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L’argent en politique fait-il le bonheur des entreprises ?
09.09.2024, par Romain Ferrali, Emilie Arlet
Mis à jour le 11.09.2024
Derrière le financement des partis politiques se cachent souvent des intérêts économiques. Aux États-Unis, les dons privés représenteraient un canal privilégié par lequel les entreprises recherchent les faveurs du gouvernement fédéral dans l’obtention de marchés publics. C’est l’hypothèse d’une équipe de chercheurs en économie qui s’est penchée sur le risque de favoritisme liés aux dons de campagnes.

Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.

Dans les démocraties électorales, les dons de campagne désignent le financement de campagnes électorales sous la forme de transferts monétaires ou d’un soutien en nature. Ces dons peuvent influencer des prises de décision et conduire à des traitements de faveur de la part de personnalités politiques. 

 

Financement de campagne et trafic d’influence : comment mesurer le risque de favoritisme ?

Les États-Unis ont été l’un des premiers pays à instaurer, dès le début du XXe siècle, une législation encadrant le financement des campagnes électorales. Ce qui n’a pas empêché les scandales1. Aujourd’hui, si la participation financière directe des entreprises est interdite, les dons individuels des salariés de ces mêmes entreprises sont en revanche tout à fait légaux et constituent même l’essentiel des financements des candidats à l’élection présidentielle américaine.

Dans l’article scientifique « Agency Independence, Campaign Contributions, and Favoritism in US Federal Government Contracting »2 publié en 2023 dans Journal of Public Administration Research and Theory, les chercheurs Mihály Fazekas, Romain Ferrali et Johannes Wachs montrent qu’il existe un lien direct entre les dons de campagne et l’orientation de la dépense publique américaine. Les scientifiques mettent en lumière certains des mécanismes financiers par lesquels les dirigeants politiques américains peuvent interférer dans la passation des marchés fédéraux en faveur de donateurs importants.

Part de subjectivité, action rétroactive, régularité faussée… le favoritisme est une notion difficile à saisir de manière empirique. Pour démontrer qu’une entreprise américaine augmente ses chances d’obtenir plus de contrats fédéraux en faisant un don à un parti politique, et plus particulièrement à la majorité au pouvoir, l’équipe de chercheurs a compilé plus de deux millions de contrats fédéraux signés entre 2004 et 2015. Ils se sont attachés à mesurer, pour chaque contrat, le risque potentiel de favoritisme dans l’attribution du contrat.

 © SKT Studio / stock.adobe.com

Candidature unique à l’appel d’offres, absence de publication officielle, type de procédure non concurrentielle, négociation directe avec un fournisseur, modifications du contrat, fournisseur enregistré dans un paradis fiscal ou radié…. Chaque contrat a été passé au crible selon une série de sept critères, pour savoir s’il avait pu être attribué dans des circonstances douteuses. 

Tous ces critères sonnent comme des signaux d’alarme. Toutefois, l’analyse des chercheurs révèle que certains indicateurs de favoritisme ont plus de poids notamment, le fait que l’appel d’offre ne présente qu’un seul enchérisseur (près de 50 % des contrats) et qu’il utilise une procédure non-compétitive (près de 40 % des contrats).

Des intérêts qui s’élèvent à mesure que le montant augmente.

Les chercheurs ont croisé leur mesure de risque de favoritisme avec la somme des dons politiques issus des entreprises ayant obtenu le contrat sur la même période. Ils ont comparé le risque de favoritisme lié aux contrats obtenus par des entreprises semblables sur de nombreux points — précisément, deux entreprises opérant dans le même État américain, fournissant le même type de bien et de service à la même administration et durant le même mandat du Congrès. La seule différence étant le volume des dons politiques effectués.

Ils montrent que les donations augmentent le risque de favoritisme. Les entreprises donatrices remportent davantage de contrats que les entreprises non-donatrices, et ces contrats montrent davantage de signes de favoritisme (un seul enchérisseur, procédure non-compétitive,…). Enfin, plus les donations sont élevées et dirigées vers le parti présidentiel, plus les contrats montrent des signes favoritisme.

Ces résultats confortent l’interprétation des chercheurs selon laquelle les résultats et les pratiques d’appel d’offres peuvent faire l’objet de favoritisme en rétribution de dons de campagne.

Panneau noir affichant le message « les abus de pouvoir ne sont pas une surprise ». Panneau affichant le message « les abus de pouvoir ne sont pas une surprise ». Photo par Samantha Sophia sur Unsplash

Comment s’accomplit le favoritisme ?

Dans les démocraties occidentales, les marchés publics représentent des enjeux économiques importants. Ainsi, des procédures de surveillance de plus en plus strictes sont mises en place à mesure que les montants des contrats en jeu augmentent, afin de veiller à la transparence dans l’attribution du marché. Aux États-Unis, les procédures d’achat d’un montant supérieur à 12,5 millions de dollars sont soumises à un examen supplémentaire conduit par un political appointee, un haut fonctionnaire nommé directement par le Président. Une procédure de surveillance qui pourrait bien s’avérer contreproductive si le political appointee use de son influence pour soumettre les entreprises favorisées à moins de contrôle. Dans cette optique, les entreprises les plus généreuses auraient intérêt à gonfler le montant de leurs propositions au-dessus du seuil de 12,5 millions de dollars afin d’être soumises au contrôle du political appointee. Les chercheurs montrent que c’est effectivement le cas : parmi les entreprises donatrices, les contrats aux montants légèrement au-dessus du seuil sont surreprésentés et présentent un risque de favoritisme significativement plus élevé que ceux aux montants légèrement en dessous du seuil.

C’est donc l’autorité exercée par le pouvoir politique sur l’administration centrale qui permet de déjouer les mécanismes de contrôle prévus par la réglementation et de favoriser les entreprises donatrices. Les auteurs montrent d’ailleurs que plus les administrations sont indépendantes du pouvoir politique, moins elles sont susceptibles de récompenser les entreprises donatrices : une même donation a un impact 2,5 fois plus important dans les administrations les plus subordonnées à l’exécutif.

Pour une plus grande transparence de la vie politique

Si un doute subsiste toujours, étant donné que la notion de favoritisme comporte intrinsèquement une part de subjectivité, cette étude apporte un nouvel éclairage sur le risque de favoritisme dans la passation des contrats en rétribution de dons politiques. Par rapport aux précédentes études, elle se distingue en offrant des comparaisons très fines sur une longue période et en révélant une tendance générale à l’échelle de l’ensemble des États-Unis sur 15 ans.

Malgré les mécanismes de contrôle et surveillance des marchés publics, les contrats passés par le gouvernement fédéral américain semblent soumis à de profondes influences et pressions politiques. Renforcer l’indépendance de l’administration centrale vis-à-vis de l’exécutif devrait améliorer significativement la lutte contre la corruption en politique

Référence

Fazekas, M., R. Ferrali, J. Wachs, 2023, «Agency Independence, Campaign Contributions, and Favoritism in US Federal Government Contracting». Journal of Public Administration Research and Theory 33 (2): 262–78.
 

Notes

1. Par exemple, avant sa faillite le groupe Enron, qui a participé aux financements des campagnes électorales de la famille Bush, avait sollicité la Maison Blanche. 
2. Cette publication scientifique a reçu le prix Beryl Radin 2024 qui récompense la meilleure étude publiée dans la revue internationale Journal of Public Administration Research and Theory.

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