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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

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Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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Le couvre-chef des femmes : Le genre des vêtements (3)
13.12.2021, par Cécile Michel
Mis à jour le 13.12.2021

Se couvrir la tête – ou non – peut avoir une dimension sociale, religieuse, être un marqueur de genre ou tout simplement être lié au climat. L’iconographie mésopotamienne montre une grande variété de couvre-chefs pour les hommes et les femmes : couronne, bonnet, polos, turban, écharpe… et tiare à cornes pour les divinités. Des textes cunéiformes suggèrent que, dans certaines circonstances, les femmes pouvaient se couvrir la tête d’un simple foulard.

Un hymne akkadien pour la déesse Ishtar relève, parmi les habitudes vestimentaires des femmes, celle de  porter sur la tête des tissus multicolores. Il en va de même du « Premier serment militaire », un texte du IIe millénaire av. J.-C. rédigé en hittite, une langue indo-européenne. Tout soldat qui romprait le serment y est menacé d’être ridiculisé en étant transformé en femme. Cette transformation implique entre autres « qu’on lui mette un foulard sur la tête ».

La question de savoir si les femmes se couvraient la tête a fait l’objet de nombreux débats en raison des échos importants que ce thème peut avoir dans notre société contemporaine. Des textes cunéiformes du IIe millénaire av. J.-C. suggèrent qu’en certaines circonstances, les femmes avaient la tête couverte. Au XIXe siècle chez les Assyriens, avant la cérémonie du mariage, le père de la promise ou encore un membre masculin de sa famille, recouvrait sa tête, apparemment pour que le marié puisse la découvrir. Ce geste traditionnel symbolisait peut-être le changement de statut de la femme. Cela ne signifiait pas pour autant que toute femme mariée devait se couvrir la tête au quotidien.

Cette coutume est également attestée dans la famille royale de Mari, sur le Moyen-Euphrate au XVIIIe siècle. Lors du mariage du roi Zimri-Lîm avec la princesse Shibtu, originaire du Yamhad à l’Ouest, un émissaire était venu organiser la cérémonie avec la famille de la mariée. Une fois les deux familles d’accord, l’émissaire pu offrir les cadeaux de la famille du marié et couvrit la tête de la princesse, un geste symbolique lié au mariage.

La littérature poétique confirme la relation entre mariage et foulard féminin. Dans une composition liturgique qui lui était dédiée, Inanna déclarait : « Je ne suis pas la fiancée de l’Urukéen. Je suis une adolescente. Pourquoi m’a-t-on couvert la tête ? »

L’iconographie du troisième millénaire et de la première moitié du deuxième millénaire représentant des femmes de l’élite et de la sphère religieuse, montre une grande variété de coiffures féminines. Ces femmes sont parfois représentées tête nue, les cheveux maintenus par un simple bandeau.
Musée du Louvre

Au XVIe siècle, le foulard comme accessoire vestimentaire féminin intègre les lois assyriennes. Le §40 indique que les femmes mariées devaient se couvrir la tête, de même que les femmes non mariées de bonne famille. Cette coutume n'était pas seulement un marqueur de genre, mais aussi un signe extérieur pour les femmes d’un certain niveau social. Il s’agissait à la fois d’un devoir imposé aux femmes honorables et d’un privilège. En effet, les prostituées et les esclaves devaient être tête nue, elles n’avaient pas le droit de se couvrir la tête. Lorsqu’elles le faisaient, elles étaient punies car elles usurpaient un statut qui n’était pas le leur.

Cette obligation de se couvrir la tête pour les femmes mariées qui apparaît dans la seconde moitié du IIe millénaire avait peut-être pour but de les protéger contre le viol et l’adultère : par cet accessoire elles faisaient connaître leur condition d’épouse. On ne trouve guère d’écho de cette loi dans les représentations de femmes, mais il est vrai que celles-ci sont rares à cette époque.

L’historien qui étudie les sources anciennes doit rester prudent et ne peut tirer de conclusions hâtives d’un ou d’une poignée de textes sans en étudier le contexte social, régional ou politique, ainsi que son éventuel auteur ou initiateur.