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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

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Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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‘Il est craintif comme un homme qui ne connaît pas la bière’
30.06.2021, par Cécile Michel
Mis à jour le 30.06.2021

Ce proverbe sumérien illustre l’importance qu’avait la bière, principal breuvage au Proche-Orient antique. A l’heure où les cafés et les restaurants rouvrent leurs portes profitant d’une accalmie dans la pandémie de coronavirus, faisons un retour sur la première boisson consommée par les Mésopotamiens.

Lorsqu’Enkidu, le futur ami de Gilgamesh, est amené à la civilisation par Shamhat, la prostituée, il goûte au pain et à la bière, des aliments fabriqués par l’homme : « Mange le pain, Enkidu, c’est bon pour les dieux. Bois la bière, c’est bon pour les rois ! Enkidu mangea du pain à satiété, et il but de la bière : sept jarres pleines ! » L'homme se sent alors apaisé et détendu. Pain et bière, tous deux faits d’orge, sont à la base de l’alimentation mésopotamienne.

Les signes pour désigner la bière et le brasseur figurent déjà dans les textes les plus anciens datés de la fin du IVe millénaire av. J.-C. Le premier ressemble à une grosse jarre à fond pointu et au goulot étroit permettant la fermentation de la boisson. En effet, la recette de la bière a été mise au point par les Sumériens. Les textes administratifs et les listes de vocabulaire proposent une grande variété de bières selon leur préparation, leur goût, leur qualité, leur degré d’alcool ou encore leur âge. Le nom de la bière sert occasionnellement comme un terme générique pour désigner toute boisson fermentée.

Un hymne à la déesse de la bière, Ninkasi, rédigé au début du IIe millénaire, donne la recette de ce breuvage étape par étape. Les céréales, généralement de l’orge, sont germées et maltées en milieu humide. Le maltage est stoppé et on fabrique des galettes de malt qui sont entreposées dans un cellier. Ensuite, ces tourteaux sont émiettés dans l’eau et chauffés, avec des produits aromatiques. Le tout fermente par l'ajout de levures. Comme aujourd'hui, les drêches de brasserie servent de complément alimentaire pour les animaux.

Dans plusieurs palais de cette époque exhumés à Tell Leilan ou Chagar Bazar (Syrie), des archives témoignent des activités du bureau de la bière. On y trouve les ingrédients livrés pour le brassage de la bière : orge, malt, purée de malt et céréales concassées, pain de bière, etc. Y figurent également les quantités nécessaires à la fabrication des différentes qualités ; pour un litre de bière de qualité supérieure, il faut 1,5 litre de céréales, tandis que pour un litre de bière de qualité inférieure, la quantité de céréales est de 0,25 litre. La bière est destinée au cellier ou directement servie à la table du maître des lieux. Sur le site de Tell Bazi, les archéologues ont mis au jour des installations de brasserie dans les maisons, et les dépôts à l’intérieur de certaines jarres leur ont permis de reconstituer les ingrédients contenus dans la bière.

Les archives des marchands assyriens découvertes en Anatolie centrale (XIXe siècle av. J.-C.) documentent la confection, par les femmes, du malt préparé à partir d’orge ou de grains de blés germés, séchés et concassés, et du pain de bière confectionné à partir de différentes variétés d’orge non germé. De fait, même s’il est possible d’acheter des jarres de bière, la production de bière apparaît comme une occupation domestique, quotidienne et féminine. Une femme écrit à son époux : « Quant aux pains de bière à propos desquels tu m’avais écrit, assurément le pain de bière a été fait, et il est tout à fait prêt », tandis qu’un marchand écrit à sa femme : « Trempe 10 sacs de malt et 10 sacs de pains de bière pour faire (de la bière). »

Il est également possible d’aller boire un pichet de bière à la taverne, un établissement tenu par une femme. La ‘maison de la cabaretière’ est parfois considérée comme un lieu mal famé comme l’explique le grand roi Samsî-Addu dans une lettre adressée à son fils, roi de Mari (Syrie) : « C’est avec des domestiques que tu t’es mis à dépenser plus que tu n’as et à gaspiller ! Allons ! Ne sois pas un bébé ! Ils (ne) viennent à toi (que) pour…, pour se débaucher, pour la maison de la cabaretière et pour les concerts ! » Le métier de cabaretière fait l’objet de plusieurs articles dans le Code de Hammurabi : sa boutique sert de petit commerce mais également de lieu de rassemblement pour les complots.

Lors des fêtes, la bière coule à flots, ou encore plusieurs convives partagent un même récipient dans lequel ils boivent à l’aide d’un chalumeau filtrant fait d’une tige végétale ou en métal. Certains individus ivres, entonnent des chansons à boire, d’autres promettent mariage, alliance ou transaction « dans leur ivresse de bière », aussitôt oubliées une fois dégrisés.

Un proverbe sumérien relatif au voyage insiste sur le plaisir d’une bière désaltérante en déplacement : ‘Le plaisir - c'est la bière ! L'inconfort - c'est le voyage !’ C’est un plaisir que nous pouvons de nouveau goûter cet été.
 

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