Donner du sens à la science

A propos

À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches s'inscrivent dans le programme « Science avec et pour la société » de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
Pour en savoir plus, lire l'édito.

Les auteurs du blog

Par le réseau de communicants du CNRS

A la une

Surpoids et obésité : au cœur de la mitochondrie, le secret des troubles cardiaques
03.02.2025, par Romain Loury
Mis à jour le 03.02.2025

Pourquoi les personnes en surpoids sont-elles plus à risque de troubles cardiaques ? L’une des clés de ce lien délétère se trouve dans les cellules du muscle cardiaque, en particulier dans leurs mitochondries, selon les travaux de Jérémy Fauconnier, directeur de recherche dans le laboratoire montpelliérain PhyMedExp.

Lié à une alimentation déséquilibrée et à un manque d’activité physique, le syndrome métabolique se définit par un tour de taille excessif, ainsi que par la présence d’au moins deux des quatre facteurs suivants : hyperglycémie (excès de sucre dans le sang), taux de triglycérides élevé, faible taux de « bon cholestérol », hypertension artérielle. Touchant un Français sur cinq, il favorise le développement d’un diabète de type 2 et est associé à un risque accru de maladies cardiovasculaires. Parmi celles-ci, la fibrillation atriale est un dérèglement du rythme cardiaque, devenu rapide et irrégulier en raison d’une désorganisation des signaux électriques qui guident la contraction du muscle cardiaque, ou myocarde. « Du fait de la fibrillation atriale, des turbulences du flux sanguin apparaissent au sein des cavités cardiaques, plus particulièrement les oreillettes. D’où un risque de formation de microcaillots sanguins, cause principale des accidents vasculaires cérébraux  », explique Jérémy Fauconnier, directeur de recherche au laboratoire montpelliérain PhyMedExp1.

ATP et calcium, moteurs de la contraction cardiaque

C’est au sein des cardiomyocytes, cellules du myocarde, que l’équipe de Jérémy Fauconnier a exploré ce lien entre syndrome métabolique et fibrillation atriale. Dans sa ligne de mire, les mitochondries, organites cellulaires chargés de la production d’énergie, sous forme d’ATP, ou adénosine triphosphate. Pour battre à raison de 60 à 75 battements par minute, le myocarde consomme une quantité importante d’ATP (jusqu’à 6kg par jour !), pour permettre la contraction des myofilaments, constitutifs de tout muscle strié, cardiaque ou squelettique. L’ATP est produit à partir de substrats acheminés par la circulation sanguine, en particulier du glucose et des acides gras. Organe ‘omnivore’, le cœur utilise un substrat ou l’autre, en fonction de leur disponibilité au cours de la journée.

Système d’imagerie confocal couplé à une système de patch clamp permettant l’analyse dynamique des flux calciques mitochondriaux au cours de l’activité électrique des cardiomyocytes. Approche développée par Jérémy Fauconnier (CNRS) pour comprendre l’implication de la mitochondrie dans les troubles du rythme cardiaque au cours de l’obésité.  © Fabien Brette.Système d’imagerie confocal couplé à une système de patch clamp permettant l’analyse dynamique des flux calciques mitochondriaux au cours de l’activité électrique des cardiomyocytes. Approche développée par Jérémy Fauconnier (CNRS) pour comprendre l’implication de la mitochondrie dans les troubles du rythme cardiaque au cours de l’obésité.  © Fabien Brette.

Un autre élément est tout aussi crucial : le calcium, dont les flux au sein de la cellule conditionnent la contraction musculaire. Lorsqu’un signal électrique, sous forme de ‘potentiel d’action’, parvient au cardiomyocyte, il entraîne une entrée de calcium dans la cellule. Celui-ci engendre une libération massive du calcium stocké au sein d’un organite spécialisé, le réticulum sarcoplasmique. C’est ce calcium intracellulaire qui, avec l’hydrolyse de l’ATP, induit le déplacement des myofilaments, donc la contraction musculaire. La relaxation intervient lorsque le calcium regagne le réticulum sarcoplasmique et qu’une nouvelle molécule d’ATP se fixe sur les myofilaments.

