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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

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Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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« Utiliser un âne pour transporter un seul sicle d’argent ». Du nouveau chez les équidés
30.03.2023, par Cécile Michel
Mis à jour le 30.03.2023

Les chercheurs s’interrogent depuis longtemps sur les espèces d’équidés (chevaux, ânes, mules...) utilisés par l’homme aux IVe et IIIe millénaires, et dont on trouve quelques représentations en Mésopotamie. Par exemple, quels sont les animaux qui tirent les chars sur l’étendard d’Ur ?
Étendard d’Ur vers 2600 av. J.-C. British MuseumÉtendard d’Ur vers 2600 av. J.-C. (détail du coffre en bois conservé au British Museum de Londres)

L’onagre, ou hémione, un âne sauvage largement répandu en Asie, ne pouvait être attelé. Les ânes domestiques étaient plutôt des bêtes de somme en Mésopotamie comme l’indique ce proverbe sumérien dénonçant l’absurdité de charger un âne d’un seul sicle d’argent, soit environ 8 g.
 
Le cheval ne fait son apparition comme monture qu’à la toute fin du IIIe millénaire, alors que la mule est déjà attestée pour cet usage. Le mystère vient d’être en partie levé grâce à une étude paléo-génétique publiée dans la revue Science Advances en 2022[1].
 
Des chercheurs de plusieurs pays ont analysé les génomes de plus de deux cents ânes modernes et séquencé l’ADN d’une trentaine de squelettes archéologiques, les plus anciens datant du milieu du IIIe millénaire. Contrairement aux hypothèses précédentes, ils ont montré que l’âne n’avait été domestiqué qu’une seule fois, vers 5000 av. J.-C., dans la Corne de l’Afrique.
 
L’animal a ensuite fait l’objet d’échanges commerciaux vers le nord et l’ouest, et est arrivé en Mésopotamie au début du IVe millénaire où il a été largement employé pour le transport des marchandises. Au IIe millénaire, l’âne a acquis un rôle symbolique chez les Amorites, un ânon étant sacrifié lors des alliances entre souverains. Il existait une Fête de l’âne, et l’animal pouvait être enterré aux côtés des hommes.
 
Au IIIe millénaire, d’autres équidés sont mentionnés dans les textes cunéiformes, comme l’onagre ou hémione, un animal sauvage, et le « kunga », un terme que les assyriologues ne savent pas traduire, sans doute un hybride. Ces animaux étaient attelés à des chariots à quatre roues lors des combats, comme le montre l’étendard d’Ur. De cet animal proviennent sans doute de nombreux squelettes de grande taille issus des tombes d’Umm el-Marra, en Syrie.
Tombes d’équidés à Umm el-Marra.Tombes d’équidés à Umm el-Marra. © Glenn Schwartz / John Hopkins University

L’étude sur l’ADN des squelettes a permis de montrer que ce « kunga » résulte du croisement entre une ânesse et un hémione. Il représente la toute première attestation d’un hybride animal créé par l’homme.
 
La mule est un autre type d’hybride, croisement d’un âne et d’une jument. Dans les textes cunéiformes vers 2000 av. J.-C., c’est un animal coûteux qui sert de monture à la noblesse ; la mule avance à l’amble, un pas plus rapide et bien plus agréable que celui de l’âne, qui est saccadé.
Relief montrant un homme à cheval. Fin IIIe millénaire.Relief montrant un homme à cheval. Fin IIIe millénaire. © The Trustees of the British Museum CC BY-NC-SA 4.0

À cette époque, les chevaux sont présents en Anatolie et dans le nord-ouest de la Syrie, mais on ne sait pas quand l’homme a commencé à monter sur un cheval en Mésopotamie. Un relief du sud de l’Irak datant de la fin du IIIe millénaire montre que le cavalier était assis bien trop en arrière sur la croupe du cheval, ce qui devait être particulièrement inconfortable.
 
Une autre étude, publiée en mars 2023 dans Science Advances, porte sur les débuts de l’équitation[2]. Les chercheurs ont, dans un premier temps, analysé les traces d’usure produites par le mors sur les dents de chevaux. Toutefois, un cheval harnaché n’est pas nécessairement monté. Ensuite, ils ont analysé la question en examinant de possibles marqueurs d’équitation sur différentes parties de squelettes humains d’Europe centrale datant de la première moitié du IIIe millénaire : colonne vertébrale, bassin, jambes. Certains d’entre eux pourraient en effet présenter des déformations dues à la monte à cru sur un cheval.
 
La paléo-génétique et la bio-anthropologie permettent des avancées importantes sur notre compréhension des relations homme-animal dans l’Antiquité et l’on ne peut que souhaiter que de telles approches se développent.
 
 
[1] E. A. Bennett et al. 2022. « The genetic identity of the earliest human-made hybrid animals, the kungas of Syro-Mesopotamia », Science Advances 8(2), janvier 2022.
[2] M. Trautmann et al. 2023 « First bioanthropological evidence for Yamnaya horsemanship », Science Advances 9(9), mars 2023.
 

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