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L’augmentation de la concentration de CO2 atmosphérique provoque un bouleversement des caractéristiques physico-chimiques des océans, avec des conséquences importantes pour les écosystèmes qu’ils abritent et les services indispensables qu’ils fournissent à la société. Selon un des scenarios les plus pessimistes du GIEC1 , on pourrait s’attendre à un réchauffement de la surface des océans de 3,2 °C et diminution du pH des eaux de surface de 0,3 unités d'ici 2100 (processus connu comme acidification des océans), le tout accompagné d’une augmentation de la variabilité environnementale 2. Mais quelle sera la réponse des organismes marins à ces changements ? Malgré le rôle crucial que jouent les océans dans la biodiversité et dans la régulation du climat, nos connaissances et les capacités de prédiction des impacts du changement global sur les écosystèmes marins restent très largement inférieures à celles concernant les écosystèmes terrestres.
La mer Méditerranée, à la fois hotspot de la biodiversité et du changement climatique
En mer Méditerranée, la vitesse à laquelle les changements climatiques sont observés dépasse les tendances mondiales pour la plupart des variables environnementales. À l'échelle du bassin, les températures moyennes annuelles sont à présent de 1,4 °C au-dessus des niveaux de la fin du XIXe siècle, en particulier pendant les mois d'été. La surface de la mer Méditerranée s'est réchauffée d'environ 0,4 °C au cours de chacune des dernières décennies et les vagues de chaleur estivales se produisent de plus en plus régulièrement. Le pH de l'eau y diminue actuellement plus rapidement que pour la moyenne mondiale.
Les écosystèmes côtiers marins jouent un rôle crucial en matière de biodiversité et régulation du climat. Le réchauffement et l’acidification des océans menacent des écosystèmes iconiques de la Méditerranée tels que les herbiers de posidonie ou le coralligène. La Méditerranée est considérée comme un « hotspot » de biodiversité puisqu’avec moins de 1% de la surface des océans, elle abrite environ 10 % de l’ensemble des espèces marines. Ces écosystèmes sont des habitats et des refuges pour des milliers d’espèces. Ils protègent aussi le littoral de l’érosion et nous fournissent de la nourriture et des ressources naturelles.
Légende : La Méditerranée, un point chaud de biodiversité, doit une grande partie de sa richesse exceptionnelle à deux habitats du domaine côtier, les plus typiques: l’herbier de posidonies et le coralligène. Sur cette photo, nous pouvons voir le coralligène caractérisé par la gorgone rouge (Paramuricea clavata), le zoanthide (Parazoanthus axinellae), des éponges (Chondrosia reniformis) et des poissons come le sar comun (Diplodus sargus). Profondeur : 35 m. © Pasquale Vassallo
Des laboratoires naturels pour étudier les effets du réchauffement climatique
C’est pour ces raisons que les scientifiques du projet 4Oceans-Mopga ont étudié les réponses physiologiques, écologiques et adaptatives des organismes marins benthiques (algues corallines, coraux, etc.) au réchauffement et à l'acidification des océans. L’idée est d’utiliser des sites naturels où les conditions environnementales sont durant certaines périodes semblables, voire supérieures, aux conditions moyennes de température et de pH prévues dans le futur. Le projet se base sur l’utilisation de ces laboratoires naturels pour déterminer si certaines espèces sont plus résilientes au changement global. Notre hypothèse est que les individus ou les populations vivant dans des conditions environnementales variables (par exemple, exposés à des épisodes de chaleur en été ou des conditions de pH faibles rencontrées dans des habitats naturellement acidifiés) sont généralement plus tolérants aux conditions de stress. Une attention particulière est portée sur les espèces calcifiantes qui fabriquent un squelette calcaire, telles que les algues rouges encroûtantes et les coraux méditerranéens. Leur sort est en effet particulièrement préoccupant car leur croissance repose sur la précipitation de carbonate de calcium (calcification), un processus qui diminue avec l’acidification de l'eau de mer. Or ils forment des habitats pour de nombreuses espèces et jouent donc un rôle écologique essentiel en favorisant la biodiversité et les services écosystémiques tels que la pêche, la protection de la côte et le tourisme. Une diminution de leur croissance pourrait donc avoir des répercussions majeures.
