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Qui garde les enfants quand les mères travaillent ?
24.09.2024, par Mathieu Lefebvre, Stessie Ann Auguste
Mis à jour le 30.09.2024
Comment concilier vie professionnelle et obligations familiales  ? La garde d’enfants joue un rôle crucial dans cette équation. Des économistes révèlent des pratiques différentes selon les pays et les caractéristiques socio-économiques de la mère.

Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.

En janvier 2024, Emmanuel Macron évoquait une série de mesures natalistes pour mettre en œuvre un « réarmement démographique » de la France. Au-delà du discours politique, qui portera la charge de ces enfants supplémentaires ? 

Cet objectif de rééquilibrage démographique peut aller à l’encontre des objectifs d’égalité entre les femmes et les hommes que la France s’efforce d’atteindre. L’alourdissement de la charge de la parentalité majoritairement supportée par les femmes peut nuire à leurs carrières professionnelles. 

Face à cette réalité, les options dont disposent les femmes pour concilier vie professionnelle et vie familiale sont cruciales. Les arrêts prolongés peuvent ralentir la carrière et rendre le retour au travail plus difficile. La diminution du temps de travail peut réduire les possibilités de promotion et de développement professionnel, ce qui entraîne souvent une baisse de revenus. La garde d’enfants se révèle être un levier d’action pour faciliter la poursuite de carrière des femmes sans interruption majeure due à la maternité.  

L’offre de travail des mères dépend de l’offre des services de garde d’enfants

Le marché du travail des mères est étroitement lié à la disponibilité des services de garde d’enfants comme le soulignent les économistes Mathieu Lefebvre, Laurène Thil et Laté A. Lawson dans leur article « An Empirical Assessment of the Drivers of Formal and Informal Childcare Demand in European Countries » publié en 2023 dans la revue Social Indicators Research.   

La littérature scientifique souligne le lien connu entre l’emploi des femmes (et la poursuite de leur carrière) et la disponibilité, l’accessibilité et de la qualité des services de garde1 . Sans un véritable accès aux options de garde d’enfants, selon des horaires de travail, ou à des coûts abordables, des mères peuvent être contraintes de travailler à temps partiel, d’accepter des emplois moins exigeants, voire de se retirer du marché du travail, au détriment non seulement de leur progression professionnelle, mais aussi de leur bien-être économique et de celui de leur famille. L’une des difficultés de ce champ est de comparer les situations entre différents pays du fait des différences culturelles, sociales et économiques.

Un trio de mères tenant chacune un enfant dans les bras © Jacob Lund - stock.adobe.com

 

Une Europe divisée en termes de choix de garde d’enfants

Au sein de leur étude qui passe en revue quatorze pays européens2 , de 2010 à 2017, les économistes distinguent deux catégories de garde. La première, dite « formelle », comprend des services assumés par des professionnels, qu’il faut rémunérer, comme les crèches, les garderies et les assistantes maternelles professionnelles. La seconde, dite « informelle », regroupe les soins prodigués par les grands-parents, les parents, les amis ou les voisins. 

Dans un premier temps, ils ont observé une grande diversité entre les pays dans les préférences et les pratiques en matière de garde d’enfants. Dans les pays nordiques, les mères travaillent en moyenne plus, elles comptent aussi moins sur la présence des grands-parents pour s’occuper de leurs enfants. En Finlande et en Suède où les grands-parents sont absents dans 99 % des foyers, le recours à un mode de garde formelle est de plus de 50 % pour les enfants de moins de 3 ans et de plus de 80 % pour les enfants de 3 ans et plus.  En revanche, au Royaume-Uni, où les grands-parents sont également peu présents, l’usage est inférieur à 50 %, et ce pour tout âge de l’enfant. La majeure partie de la prise en charge est assurée par les parents et les gardes informelles.   

