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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

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Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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Lire et écrire, une affaire d’hommes… et de femmes en Mésopotamie
29.10.2022, par Cécile Michel
Mis à jour le 29.10.2022

L’histoire de la Mésopotamie antique repose sur plus d’un million de textes cunéiformes exhumés à ce jour. Jusque vers la fin du 20e siècle de notre ère, cette histoire est avant tout une histoire d’hommes fondée sur des textes antiques principalement écrits par des hommes. Pourtant, les assyriologues disposent d’un nombre non négligeable de textes écrits par des femmes, des sources directes qui permettent de préciser leur place dans la société mésopotamienne.

L’auteur, ou plutôt l’autrice la plus ancienne connue dans l’histoire de l’humanité est la prêtresse Enheduanna, fille du roi Sargon d’Akkad, qui vécut à Ur au 23e siècle av. J.-C. Elle est représentée sur un disque d’albâtre inscrit entourée de prêtres. Cette femme consacrée au dieu Lune Sîn a laissé des hymnes à la déesse Inanna ainsi que des hymnes à des temples connus par des copies de la fin du troisième millénaire. Néanmoins, quelques savants se demandent si elle a écrit ces hymnes elle-même ou si quelqu'un les a écrits pour elle.
Disque d'EnheduannaDisque d'Enheduanna

Cela est probablement dû au fait que la quasi-totalité des scribes attestés dans les textes sont des hommes. Or, non seulement des femmes scribes sont aussi attestées, mais en outre, selon le contexte et l'époque, certaines femmes étaient manifestement capables de lire et écrire, tout comme certains hommes. Ce sont dans des milieux où les hommes étaient peu nombreux que les femmes scribes sont les mieux représentées. Pour le début du deuxième millénaire av. J.-C. il s’agit par exemple de la population féminine des palais et des communautés de femmes consacrées.

Dans le palais de Mari (Moyen Euphrate, Syrie) vivaient plus d’un demi-millier de femmes sous le règne du roi Zimrī-Lîm (1775-1761 avant notre ère). Outre les femmes de la famille royale, de nombreuses esclaves étaient en charge de l’entretien et de l’approvisionnement : elles comptaient en leurs rangs neuf femmes scribes. Trois d’entre elles ont rédigé des centaines de tablettes enregistrant les sorties quotidiennes d’aliments des magasins du palais pour les repas du roi.

A Sippar (Irak du centre), des jeunes filles de familles aisées étaient consacrées au dieu Soleil Shamash. Il leur était interdit de se marier et d’enfanter ; elles recevaient, lors de leur consécration, une dot incluant des terres qu’elles géraient à leur guise. Elles avaient usage de l’écrit pour acheter, vendre ou louer leurs terres et pour correspondre avec leur famille. Pour ce faire, certaines employaient des femmes scribes, consacrées ou non, qui rédigeaient des contrats impliquant souvent hommes et femmes.  D’autres religieuses rédigeaient elles-mêmes leurs tablettes.

Les femmes scribes recevaient la même éducation que les hommes. Quelques textes scolaires signés par des apprenties-scribes montrent en effet que celles-ci pouvaient atteindre un niveau d’étude avancé consistant en la copie de textes littéraires en sumérien.

En d’autres lieux et d’autres milieux, les garçons et les filles pouvaient apprendre les bases de la lecture et de l’écriture à la maison, par un parent ou autre membre de la famille, ce qui leur permettait de rédiger des notices comptables, des memoranda, ainsi que leur correspondance. C’est vraisemblablement le cas dans certaines familles marchandes d’Assur au 19e siècle av. J.-C. ; les lettres envoyées depuis cette ville ont été découvertes à Kültepe, l’antique Kanesh, au cœur de l’Anatolie, choisie comme comptoir de commerce central par les Assyriens.

Les 23 000 tablettes cunéiformes découvertes dans la ville basse ont été largement exploitées pour leurs riches données sur le commerce et les marchés avec d'importantes innovations financières, et les activités et la vie de plusieurs marchands masculins ont fait l'objet d'études détaillées. Certaines femmes assyriennes, résidant à Assur et connues par les lettres qu'elles envoyaient à Kanesh, sont particulièrement visibles dans ces manuscrits d’argile. Demeurées de longs mois seules dans la cité-Etat à gérer leur maisonnée et produire des étoffes pour le commerce international, elles sont les autrices de plusieurs centaines de lettres mêlant questions financières et domestiques. Ces femmes utilisaient l'écriture comme outil de communication et leurs lettres montrent une certaine expression des sentiments. Comme en témoignent des documents comptables et les études paléographiques de quelques tablettes, certaines de ces femmes écrivaient elles-mêmes leurs lettres.

Ces données, bien que fragmentaires et liées à des groupes sociaux spécifiques permettent de compléter nos connaissances sur le rôle tenu par les femmes dans la société mésopotamienne et de le comparer à celui des hommes. Grâce à ces tablettes cunéiformes, il est possible de faire entendre la voix de ces femmes antiques instruites et qui jouissaient d’une certaine autonomie.

 

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