidement investie par les T-shirts et sacs à bandoulière aux couleurs de l’Esof. « L’organisation de cet événement est une formidable opportunité et une vitrine pour Manchester, car les participants viennent du monde entier », confie Carl Austin-Behan, le lord-maire.
Un maître mot : la collaboration
Pas moins de 3 000 inscrits en provenance de 83 pays assistent aux 150 sessions réunissant 700 intervenants issus de toutes les disciplines scientifiques. De nombreux experts, bien sûr, mais aussi des professeurs, des industriels et des décideurs, dont le but est de « collaborer dans l’intérêt de la science », comme le rappelle, lors du coup d’envoi, le maître de cérémonie et « fier mancunien » Brian Cox, professeur de physique des particules, auteur, présentateur et rock star à ses heures.
l’interface entre
la science et la
société. La science
doit se dévoiler
à la société
et continuer
à l’inspirer.
La collaboration est en effet le maître mot de l’Esof – et l’un de ses principaux objectifs, qu’il s’agisse de partager des découvertes, de leur trouver des applications pratiques ou d’établir des partenariats avec l’industrie, comme le souligne Dame Nancy Rothwell, professeure de physiologie, vice-rectrice de l’université de Manchester et marraine de l’Esof 2016. « Au fond de nos labos, il nous arrive de perdre de vue notre objectif, à savoir comprendre le monde qui nous entoure », rappelle Brian Cox à un parterre d’un millier de personnes.
Pour ce faire, aucune piste n’a été négligée, comme en témoignent le nombre et la diversité des débats autour de sujets aussi variés que le développement durable, les ondes gravitationnelles, les nanomatériaux, la médecine et le big data, sans parler des dernières avancées divulguées tout au long de la manifestation, de l’amélioration de la santé et de la longévité des brebis clonées au développement de mini-cerveaux congelés, destinés notamment à l’étude des virus Zika et HIV.
Certaines découvertes ne trouvant leur justification que dans leurs applications, l’exposition Esof, qui se tient parallèlement aux conférences, a pour but de favoriser les partenariats avec les entreprises. Plateforme entre la science et l’industrie, elle réunit des laboratoires pharmaceutiques, de grands groupes de l’énergie et des télécommunications, ainsi que des universités, agences de recherche et organismes de financement sous les hautes voûtes du Manchester Central Convention Complex. Comme aux plus beaux jours de la Révolution industrielle, cette ancienne gare jadis très fréquentée bourdonne d’activité et frémit d’excitation.
Une opération de communication et d’échange avec le grand public
L’excitation née du progrès scientifique et le désir de la partager jouent un rôle prépondérant à l’Esof. « Terrain fertile à l’échange et au développement d’idées nouvelles », selon les termes de Sir David Attenborough, chercheur naturaliste et réalisateur, le forum est aussi l’occasion pour la communauté scientifique de communiquer et d’échanger avec le public. « L’Esof est à l’interface entre la science et la société », précise Sir Mark Walport, professeur de médecine et conseiller scientifique principal du gouvernement britannique. La science doit se dévoiler à la société et continuer à l’inspirer. »
Cette volonté d’inspirer est également la raison d’être du festival Science and the City, organisé à travers la ville simultanément au forum. Une quarantaine d’ateliers ciblant des sujets d’intérêt général, tels le vieillissement, le laser ou l’impact du changement climatique sur l’alimentation, attirent chaque jour quelque 20 000 visiteurs, parmi lesquels de nombreux enfants et adolescents. Ces chercheurs en herbe y apprennent à extraire de l’ADN de fraise ou à assembler la structure alvéolaire du graphène, matériau isolé pour la première fois à Manchester et qui a valu à André Geim et Konstantin Novoselov, ses découvreurs, le prix Nobel de physique en 2010. Issus de la recherche française, les petits robots NAO, capables de s’asseoir, de se relever et de danser sur commande, font la joie des enfants de 7 à 77 ans.
Dans la même veine, le Bluedot Festival, qui se déroule à l’Observatoire de Jodrell Bank (Cheshire), à une trentaine de kilomètres de Manchester, propose des débats sur l’astronomie et des expositions interactives sur fond de concerts de Jean-Michel Jarre, Underworld et Air. Experts et universitaires y côtoient musiciens, auteurs et membres du public dans une joyeuse atmosphère. « La science est au cœur de la culture », affirme Tim O’Brien, professeur d’astrophysique, codirecteur de Jodrell Bank et responsable du festival. Nous espérons faire du Bluedot un rendez-vous annuel, un nouveau Glastonbury ! »
Au-delà des frontières géopolitiques
Un vœu partagé par Dame Nancy Rothwell. « Les manifestations publiques ont été un succès et nous pensons nous en inspirer pour organiser d’autres événements », explique-t-elle. « Manchester se réjouit de chaque occasion de tisser des liens avec le public ou de les renforcer », insiste Sir Richard Leese, dirigeant du conseil municipal. La ville, qui accueille 2 500 étudiants originaires de l’Union européenne et 10 500 autres issus du monde entier a « connu une reprise économique au cours de la décennie écoulée, grâce à des gens venus des quatre coins du globe. Elle offre aujourd’hui la même diversité que Londres ».
