A la une
Les archéologues sont de retour en Irak. Tout d’abord dans le Kurdistan irakien depuis le milieu des années 2000, ils ont aussi repris leurs activités dans le sud du pays où ils font des découvertes importantes. Les fouilles archéologiques et les travaux de restauration se multiplient dans un pays qui a été ravagé par des décennies de guerres.
Dans le sud du pays, les britanniques, en coopération avec une équipe locale, ont mis au jour sur le site de Tello, l’ancienne Girsu, le temple du dieu Ningirsu construit par le roi sumérien Gudea (22e siècle av. J.-C.), ainsi qu’une grande boulangerie rattachée à celui-ci. Ils travaillent également à la restauration du pont antique, l’un des plus vieux au monde, mis au jour dès 1920.
Pont de Tello. Credit: © British Museum .
Dans la ville d’Uruk, une équipe germano-irakienne travaille à restaurer les bâtiments antiques, comme le temple blanc du dieu Anu, en façonnant selon les méthodes traditionnelles, des briques d’argile moulées qu’ils font sécher au soleil.
Les français, pour leur part, sont depuis 2019 de retour à Larsa, à une vingtaine de kilomètre à l’est d’Uruk, d’où ils avaient été chassés en 1989 par la Guerre du Golfe. En coopération avec les Irakiens, ils ont multiplié les découvertes lors de la mission qui s’est achevée en novembre 2021. Des briques portent une dédicace en caractères cunéiformes au dieu Soleil Shamash par le roi Sîn-iddinam (1849-1843). D’autres briques similaires avaient été découvertes dans l’Ebabbar, le temple du dieu à Larsa. Le roi serait d’ailleurs mort, écrasé par un bloc, alors qu’il entrait dans ce temple. L’équipe a aussi mis au jour la résidence du grand vizir du roi Gungunum (1932-1906) et de son successeur Abî-sarê (1905-1895). Pas moins d’une soixantaine de tablettes cunéiformes, transférées au Musée d’Irak à Bagdad, témoignent des activités de ce dignitaire.
Fouilles de Larsa en 2022. Credit: © AFP.
Les archéologues poursuivent leurs travaux également dans le Kurdistan irakien. Une équipe d’Udine et des chercheurs du département des antiquités de Dahuk ont dégagé quatorze bassins en pierre taillés dans une roche blanche qui servaient d’immense pressoir à vin sous le roi Sennacherib (704-681). Et juste au nord de Mossoul, sur la rive du canal Faidi, douze reliefs taillés dans le calcaire représentant le roi avec des divinités et d’autres figures mythologiques doivent à présent être restaurés et protégés des constructions modernes. Ce roi Assyrien était connu pour ses travaux hydrauliques qui alimentaient en eaux les habitants de la ville de Ninive, ainsi que ses merveilleux jardins.
Le temps des restaurations est également venu dans les musées après les destructions dues à Daesh. Le musée de Mossoul, cible des djihadistes entre 2014 et 2017, a été particulièrement touché. Les objets les plus petits ont été vendus sur le marché des antiquités tandis que les œuvres les plus grandes ont été réduites en miettes, destruction mise en scène dans un but de propagande.
Aujourd’hui, les membres du musée tentent de réunir, parmi les décombres, les pièces d’un même puzzle 3D pour reconstituer plusieurs statues monumentales. Ils sont aidés par des conservateurs du Musée du Louvre sous la direction d’Ariane Thomas, directrice du département des antiquités orientales, ainsi que des équipes de la Smithsonian Institution de Washington et du World Monuments Fund de New York. Ils bénéficient d’un soutien financier de l’Alliance international pour la protection du patrimoine culturel dans les zone de conflit. Leurs efforts portent sur des vestiges de l’ancienne Kalhu. Il s’agit d’un lion ailé, de deux taureaux ailés à tête humaine, figures que les anciens appelaient lamassu, ou génies protecteurs. Ils essayent aussi de remonter la base du trône du roi Assurnazirpal II (883-859) pour laquelle ils ont recensé à ce jour 850 fragments.
Reconstitution du lion de Tell Halaf.
Le remontage des statues du musée de Mossoul n’est pas sans rappeler l’extraordinaire puzzle réalisé par les Allemands sur les vestiges de Tell Halaf. Ces sculptures massives avaient été découvertes et rassemblées dans un musées privé par le diplomate, espion et archéologue Max von Oppenheim en 1930. En 1943, son musée fut bombardé par les troupes alliées. Les tentatives pour éteindre le feu ont soumis les statues en basalte à un choc thermique, et elles ont éclaté. Après la chute du mur de Berlin, les 27,000 fragments de basalte conservées dans un entrepôt du musée de Pergame furent patiemment triés et les statues monumentales reconstituées pour être à nouveau visibles par le public depuis 2011.
La fouille archéologique des architectures de terre crue au Proche-Orient et le travail de conservateur de musée nécessitent des savoirs particuliers, savoirs qui n’ont pu être transmis pendant les années de guerre. La formation des collègues irakiens par le biais de missions conjointes constitue l’une des motivations premières de ces opérations scientifiques en Irak. De nouvelles générations d’archéologues irakiens vont pouvoir mettre au jour et valoriser le patrimoine culturel de ce berceau de l’humanité.