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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

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Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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Ougarit, un site syrien fouillé depuis 90 ans
24.11.2019, par Cécile Michel
Mis à jour le 24.11.2019

C’est en 1929 que C. Schaeffer entame une exploration du site archéologique du tell Ras Shamra (la colline aux fenouils), l’antique ville d’Ougarit, un mois après avoir commencé la fouille de son port sur la Méditerranée, Mahadu (Minet el-Beida), au nord de la ville moderne de Lattaquié.

Interrompues pendant la seconde Guerre Mondiale, les fouilles font, depuis 1999, l’objet d’une mission conjointe franco-syrienne, sous la direction pour la partie française de V. Matoïan. En 2011, l’équipe française a dû suspendre les opérations sur le terrain, poursuivies pour la partie syrienne par Khozama al-Bahloul, et se concentrer sur la numérisation et l'exploitation scientifique des archives de la fouille, la documentation cartographique et la publication du matériel.

Un colloque international vient de se tenir à Paris pour célébrer les 90 ans de l’exploration archéologique d’Ougarit, et le Musée du Louvre présente une exposition-dossier sur ce site. Les archives de la mission C. Schaeffer ont fait l’objet d’une exposition au Collège de France en 2016, et l’année suivante un colloque a été consacré à la société et la religion à Ougarit.

Occupé dès l’époque néolithique (VIIIe millénaire), le site de 27 hectares est habité en continu jusque vers 1180, date de sa destruction par les « Peuples de la Mer ». La ville est mentionnée par les textes cunéiformes découverts à Ebla et à Mari (18e siècle). Zimrî-Lîm, roi de Mari, a entrepris un long voyage jusqu’à Ougarit, suivi de sa cour. C’est alors une ville commerçante faisant le lien entre l’Égypte, Chypre, la côte égéenne, la Syrie intérieure et l’Anatolie. Parmi la correspondance découverte dans les archives du Pharaon Amenhotep IV à Akhetaton (El-Amarna) figurent des lettres en cunéiforme envoyées par des souverains d’Ougarit (ca. 1350). Tout d’abord sous la domination du Mittani, le royaume d’Ougarit subit l’influence de l’Egypte avant de payer tribut aux Hittites.

Les ruines mises au jour correspondent à la dernière phase de l’histoire d’Ougarit qui va de la fin du 14e au début du 12e siècle avant notre ère. Le site comprend alors, au nord-ouest le palais royal, sur l’acropole, les temples de Ba’al et de Dagan et la maison du Grand Prêtre où ont été découverts la plupart des textes littéraires et mythologiques. En contrebas se trouvent des quartiers résidentiels structurés en îlots. Ougarit est alors un petit État levantin florissant grâce au commerce, dont l’histoire politique, économique est religieuse au Bronze Récent est documentée par environ 4 500 tablettes cunéiformes. On connaît les noms des huit rois qui se sont succédés sur le trône d’Ougarit, tous vassaux du roi hittite. Le roi Niqmepa participa aux côtés des hittites à la célèbre bataille de Qadeš contre l’Egypte (ca. 1274 avant notre ère), et les relations commerciales entre la capitale hittite et Ougarit s’intensifièrent via le port d’Ura, sur la côte sud de l’Anatolie, en Cilicie. Les revenus du royaume reposaient sur l’agriculture, avec la culture de céréales, de vignes et d’oliviers, ainsi que sur le commerce, animé par des marchands locaux au service du souverain et de nombreux marchands étrangers. La richesse du mobilier exhumé à Ougarit, en particulier dans le palais, témoigne de cette vitalité des échanges, on note par exemple la présence de nombreux objets délicatement sculptés dans de l’ivoire d’hippopotame et d’éléphant.

Les sources textuelles d’Ougarit reflètent la présence de nombreux étrangers dans la ville. En effet, à côté de textes écrits en ougaritique, langue sémitique de l’ouest utilisant un alphabet cunéiforme qui lui est propre, figurent des textes rédigés à l’aide de l’écriture cunéiforme syllabique en akkadien, hittite et hourrite. D’autres textes en égyptien hiéroglyphique et en chypro-minoen, renforcent cette impression d’une ville cosmopolite et très certainement du bilinguisme et bi-graphisme des scribes d’Ougarit. Les archives administratives et la correspondance locale étaient rédigées en ougaritique de même que les mythes locaux, en revanche la correspondance internationale, les affaires judiciaires et la littérature mésopotamienne étaient écrits en akkadien.
Cycle de Ba'al. Musée du Louvre.Poème mythologique, Cycle de Ba'al, Musée du Louvre. Photo: M. Esline.

Ces textes documentent la religion pratiquée à Ougarit et le panthéon qui lui est propre. A sa tête se trouve le dieu El, dieu de la sagesse et de la connaissance. Il est assisté du dieu de l’Orage Ba’al, maître de la végétation et des saisons, de la fécondité et de la jeunesse, dont les pouvoirs sont détaillés dans le Cycle de Ba’al. Dans la Bible, Ba’al est perçu comme un dangereux concurrent pour Yahweh. Ba’al a pour sœur Anat, qui vient régulièrement en aide à son frère, en particulier dans le combat de ce dernier contre Môt, dieu de la Mort. Il a pour épouse Athtart (l’Ishtar akkadienne), déesse de l’amour et de la guerre. La religion ougaritique partage des points communs aux religions cananéennes.

Malgré l’importance de ce site levantin, Ougarit ne figure que sur les listes indicatives de l’Unesco  depuis 1999. Ce serait un beau cadeau d’anniversaire que d’accueillir enfin ce site comme faisant partie du patrimoine mondial.

 

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