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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

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Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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Assur, Kalhu, Dûr-Sharrukîn et Ninive, la fin des capitales assyriennes ?
09.03.2015, par Cécile Michel
Mis à jour le 05.04.2023

Par un bref communiqué du Ministère du Tourisme et des Antiquités irakien, nous avons appris que Daesh avait attaqué au bulldozer le site de Nimrud, l’ancienne Kalhu, située sur la rive Est du Tigre, au sud de Mossul1. Sous le nom de Kalah, elle est mentionnée après Assur et Ninive dans la Bible (Gen. 10.11), où elle est définie comme une « grande ville ». En effet, elle s’étendait sur 360 hectares, comprenant une acropole de 20 hectares. C’était l’une des quatre capitales successives de l’empire assyrien. Habitée dès le milieu du IIe millénaire av. J.-C., la ville a pris toute son importance lorsqu’Assurnazirpal II (883-859) choisit d’y bâtir sa capitale. Il fit construire neuf temples et un palais somptueux au nord-ouest de l’acropole, Lors de l’inauguration de sa nouvelle capitale, Assurnazirpal II offrit un somptueux festin à 69 574 invités, dont les 16 000 habitants de la ville. Une inscription gravée sur une stèle relate dans le détail le menu du banquet qui dura une dizaine de jours et pour lequel toutes les ressources de l’empire furent mises à contribution. Le palais fut mis au jour au milieu du XIXe siècle, par le britannique Austen Henry Layard qui croyait dégager l’antique Ninive. Quelques reliefs et sculptures monumentales furent transportés au British Museum à Londres, ainsi que dans d’autres musées occidentaux. Le Metropolitan Museum de New York propose une reconstitution numérique de ce palais. Les fouilles furent reprises un siècle plus tard par Max Mallowan, puis par les Irakiens à partir des années 1980 ; ils découvrirent, sous le palais d’Assurnazirpal II, des tombes royales emplies de bijoux en or, aujourd’hui conservés au musée de Bagdad.

En 717 avant J.-C., Sargon II (721-705) décida de bâtir une nouvelle capitale sur un terrain vierge : Dûr-Sharrukîn (« La citadelle de Sargon », dont le nom moderne est Khorsabad). Cette capitale fut dégagée par le diplomate français Paul-Emile Botta à partir de 1843, puis par Victor Place. Plusieurs taureaux androcéphales ailés, et des bas-reliefs furent transportés à Paris et formèrent les premières pièces du Musée Assyrien (du Louvre) inauguré en 1847. Les inscriptions découvertes dans le palais, de même que la correspondance du roi, détaillent les gigantesques travaux de construction de Dûr-Sharrukîn. Sur l’acropole furent bâtis le palais de Sargon, deux autres palais, la résidence de son frère, ministre, et des temples. La ville, protégée par une enceinte carrée, fut inaugurée en 706, peu de temps avant la mort du roi.
Sennacherib, voyant sans doute là un mauvais présage, décida de déplacer la capitale à Ninive (704-681) où il bâtit son Palais-sans-rival. La ville, dont les taureaux gardiens de la Porte de Nergal ont été détruits au marteau-piqueur, a gardé son statut de capitale jusqu’à la chute de l’Empire assyrien en 612 av. J.-C.

Toutefois, la toute première capitale de l’État assyrien était Assur, résidence du dieu Assur. Cité-État au début du IIe millénaire, habitée par des marchands enrichis par un commerce à longue distance avec l’Anatolie centrale, elle devint la capitale de l’Assyrie sous Assur-uballit Ier (1365-1330). Même lorsqu’elle perdit son statut de capitale, Assur demeura la métropole religieuse de l’Assyrie, et ses bâtiments furent sans cesse restaurés par les rois d’Assyrie. Bâtie sur un éperon rocheux dominant le Tigre, la ville fut fouillée par un architecte allemand, W. Andrae au tout début du XXe siècle. A la fin des années 1970, les Irakiens restaurèrent la muraille, la ziggurat et le temple du dieu Assur. Des fouilles de sauvetage furent entreprises conjointement par les Irakiens et les Allemands en 2000 et 2001 car le site était menacé par un projet de barrage. En juin 2003, Assur fut classée au patrimoine mondial de l’UNESCO et ajoutée à la liste du patrimoine mondial en péril. Jusqu’à ces dernières années, le site avait été relativement protégé des pillages.

Ces quatre capitales assyriennes se situent, avec de très nombreux autres sites archéologiques, entre Mossul et Tikrit, et donc dans le territoire tenu par Daesh. Que restera-t-il de ces capitales antiques majestueuses après les attaques du groupe djihadiste ? La destruction de Kalhu est d’autant plus dramatique que c’était la mieux préservée de ces capitales assyriennes. Dans le palais, les bas-reliefs décorant toutes les salles du palais, et les taureaux ailés, gardiens des portes, taillés dans du gypse, étaient pour l’essentiel restés en place. Une partie du palais d’Assurnazirpal II avait été recouverte d’un toit (en blanc sur la photo aérienne) pour protéger les bas-reliefs des intempéries. Que reste-t-il après l’attaque de Daesh, de ces grands panneaux en pierre présentant le roi dans des cérémonies rituelles, des figures ailées, des génies, des arbres de vie, les campagnes militaires du souverain et les peuples vaincus lui apportant un tribut, et ces fameux taureaux et lions ailés androcéphales qui gardaient par paires les principales portes du palais ?

[1] Le site de Hatra, d’époque parthe, classé au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO aurait également subi des dégâts.

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