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Ce blog est alimenté par Dialogues économiques, une revue numérique de diffusion des connaissances éditée par Aix-Marseille School of Economics. Passerelle entre recherche académique et société, Dialogues économiques donne les clefs du raisonnement économique à tous les citoyens. Des articles sont publiés tous les quinze jours et relayés sur ce blog de CNRS le journal.

 

 

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Lanceurs d'alerte : enfin une législation européenne
14.08.2019, par Manohar Kumar et Claire Lapique
En avril 2019, le Parlement européen a voté une nouvelle législation permettant une meilleure protection des lanceurs d’alerte. Quels seront les effets concrets de ce texte demandé par l'ONU et la société civile européenne?

(Ce billet est le deuxième volet d'une série de trois consacrée aux lanceurs d'alerte)

En avril 2019, pressé par la société civile, le Parlement européen a voté une nouvelle législation permettant une meilleure protection des lanceurs d’alerte. L’accord, proposé en mars, offre un guide clair permettant aux lanceurs d’alerte de suivre des canaux de dénonciation tout en bénéficiant d’une protection efficace. Cette législation établit des obligations pour les employeurs et garantit la prévention des représailles. Les lanceurs d’alerte devraient aussi recevoir un soutien financier, légal ainsi que psychologique. 

Cet accord est le produit de longues négociations organisées par la société civile et les organisations internationales. La première tentative d’accord en avril 2018 minimisait l’objectif central : la protection n’était pas accordée aux lanceurs d’alerte qui reportaient l’information directement aux autorités extérieures, sans passer par leur structure interne. Cette disposition avait été qualifiée de contre-productive pour beaucoup, puisque l’individu risquait le chantage et les représailles. En mars 2019, les rapporteurs de l’ONU ont appelé les négociateurs européens à renforcer leur proposition de lois, ce fut chose faite. 

La nouvelle initiative européenne a pour but de les protéger à travers un large panel de lois, incluant la lutte contre le blanchiment d’argent, l’imposition sur les sociétés, la protection des données, la protection de l’environnement et la sûreté nucléaire. Les États membres sont libres d’étendre ces règles dans leur propre législation. S’ils ne sont pas contraints d’appliquer des sanctions, ils sont encouragés à établir des cadres législatifs détaillés. 

Un grand pas en avant 

Grâce à cet accord, l’Union fait un pas de plus dans la reconnaissance du rôle crucial des lanceurs d’alerte pour la démocratie. Pourtant, il n’en a pas toujours ainsi. D’après une étude sur le degré d’intégrité au sein de l’Union européenne, Transparency International rapporte qu’une seule institution, la Commission européenne, a mis en place des mécanismes de protection pour les lanceurs d’alerte. Et ceci alors même que ces mêmes institutions se sont légalement engagées à le faire depuis 20041

L’Union européenne a été au centre de nombreuses critiques pour sa position à propos des lanceurs d’alerte. Jusqu’à maintenant, le cadre législatif reste partiel à l’échelle européenne. Et au niveau de chaque État membre, le même constat peut être effectué. Beaucoup d’individus qui ont dévoilé des fraudes ont été menacés personnellement et leur réputation professionnelle en a souffert. Un des exemples les plus célèbres est celui d’Antoine Deltour, qui s’est fait connaître pour avoir révélé, en 2012, le fameux « Lux Leaks » un système d’évasion fiscale. En 2014, il a été condamné à 12 ans de prison par la Cour de justice du Luxembourg, avant d’être finalement acquitté en 2018. L'affaire avait déclenché un tollé au sein de l’Europe et au-delà et avait révélé la détresse dans laquelle se trouvent certains lanceurs d’alerte. C’est devenu le symbole sur lequel s'est appuyée la lutte pour les droits des lanceurs d’alerte à l’échelle de l’Union. 

Une régulation éclatée

Mis à part cette récente initiative européenne, les États membres n’ont pas montré beaucoup d’enthousiasme dans la mise en place d’une protection solide au sein de leur législation nationale. Une étude portant sur les lois existantes, portée par le projet « Un changement de direction. Favoriser les lanceurs d’alerte en Europe dans la lutte contre la corruption » a évalué les définitions et les termes clefs, les procédures et systèmes de protection contre les représailles ainsi que les dispositifs de compensation le cas échéant, et enfin, les possibilités d’anonymat. 

Ces critères ont permis de classer les États en trois catégories : ceux qui ont un cadre législatif détaillé, partiel ou non existant. D’après cette étude, jusqu’en 2017, seulement 8 des 28 États membres avaient une législation complète. 7 sur les 28 n’avaient même pas un cadre de lois partiel. Les cadres de législations « partiels » sont considérés comme risqués car ils introduisent des éléments vagues au sujet des droits accordés aux lanceurs d’alerte. En ne définissant pas les termes de façon formelle ou en interdisant l’anonymat par exemple, ils n’incitent pas les lanceurs d’alerte à agir. Pourtant, leur action est bénéfique pour l’UE. 

Un signal fort pour l'Europe

Pourquoi est-il si difficile de mettre en place des dispositifs de protection alors que les lanceurs d’alerte sont des garants de la transparence ? Ce n’est que récemment, grâce à l’action des médias, des réseaux sociaux et de la société civile, que les gouvernements européens se sont décidés à aborder la question. Auparavant, leurs actes étaient loin d’être encouragés. Il n’est pas étonnant que ceux qui se trouvent au pouvoir résistent aux révélations publiques qui pouraient potentiellement exposer le détournement des institutions publiques par certains pour servir des intérêts privés. La corruption est en effet cultivée grâce aux asymétries d’information et le lanceur d’alerte se charge de les réduire.

Le lanceur d’alerte a la même fonction que le défenseur des Droits humains et pour cela devrait bénéficier de la même protection. L’Union européenne a intérêt à légiférer en ce sens, car elle prouve son engagement pour plus de transparence et de responsabilité des sociétés et institutions. C’est une promesse de protection des libertés individuelles, au même titre que la liberté d’expression dont l’Europe s’est voulue la garante.

Avec cette nouvelle proposition, l’Union s’est résolue à corriger les déficits de ses institutions. Cette résolution doit désormais être appliquée par les États membres de manière ferme. Ils montreront ainsi avec force leur engagement face à ceux qui risquent beaucoup pour la vérité et la protection des droits individuels. 

Manohar Kumar, philosophe politique, professeur à l'Indraprastha Institute of Information Technology à Delhi, et Claire Lapique 

Pour aller plus loin : Santoro, D and M. Kumar (2018). "A Right to Protection of Whistleblowers", in Archibugi, D and A Emre Benli Claiming Citizenship Rights in Europe, 83-121, Routledge, London. 
 

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