En Bulgarie et en Roumanie, la présence des grands-parents est plus importante, ce qui peut expliquer un recours plus fréquent à la garde informelle des enfants. En Autriche, malgré une faible présence des grands-parents, la demande de garde formelle pour les moins de 3 ans est inférieure à 30 %. Ce choix ne semble pas lié à des contraintes financières, le pays ayant le troisième salaire moyen le plus élevé parmi ceux observés. Les enfants de cet âge sont principalement gardés par leurs parents, soit 57,9 %. Les pays méditerranéens tels que la France et l’Espagne affichent une forte tendance à l’utilisation de structures d’accueil formelles, tant pour les enfants de moins de 3 ans que pour ceux âgés de 3 ans et plus. Tandis qu’en Grèce, il y a une préférence pour la garde informelle pour les moins de 3 ans. 

Diversité des profils des mères

Présenter les femmes et les mères de famille comme un groupe homogène entre et au sein des pays est un raccourci à éviter. C’est une population hétérogène avec des situations et des contraintes différentes. Certaines sont plus riches, disposent d’un tissu social et familial plus important que les autres. Les conclusions de cette étude soulignent que les décisions en matière de garde d’enfants dépendent de l’âge, du niveau d’éducation de la mère et de son statut matrimonial. Il ressort de cette recherche que les besoins en matière de garde augmentent en même temps que l’âge de la mère. Ce qui peut s’expliquer par un plus grand nombre d’enfants.

Le niveau d’éducation plus élevé des mères augmente la demande de services formels de garde d’enfants. En effet, les parents instruits tendent à vouloir offrir à leurs enfants un environnement stimulant et favorable qui favorise le développement éducatif et social dès le plus jeune âge. Il est important de souligner que l’impact positif du niveau d’éducation s’observe uniquement chez les mères en couple. Le statut matrimonial influe aussi sur la demande de garde d’enfants. Les mères célibataires doivent jongler avec des responsabilités parentales lourdes, une mère célibataire est moins disponible pour son travail. Elle peut être amenée à refuser des emplois sans la flexibilité nécessaire pour répondre aux besoins de ses enfants, alors que les mères en couple peuvent compter sur le soutien d’un ou d'une partenaire. Les chiffres de l’Insee sur l’activité des femmes montrent que parmi les femmes de 25 à 49 ans ayant au moins un enfant de moins de 3 ans, le taux d’activité est de 41,7 % pour les femmes seules, alors qu’il atteint 74,9 % pour les femmes en couple. 

Adultes faisant une maison en pain d’épice avec trois enfants Photo Phillip Goldsberry sur Unsplash

Impact des caractéristiques du foyer sur les décisions de garde d’enfants

Comprendre les choix des familles en matière de garde d’enfants nécessite aussi une analyse approfondie des caractéristiques spécifiques de chaque ménage. Parmi ces caractéristiques figurent la composition de la famille et l’âge des enfants. 

Les résultats de cette recherche de manière générale montrent que l’âge de l’enfant a un impact significatif sur la demande de services de garde formelle et informelle. La demande pour les deux types de gardes augmente avec les jeunes enfants (0-2 ans et 3-6 ans), tandis que les enfants plus âgés (7-10 ans) ont tendance à diminuer la demande de garde informel, en particulier pour les mères célibataires. 

En Europe, les systèmes éducatifs accueillent généralement les enfants à partir de l’âge de 3 ans, ce qui peut réduire le besoin de services de garde d’enfants. En Bulgarie et en Finlande où les enfants ont un accès gratuit à l’éducation préscolaire dès l’âge de 5 ans et 6 ans respectivement, le taux d’enfants de moins de 3 ans gardés uniquement par leurs parents sont de 80,5 % et 63 %, soient les taux les plus élevés en Europe. L’âge des enfants doit être pris en compte par les pays, car plus ils entrent tard dans le système éducatif, plus les besoins en services de garde d’enfants sont importants.

