Donner du sens à la science

A propos

Construire un terrain de partage et de discussion autour des secrets de l’organe le plus complexe et mystérieux du vivant : tel est le but de ce blog dédié au cerveau. Des chercheurs en neurosciences y décryptent les avancées les plus importantes et prodigieuses, et vous emmènent à la découverte du système nerveux, de ses fonctions et de ses mystères. Lire ici l'éditorial du blog.
  
Contact : Giuseppe Gangarossa, giuseppe.gangarossa@univ-paris-diderot.fr
Twitter : @PeppeGanga

Les auteurs du blog

Giuseppe Gangarossa et de nombreux chercheurs en neurosciences
Maître de conférences à l’université Paris Diderot et membre de l'Unité de biologie fonctionnelle et adaptative, Giuseppe Gangarossa anime ce blog qui fédère des spécialistes de tous les horizons des neurosciences.

A la une

Étudier le sommeil de l’éléphant pour mieux comprendre le nôtre ?
12.06.2017, par Alexandra Gros, chercheuse post-doctorante à l’université d’Edimbourg
Une récente étude révèle que ces grands mammifères dotés d’une mémoire légendaire ne connaissent que de courtes phases de sommeil. Cette découverte étonnante pourrait aider l’Homme à trouver de nouvelles stratégies face à l’insomnie. Les explications du blog « Aux frontières du cerveau ».

Le sommeil est un état naturel spontané et réversible de perte de conscience qui fait partie des fonctions vitales de l’organisme et qui se caractérise par une diminution progressive des principales fonctions telles qu’une réduction de l’activité motrice, un ralentissement de la fréquence cardiaque et une discontinuité de l’activité cérébrale. Le sommeil se décompose en trois phases : le sommeil lent léger, le sommeil lent profond et le sommeil paradoxal ou sommeil à mouvements oculaires rapides. Le sommeil et ses fonctions font l’objet de nombreuses études chez les mammifères, mais cette fonction vitale reste encore aujourd’hui très mystérieuse (Siegel, 2005) !

En mars dernier, une nouvelle étude publiée dans la revue Plos One (Gravett et al., 2017), montre que les éléphants seraient les plus petits dormeurs de tous les mammifères.

© Laurent Baheux
© Laurent Baheux

Une étude novatrice dans un environnement naturel
Ces grands mammifères ont toujours fasciné les scientifiques par leurs incroyables capacités cognitives (empathie, utilisation d’outils pour prendre soin de leur corps, reconnaissance de soi, mémorisation, coopération, faculté de communication, théorie de l’esprit, et plus encore). Leur sommeil a également fait l’objet de nombreuses études mais qui n’avaient permis d’obtenir que des estimations grossières de leur temps de sommeil. Les données existantes indiquaient, en effet, que leurs phases de sommeil ou de repos étaient plus fréquentes entre 22 heures et 7 heures du matin. Néanmoins, le problème majeur de ces études est qu’elles ont été réalisées en grande majorité sur des animaux captifs, c’est-à-dire avec un accès garanti en eau et en nourriture et sans risque de prédation. Or, certaines études suggèrent qu’un animal dort beaucoup moins dans son milieu naturel, soumis aux pressions environnementales, que dans des conditions artificielles (Rattenborg et al., 2008; Truett & Cicchetti, 1976).

Dans cette nouvelle étude, les scientifiques de l’université de Witwatersrand (Afrique du Sud) ont suivi, pendant 35 jours, deux éléphantes du parc national de Chobe, au Botswana, équipées d’un implant sous-cutané contenant un actimètre au niveau de la trompe, organe qui reste posé sur le sol lors des phases de sommeil. Ce dispositif permet de quantifier les mouvements de la trompe et donc de déterminer les phases de sommeil des animaux. Les éléphantes ont été également équipées d’un collier standard composé d’un système GPS afin de suivre les mouvements et la position des animaux, et d’un gyroscope afin de détecter la position (debout ou couché) des animaux lors de leurs phases de sommeil.
 
L’éléphant, champion de l’insomnie
Les auteurs ont montré que chez ces deux éléphantes, la durée de sommeil au cours d’une journée est d’environ 2 heures, une durée bien moindre par rapport à ce qui avait été précédemment observé chez ce mammifère. Ceci représente, à ce jour, le plus court temps de sommeil enregistré chez les mammifères. Par ailleurs, les auteurs ont observé que, pendant les 35 jours de l’étude, les éléphantes n’avaient pas dormi durant 4 jours non consécutifs, entraînant des périodes d’éveil d’environ 46 heures, périodes durant lesquelles elles s’étaient révélées particulièrement actives. Ces périodes sans sommeil semblent avoir été provoquées par des pressions environnementales telles que la présence d’un prédateur ou d’une activité humaine importante (braconnage notamment). Néanmoins, durant la nuit suivant la restriction de sommeil, les deux éléphantes n’ont pas pour autant rattrapé le sommeil perdu et n’ont pas semblé être affectées par ce manque de sommeil.

Ces résultats sont en adéquation avec les observations précédentes sur les mammifères herbivores qui ont montré que plus ils sont grands, plus ils passent de temps à manger pour récupérer suffisamment d’énergie, et moins ils dorment. Par ailleurs, les épisodes courts de sommeil de ces deux éléphantes pourraient également être une adaptation aux pressions de l’environnement et notamment la prédation, surtout pour deux matriarches qui sont à la tête d’un groupe composé de femelles et d’éléphanteaux. En effet, le rôle d’une matriarche, femelle la plus âgée du groupe qui détient le savoir et notamment la mémoire des routes migratoires, étant de guider et de protéger le reste du groupe, il est possible qu’elles restent beaucoup plus en alerte que les autres membres du groupe.
 