Au sein de la mitochondrie, un système « variateur »

L’histoire ne s’arrête pas là, poursuit Jérémy Fauconnier : « il faut un ‘variateur’, système qui permet d’augmenter ou de diminuer la production d’énergie en fonction de la demande. L’un de ces régulateurs, c’est le couplage avec le métabolisme oxydatif : une partie du calcium libéré du réticulum sarcoplasmique est capté par la mitochondrie, où il active plusieurs enzymes impliquées dans la production d’ATP ». Or ce système est bien plus efficace lorsque l’ATP est produit à partir du glucose plutôt que des acides gras. Tel est justement le nœud du problème chez les patients atteints de syndrome métabolique, dont les apports énergétiques proviennent essentiellement de ces derniers.

Lors de son postdoctorat, Jérémy Fauconnier avait démontré que les personnes atteintes d’obésité présentaient des dysfonctionnements mitochondriaux, avec une moindre capacité de ces organites à capter le calcium - et donc à accroître la production d’énergie cellulaire lorsque cela est requis. De même, les travaux publiés en 2013 par le Pr David Montaigne, chef du service de physiologie & explorations fonctionnelles cardiovasculaires du CHU de Lille, ont révélé une dysfonction mitochondriale chez des patients développant une fibrillation atriale suite à une opération chirurgicale.

C’est lors d’un échange entre les deux chercheurs, en 2017, qu’est née l’idée d’élucider les raisons de l’altération des flux mitochondriaux de calcium chez ces patients. Menés dans le cadre du projet CALMOS2, financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), ces travaux publiés en 20223 ont confirmé, dans un modèle de souris en surpoids et prédiabétique ainsi que chez des patients atteints de fibrillation atriale postopératoire, que les troubles mitochondriaux étaient liés à une baisse de la capacité de ces organites à capter le calcium, et donc à adapter la production d’énergie à la demande.

Le complexe MCU, canal calcique mitochondrial

A l’origine de ce moindre flux de calcium, un remodelage du complexe protéique MCU (Mitochondrial Calcium Uniporter), canal qui permet son passage à travers la membrane interne de la mitochondrie. Outre les protéines formant le pore, le MCU compte deux protéines, dénommées MICU1 et MICU2, qui contrôlent la sensibilité au calcium de ce canal, agissant ainsi comme des vigiles (ou « gatekeepers »). Par fixation d’ions calcium, elles activent l’ouverture du canal, donc l’entrée du calcium dans la mitochondrie.

Lors d’un syndrome métabolique, chez la souris ou chez l’homme, les chercheurs ont découvert que le complexe MCU était enrichi en protéine MICU1. Dans les cas les plus sévères, par exemple chez des souris obèses et diabétiques, le niveau de MICU2 est à son tour affecté. Les chercheurs ont par ailleurs montré que cette moindre capacité de la mitochondrie à capter du calcium était liée à une baisse d’activité de la pyruvate déshydrogénase, enzyme dont l’activité dépend du calcium mitochondrial et qui régule le flux glycolytique pour la production d’ATP.

Lors de ces travaux, l’équipe s’est également penchée sur le kaempférol, polyphénol présent dans certains fruits et légumes, dont les fraises et les brocolis. Selon Jérémy Fauconnier, « il a été rapporté que le kaempférol pouvait augmenter la capacité de la mitochondrie à capter du calcium, mais on ignorait par quel mécanisme. Par des études in vitro et sur l’animal, nous avons montré qu’il augmentait la probabilité d’ouverture du complexe MCU, agissant ainsi comme un activateur. Son potentiel thérapeutique est intéressant, et nous travaillons actuellement sur la manière dont il interagit avec le complexe MCU pour optimiser son efficacité ». Dans l’objectif, à terme, d’élaborer des médicaments permettant de normaliser le flux calcique, et donc de traiter la fibrillation atriale.

-------------------------------------------------------------------------------

Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre de l'ANR CALMOS - AAPG2018. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Science Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI JCJC et PRC AAPG 18/19).

 

Notes
  • 1. Physiologie et médecine expérimentale du cœur et des muscles. Unité CNRS / Université de Montpellier / Inserm
  • 2. Nom complet du projet : Homéostasie calcique mitochondriale dans le contrôle des troubles du rythme associés à la cardiomyopathie métabolique. https://anr.fr/Projet-ANR-18-CE17-0003
  • 3. Enhanced Mitochondrial Calcium Uptake Suppresses Atrial Fibrillation Associated With Metabolic Syndrome, Fossier et al., J Am Coll Cardiol. 2022 Dec 6;80(23):2205-2219. doi: 10.1016/j.jacc.2022.09.041