Européenne de cœur, la cité mancunienne se veut optimiste malgré la victoire du Brexit lors du récent référendum sur l’appartenance à l’Union européenne. « Bien que ce vote aille à l’encontre des souhaits de Manchester, nous n’avons constaté aucun impact sur l’Esof ni quoi que ce soit de concret jusqu’à présent, assure Dame Nancy. Il est plus important que jamais de saisir l’opportunité qu’offre l’Esof de débattre en profondeur de la situation inédite dans laquelle nous nous trouvons et de la meilleure façon, pour la communauté scientifique européenne, de relever les défis qui l’attendent », précisent les organisateurs. Malgré l’assurance du gouvernement britannique de préserver les bourses et le budget de la recherche, « l’essentiel n’est pas tant l’argent que la mobilité, poursuit la marraine de l’édition 2016. Les échanges internationaux – d’idées, de découvertes et de ressources humaines – sont la priorité ».
Un point de vue partagé par Sir Richard : « Le Royaume-Uni ne se retire pas de la science européenne. L’excellence scientifique repose sur la collaboration. Les chercheurs britanniques ont toujours tendu la main à leurs collègues étrangers et vice-versa. Nous voulons continuer à collaborer avec la communauté scientifique européenne et contribuer aux projets de recherche européens. »
ne sera fermée
à la science.
L’esprit humain
régnera librement
et les seules limites
seront celles
de l’imagination.
Dans cette optique, et parce que « la science est globale », des « procédures rapides et efficaces doivent être mises en place pour attirer des chercheurs étrangers », suggère Venki Ramakrishnan, président de la UK Royal Society et Prix Nobel de chimie en 2009 pour ses travaux sur le ribosome. « Si les scientifiques souhaitaient ardemment demeurer dans l’Union européenne, c’est aussi parce qu’elle leur offre la possibilité de recruter dans un large vivier », rappelle-t-il. Ce vivier incluant des chercheurs du monde entier, « il faudrait faciliter les formalités d’obtention de visas ».
Soucieux de rassurer les chercheurs d’outre-Manche inquiets des conséquences du Brexit, Lauritz Holm-Nielsen, président d’EuroScience, certifie que leurs homologues européens feront « tout leur possible pour s’assurer que leurs recherches continuent d’inclure leurs collègues britanniques » à la suite du référendum : « Aucune frontière ne sera fermée à la science. L’esprit humain régnera librement et les seules limites seront celles de l’imagination. »
Cette déclaration fait écho à la position du CNRS, exprimée par son président, Alain Fuchs, dans une lettre ouverte à la communauté scientifique du Royaume-Uni : « La recherche européenne, notre bien commun, s’est construite avec les chercheur(se)s et universitaires britanniques… Le CNRS ne peut accepter, sans faillir à ses missions, de mettre en cause des collaborations inscrites dans la durée et par là d’hypothéquer l’avenir de la recherche fondamentale ». Le CNRS propose donc une réunion au sommet entre scientifiques britanniques et français afin d’« aboutir à des propositions concrètes » pour continuer à travailler ensemble.
Rendez-vous à Toulouse
« Partager la science » sera d’ailleurs la devise de la 8e édition de l’Esof, qui se déroulera à Toulouse en 2018. L’équipe est déjà à pied d’œuvre pour préparer l’événement : « 2016 a été un succès. Nous devons maintenant mettre en valeur la culture scientifique de Toulouse », disent les organisateurs. « Nous sommes très motivés pour relever le défi. Nous avons tous les atouts pour le faire avec l’appui de nos partenaires, notre dimension européenne et internationale prononcée, l’implication de la communauté scientifique et de l’ensemble des acteurs de la science et de l’innovation qui interagissent avec la société », rappelle Anne Cambon-Thomsen, directrice de recherche émérite au CNRS et « championne » de l’édition 2018 de l’Esof.
Les organisateurs mancuniens sont tout disposés à partager leur expérience et à donner un coup de main à leurs collègues toulousains. « Nous souhaitons bonne chance à Toulouse », déclare le lord-maire. Nul doute qu’ils reprendront le flambeau avec brio. »
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Auteur
Journaliste bilingue, Valérie Herczeg dirige le service de traduction du département de la communication du CNRS.
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