Le sommeil des éléphants, un sommeil polyphasique
Les auteurs ont également observé que le sommeil des éléphantes n’était pas continu mais qu’il se décomposait en réalité en plusieurs phases de sommeil (en moyenne 5 phases) au cours de la nuit. En effet, le sommeil des éléphantes se composait d’une phase principale de sommeil d’environ 1 heure et de plusieurs autres phases de sommeil plus courtes d’environ 20 minutes qui surviennent principalement avant la phase principale de sommeil. De plus, les auteurs ont observé des phases courtes de sieste au cours de la journée. Ces résultats indiquent que les éléphants font partie des animaux au sommeil polyphasique, c’est-à-dire qui présentent un sommeil réparti en plusieurs épisodes au lieu d’un seul épisode (sommeil monophasique). Ce mode de sommeil en plusieurs épisodes se retrouve d’ailleurs chez de nombreuses espèces animales. Il semblerait même avoir été courant dans l’espèce humaine, sous forme biphasique, avant l’ère industrielle et la généralisation de l’éclairage continu (Brown, 2006).
 
Le sommeil des éléphants, un paradoxe
Grace au gyroscope présent dans le collier des éléphantes, les auteurs de cette étude ont observé que celle-ci dormaient principalement dans la position debout et très rarement en position couchée, environ tous les 3 ou 4 jours (14 % du temps total du sommeil). Etonnamment, ces courts épisodes de sommeil dans la position debout ne permettraient pas aux éléphants d’accéder au sommeil paradoxal, pourtant considéré selon certaines études comme essentiel pour la récupération cérébrale ainsi que pour la consolidation mnésique. Il semblerait que le sommeil paradoxal ne soit alors atteint que tous les 3 ou 4 jours lors des phases de sommeil en position couchée. Une découverte surprenante lorsque l’on connaît la mémoire légendaire des éléphants ! Comment alors expliquer leur exceptionnelle mémoire, alors que les éléphants ne présentent que très peu de phases de sommeil paradoxal ? Cette question reste aujourd’hui ouverte.

© Lorena Kaz
© Lorena Kaz

Un espoir pour l’amélioration du sommeil chez l’Homme ?
Comprendre comment les animaux dorment est important pour aider à leur compréhension mais aussi pour le développement de nouvelles stratégies de conservation. Le sommeil est un mécanisme biologique vital mais dont la fonction reste toujours mystérieuse et qui présente de nombreuses différences entre les espèces : certains animaux dorment beaucoup, d’autres très peu, d’autres en une seule fois alors que d’autres comme l’éléphant dorment en plusieurs épisodes plus ou moins longs. Ces informations permettent donc également de mieux comprendre le sommeil et de découvrir de nouvelles informations qui pourraient contribuer à améliorer le sommeil chez l’Homme et élaborer de nouvelles stratégies de sommeil, dans le cas d’insomnie par exemple. Le sommeil polyphasique n’est d’ailleurs pas rare chez les personnes âgées et est plus fréquent dans certaines pathologies neuronales comme les démences. De plus, le sommeil polyphasique est également expérimenté pour les personnes dont les activités exigent des périodes de vigilance rapprochées telles que les militaires, les médecins ou encore les navigateurs solitaires. L’étude du sommeil polyphasique, chez l’animal qui l’utilise, pourrait donc permettre de mieux comprendre ce type de sommeil et notamment ses effets positifs et/ou négatifs sur les fonctions cognitives et physiques qui restent à ce jour inconnus. 
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Références

  1. Brown, W. A. (2006). Acknowledging Preindustrial Patterns of Sleep May Revolutionize Approach to Sleep Dysfunction | Psychiatric Times. Retrieved from http://www.psychiatrictimes.com/sleep-disorders/acknowledging-preindustr...
  2. ​Gravett, N., Bhagwandin, A., Sutcliffe, R., Landen, K., Chase, M. J., Lyamin, O. I., … Manger, P. R. (2017). Inactivity / sleep in two wild free-roaming African elephant matriarchs – Does large body size make elephants the shortest mammalian sleepers ? PLoS ONE, 1–33. http://doi.org/10.1371/journal.pone.0171903
  3. Rattenborg, N. C., Voirin, B., Vyssotski, A. L., Kays, R. W., Spoelstra, K., Kuemmeth, F., … Wikelski, M. (2008). Sleeping outside the box: electroencephalographic measures of sleep in sloths inhabiting a rainforest. Biology Letters, 4(4), 402–405. http://doi.org/10.1098/rsbl.2008.0203
  4. Siegel, J. M. (2005). Clues to the functions of mammalian sleep. Nature, 437(7063), 1264–1271. http://doi.org/10.1038/nature04285
  5. Truett, A., & Cicchetti, D. V. (1976). Sleep in mammals: ecological and constitutional correlates. Science, 194(4266), 732–734. http://doi.org/10.1126/science.982039

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Alexandra Gros est docteure en neurosciences (Institut des neurosciences Paris-Saclay). Au cours de sa thèse, elle s’est intéressée au rôle de la neurogenèse adulte hippocampique dans les processus d’apprentissage et de mémoire, notamment épisodique. Alexandra est actuellement chercheuse post-doctorante à l’université d’Édimbourg où elle étudie comment la mise en mémoire et la persistance de souvenirs d’événements de la vie courante peuvent être affectées par un apprentissage ultérieur. Pour cela, elle cherche à élucider les mécanismes moléculaires et cellulaires sous-tendant ces processus, notamment via des mécanismes de « tagging » des neurones et synapses en utilisant l’expression des gènes immédiats précoces.
 

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