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Alors que le changement climatique devient de plus en plus tangible, connaître plus finement l’évolution de l’intensité du vent catabatique au cours du temps pourrait permettre d’affiner la qualité des modèles climatiques. La définition d’un indicateur d’intensité de ce vent de surface en Antarctique est au cœur du projet KATABATIC, mené au LSCE1.
L’évolution du climat repose sur de nombreuses variables comme, notamment, la température, la quantité de précipitation. Parmi ces variables figure également le vent, et notamment le vent catabatique, un vent de surface très intense en Antarctique. Sauf que la variabilité temporelle de ce vent est pour l’instant mal connue, au-delà du cycle saisonnier, du fait du manque d’observations continues. De ce fait, les variations du vent catabatiques ne sont pas prise en compte dans l’évolution du climat à la fin du siècle. Une meilleure compréhension du vent catabatique pourrait permettre de mieux représenter le climat de surface et son impact sur la neige soufflée, et donc potentiellement améliorer les modèles de climat et de montée du niveau de la mer.
C’est précisément le sujet des recherches menées dans le cadre du projet KATABATIC, coordonné par Anaïs Orsi, chercheuse CEA au Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (LSCE1). Il vise à comprendre la variabilité temporelle du vent catabatique en développant une méthodologie innovante pour mesurer a posteriori l'intensité de ce vent dans les carottes de glace, et ainsi fournir leur première reconstruction pour ces dernières centaines d’années.
Ces recherches sont menées en collaboration avec des scientifiques de l'Institut des Géosciences de l'Environnement2, de l’Université de Liège (Belgique) ainsi que toute l’équipe GLACCIOS3 du LSCE. Le projet KATABATIC bénéficie du soutien de l’Agence nationale de la recherche, dont l’objectif est de soutenir l’excellence de la recherche et l’innovation française sur le plan national, européen et international.
Les vents catabatiques en Antarctique sont des vents de surface extrêmement intenses et persistants. Ils diffèrent du « vent normal », qui est dû à la circulation atmosphérique de grande échelle.
« L’Antarctique est l’endroit le plus froid de la Terre. Comme la neige est très réfléchissante, l’Antarctique perd plus d’énergie par radiation qu’il n’en gagne par absorption du rayonnement solaire, détaille Anaïs Orsi. Sans les tempêtes qui amènent de l’air chaud et humide en Antarctique, sa surface va se refroidir et être plus froide que l’air. Et quand l’air est plus froid, il est plus dense. » De ce fait, l’air froid en contact avec la surface, sous l’effet de son propre poids, va simplement descendre la pente du bord de la calotte polaire, créant le vent catabatique. Il s’agit donc d’un vent généré par gravité, qui est très froid, très sec, très intense, et localisé à proximité de la surface.
Mais le système est stabilisé par « une sorte de rétroaction négative », précise la chercheuse : « Dès que le vent est fort, la couche d’air très froid se mélange avec l’air au-dessus, et devient ainsi moins dense. Du coup, les vents catabatiques se déroulent par à coup : un événement de quelques heures, puis ça se calme, et ainsi de suite. » Ainsi, ces vents ont un impact important sur les conditions climatiques à la surface de la calotte glaciaire. Ils transportent neige et humidité, affectant le bilan de masse.
Pour étudier ces vents sur le terrain, Anaïs Orsi et cinq autres scientifiques se sont rendus en Antarctique, entre novembre 2022 et février 2023 ; à l’endroit où il y a le plus de vents catabatiques. « Ça a été une expédition assez intense, avec du vent tout le temps, de la neige soufflée et du blizzard, se remémore Anaïs Orsi. Notre campement était composé de conteneurs posés sur des skis, tirés par un tracteur et nous faisions les manips dans une tente. »
Ces recherches menées in situ et de retour au laboratoire sont composées de trois volets : la définition d’un indicateur d’intensité du vent catabatique, l’observation du transport de la neige par le vent par l’installation d’une station météo en Antarctique, et de la modélisation.