Lorsque les grands-parents sont présents dans le ménage ou à proximité, ils peuvent souvent fournir des services de garde informels importants. En Roumanie, 36 % des ménages comptent des grands-parents et moins 20 % des enfants de moins de 3 ans sont gardés par des professionnels. En revanche, en Suède et en France où les grands-parents sont absents dans 99 % et 98 % des foyers respectivement, plus de 50 % des enfants de moins de 3 ans sont gardés par des professionnels. La cohabitation intergénérationnelle réduirait le besoin de garde formelle, ce qui aurait un impact sur les décisions des parents, en particulier des mères, en matière d’offre de travail. Il est intéressant de mentionner qu’au sein de l’Europe, les différences culturelles pèseront sur l’implication des grands-parents dans la garde de leurs petits-enfants.

Il paraît donc légitime de suggérer que les politiques de garde d’enfants et les systèmes de soutien tiennent compte de toutes ces disparités, afin de soutenir l’employabilité des mères. 

Quel est le rôle de l’État sur cette question ?

Pour créer un environnement plus inclusif et équitable pour les femmes actives, l’État pourrait garantir l’accès à un service de garde plus adapté au marché du travail des femmes. Investir dans ce marché et élaborer des politiques relatives à ce sujet permettraient de réinventer le travail au féminin, en particulier pour les mères isolées.

Image générée par IA d’une garderie sans enfant ni enseignant Image générée par IA d’une garderie sans enfant ni enseignant © Generative AI - stock.adobe.com

La mise en place d’une politique de promotion de l’emploi des mères isolées doit prendre en compte la question de la garde des enfants. Une femme seule qui souhaite augmenter son temps de travail aura un besoin accru de services de garde d’enfants. Les subventions des services de garde d’enfants sont aussi importantes pour lever la barrière financière que constituent les coûts de garde d’enfants en particulier pour les mères isolées et les familles à faible revenu.

Certes, il s’agit là d’un coût à supporter par l’État. Néanmoins, les mères qui travaillent contribuent à l’impôt sur le revenu. Il s’agit d’un investissement économique et humain, car les services de garde d’enfants de qualité contribuent au développement et à l’apprentissage des enfants.

Afin de promouvoir l’emploi des mères, les décideurs politiques sont des acteurs clés. Il leur revient la responsabilité d’élaborer des politiques favorisant une augmentation de l’offre des services de garde formelle tout en les rendant accessibles indépendamment du statut économique. Ces politiques pourraient également concerner la flexibilité des horaires de garde afin de les adapter aux besoins des mères qui travaillent au-delà des horaires normaux des services de garde. 

Il serait aussi intéressant d’explorer la mise en place de congés parentaux mieux indemnisés. Des politiques de réinsertion progressive sur le marché du travail pour les mères ou des mesures qui facilitent la transition des femmes entre le travail et l’éducation des enfants pourraient soutenir celles qui désirent prendre le temps de s’occuper de leurs enfants sans compromettre leur carrière. Promouvoir l’employabilité des femmes va de pair avec l’augmentation de l’offre de services de garde d’enfants. Relancer la natalité, de manière égalitaire et équitable, ne pourra se faire sans mettre sur la table la question de la garde d’enfants. 
 

Nous remercions Stessie Ann-Derius pour sa contribution à cet article dans le cadre de son stage de Magistère Economie et Finance

Références

Thil L., Laté A. L., Lefebvre M., 2023, «An Empirical Assessment of the Drivers of Formal and Informal Childcare Demand in European Countries». Social Indicators Research 170, 581-608.

Notes

1. Connelly R., Kimmel J., 2003, «Marital status and full-time/part-time work status in childcare choices ». Applied Economics, 35 (7), 761–777; Du F., Dong X. Y.,2010, «Women’s labor force participation and childcare choices in urban china during the economic transition ». gender equality and china’s economic transformation: Informal employment and care provision.
2. Autriche, Belgique, Bulgarie, République Tchèque, Grèce, Espagne, Finlande, France, Hongrie, Italie, Pologne, Roumanie, Suède, Royaume-Uni.

 

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