Légende : Les espèces calcifiantes, telles que les algues rouges encroûtantes et les coraux, fabriquent un squelette calcaire. Le sort des espèces calcifiantes est particulièrement préoccupant car leur croissance repose sur la précipitation de carbonate de calcium (calcification), un processus qui diminue avec l’augmentation de l'acidité de l'eau de mer. A) Algues calcifiées de couleur rose, Lithophyllum stictiforme, est l'une des espèces bioconstructrices du coralligène. Les coraux endémiques de la Méditerranée, B) Cladocora caespitosa (zooxanthellate, avec des algues symbiotiques) et C) Astroides calycularis (zooxanthellate, sans algues symbiotiques, de couleur orange foncé). Ces espèces sont l'objet du projet de recherche. © Nuria Teixido
Afin de mieux comprendre les effets de l’acidification sur les coraux, certaines des recherches se sont portées sur le corail Astroides calycularis, une espèce endémique de Méditerranée, dont il existe une population importante au sein de la grotte dite Grotte du Magicien (Grotta del Mago en italien) à proximité de Naples. Des sources de CO2 pur, d’origine volcanique, acidifient localement cette grotte à des niveaux proches de ce qui est prévu pour la fin du siècle. Si le corail se développe bien dans cette grotte, avec des épisodes de reproduction annuelle, des résultats d’analyse de leur morphologie et squelette, en comparaison avec ceux d'autres sites témoins non acidifiés, conduisent cependant à penser que la population qui vit à pH bas est soumise à des stress.
Légende : Des sources naturelles à bulles de CO2 causent une acidification locale de l’eau de mer. Les bulles sont composées à 95% de CO2. Une population naturelle du corail Astroides calycularis vit dans cet environnement. Ce site est utilisé comme laboratoire naturel pour étudier les mécanismes pour faire face aux futures conditions d’acidification. Profondeur : 5 m. © Nuria Teixido
Pendant l’année 2020, l’étude des colonies adultes de cette espèce a mis en avant une différence de morphologie des colonies mais également une différence d'ARN, concernant les gènes impliqués dans la calcification, entre les populations du site acidifié et celles du site à pH ambiant.
Cependant, peu d’études ont été menées sur les premiers stades de vie des coraux alors que la perpétuation d’une espèce et sa résilience aux perturbations dépendent de la production des larves et de leur survie.
Légende : Le corail Astroides calycularis est une espèce dioïque dont les colonies femelles couvent leurs larves jusqu'à leur maturité (internal brooder). Les larves nageantes sont relâchées dans l'environnement au début de l'été. A) Photo d'une larve d'A. calycularis d'une semaine sous loupe binoculaire. Echelle: 1 mm. B) Photo de juvéniles 3 de 9 mois élevés en laboratoire © Chloé Carbonne
Ayant eu la chance de recueillir des larves d’A. calycularis, nous avons donc cherché à comparer également deux groupes de larves : celles provenant du site acidifié et celles provenant du site à pH ambiant.
À ce stade, les premières avaient développé une acclimatation, et donc une modification phénotypique 3 réversible à l’acidification, par rapport à celles provenant du site à pH ambiant. Les larves ont ensuite été maintenues en laboratoire et nous les avons soumises à des conditions de pH différentes pendant 5 mois. Les premiers résultats ont montré une plus forte croissance des juvéniles du site acidifié, qui ont donc été exposés à un pH bas par rapport à ceux du site ambiant exposés à un pH faible en laboratoire. Reste encore à savoir si ces changements s’inscrivent dans un processus évolutif avec modification de l’expression de gènes en fonction du pH, un travail qui est toujours en cours !
L’étude de la population vivant dans des eaux naturellement acidifiées représente une opportunité unique pour comprendre les mécanismes physiologiques et génétiques mis en place pour faire face aux futures conditions d’acidification.
Légende : Des expériences ont été menées deux étés de suite en salles à température contrôlée au laboratoire d'Océanographie de Villefranche sur la tolérance et l'adaptation des larves et premiers stades de vie d' Astroides calycularis face à l'acidification des océans et de la hausse des températures. Les larves provenant de sites acidifiés et à pH ambiant ont été disposées dans différents bacs en circuit ouvert avec différentes conditions de température et de pH pendant 9 et 5 mois. Des données sur la métamorphose, la croissance, la densité du squelette et la transcriptomique ont été recueillies. © Chloé Carbonne
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Le projet de recherche 4Oceans- MOPGA est financée par l'Agence Nationale de la Recherche au titre du Programme d’Investissements d’Avenir « Make Our Planet Great Again » portant la référence ANR-17-MOPG-0001.
En savoir plus sur le projet de recherche 4Oceans- MOPGA
(1) Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat, (Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat),
(2) Variabilité environnementale : dans le contexte de changement climatique, les prévisions tendent vers une augmentation de la variabilité des paramètres environnementaux : température, pH, oxygène …
(3) Le phenotype est une modification des traits observables, par opposition au génotype, qui affecte le génome
(4) V Le stade « post-lave »