Les travaux consistant à rechercher un indicateur d’intensité du vent catabatique ont été basé sur la collecte d’air extrait de la neige et sa mise en bouteilles.
« Près de la surface, quand le vent est très intense, il s’infiltre dans la neige, qui est poreuse, et il mélange l’air. En revanche, s’il n’y a pas de vent, il n’y a quasiment qu’un mouvement par diffusion moléculaire. Et dans ce cas, nous pouvons observer du fractionnement isotopique : dans l’air interstitiel du névé, les éléments ont tendance à tomber plus vite à cause de la gravité et, de ce fait, l’air à l’intérieur de cet élément poreux va se stratifier (les éléments lourds seront en bas, et les légers en haut), explique Anaïs Orsi. Par contre, si le vent est très fort, il mélange tout et il n’y a pas de stratification des différents éléments. »
Les scientifiques observent donc un élément léger, l’azote, et un élément lourd, comme le krypton ou le xénon. « L’hypothèse est que, s’il y a plus de vent, ils vont être moins séparés ; et s’il y a moins de vent, ils vont être plus séparés », résume la coordinatrice du projet KATABATIC.
Si l’équipe parvient à confirmer que cet indicateur permet de reconstituer l’intensité du vent, elle sera en mesure de restituer cette variabilité sur quelques centaines d’années grâce à une carotte de glace de 200 mètres creusée en Antarctique durant l’expédition. Ce travail est accompagné d’un aspect modélisation qui doit permettre de mesurer les propriétés du vent dans le présent, à l’échelle de quelques heures.
Le deuxième volet des recherches menées en Antarctique vise à observer la manière dont le vent transporte la neige. « Mes collègues ont pu voir comment les dunes de neige se forment et s’érodent, indique Anaïs Orsi. Par analogie avec des études faites sur le sable, nous savons qu’il y a une relation entre la forme des dunes, la vitesse du vent, la quantité de matière en suspension. » Ce volet est important pour la paléoclimatologie, car les propriétés de la neige sont prises en compte lors de l’analyse des carottes de glace.
Enfin, les scientifiques ont œuvré à l’installation d’une station météo sur le continent Blanc, avec une tour de six mètres de haut, pour pouvoir mesurer les flux turbulents générés par le vent catabatique. « Mes collègues vont partir chercher les résultats de ces mesures courant 2023 cette année », précise la scientifique.
L’ensemble des données et des prélèvements collectés en Antarctique sont actuellement en cours d’analyse. À terme, une meilleure compréhension des vents catabatiques en Antarctique pourrait permettre d’affiner la qualité des modèles qui prévoient l’évolution du climat au cours des prochaines années. « Mais avant même de les affiner, rien que l’évaluation des vents catabatiques est très importante », souligne la scientifique du LSCE.
En effet, les modèles climatiques sont très complexes et représentent la Terre entière. « Mais leur évaluation sur l’Antarctique est très lacunaire parce que très peu de scientifiques étudient les vents catabatiques. De ce fait, il n’existe que très peu de données, poursuit Anaïs Orsi. Notre travail est de fournir ces métriques d’évaluation afin que les concepteurs des modèles climatiques les intègrent dans leur paramétrisations. »
Un travail d’autant plus nécessaire que des données précises concernant l’Antarctique permettront de faire des projections plus exactes de l’évolution du niveau des mers, à laquelle contribue le continent Austral.
1 LSCE (CNRS/CEA/UVSQ), situé à Gif-sur-Yvette (91)
2 IGE (CNRS/INRAE/IRD/Université Grenoble Alpes), situé à Saint-Martin-d’Hères (38)
3 Glaces et Continent: Climat et Isotopes Stables
Cliché d’une carotte de glace prélevée lors du projet Katabatic ©Roxanne Jacob
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