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Ce blog est alimenté par Dialogues économiques, une revue numérique de diffusion des connaissances éditée par Aix-Marseille School of Economics. Passerelle entre recherche académique et société, Dialogues économiques donne les clefs du raisonnement économique à tous les citoyens. Des articles sont publiés tous les quinze jours et relayés sur ce blog de CNRS le journal.

 

 

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Boom de l’infertilité : quels coûts pour la société ?
24.11.2021, par Thomas Seegmuller, Laurène Casseville
L'infertilité touche de plus en plus de personnes à travers le monde. Rien qu'en France, un couple sur huit serait concerné. La fécondation in vitro ou la procréation médicalement assistée peuvent par exemple leur venir en aide. Des économistes se sont penchés sur le coût de ces traitements pour les individus et la société, et sur les moyens de réduire les inégalités.

Avoir un bébé devient de plus en plus difficile. En France, un couple sur huit consulte pour un problème de fertilité. Si des solutions existent, telle que la procréation médicalement assistée (PMA), ces traitements représentent un coût pour le porte-monnaie des individus et pour la société. Face à ce phénomène, les économistes Johanna Etner, Natacha Raffin et Thomas Seegmuller ont cherché le meilleur système pour réduire les inégalités générées par l’infertilité qui touche de manière croissante et aléatoire les individus.

Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.

C’est un fait, aujourd’hui l’infertilité concerne de plus en plus de personnes dans le monde. Selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)1, on estime qu’entre 48 millions de couples et 186 millions de personnes sont touchés par l’infertilité. Et cette tendance aux vues des études scientifiques va en s’accroissant. Nous sommes face à un problème sanitaire international. Pourtant, c’est à travers le prisme de l’économie que les chercheurs Johanna Etner, Natacha Raffin et Thomas Seegmuller ont décidé d’étudier ce phénomène. Ils soulèvent une question jusque-là peu étudiée : qu’en est-il du financement de l’accès aux soins pour lutter contre l’infertilité ? Leur objectif est de définir une politique fiscale qui permettrait de réduire les inégalités générées par ces hausses de dépenses. En d’autres termes, comment concilier bien-être et infertilité ?
 
Au départ de cette étude, Thomas Seegmuller et ses collègues se sont interrogés sur l’impact de l’infertilité croissante sur la qualité de vie et le bien-être des personnes. Ils constatent d’abord plusieurs tendances mondiales telles que la dégradation de la qualité du sperme et l’augmentation de problèmes liés à la santé reproductive chez les femmes. Du côté des hommes, la concentration de spermatozoïdes a chuté de manière drastique dans les pays industrialisés passant, en moyenne, de 99 millions par millilitre (ml) à 47 millions par ml en cinquante ans. En France, cette concentration a reculé d’environ 32 % entre 1989 et 20052. Chez les femmes, on remarque davantage de troubles ovulatoires, de cas d’endométriose sévère et de pathologies ovariennes. La baisse de la fertilité touche donc les deux sexes.


La PMA : un commerce très lucratif

Les États-Unis, la Chine, l’Europe, l’Australie… l’infertilité touche tous les continents et ouvre un marché attractif pour les industries spécialisées dans les traitements d’assistance médicale à la procréation appelés les ART (Assisted Reproductive Technology). Une industrie qui pèse aujourd’hui des milliards de dollars. Allied Market Research, une société d’évaluation de marchés, a estimé que les sociétés spécialisées dans les ART avaient généré 2,3 milliards de dollars en 2020 et devraient engendrer 12,2 milliards de dollars d’ici 2030, avec un taux de croissance annuelle composé de 19,3 % de 2021 à 20303.
 
Résultat, les chiffres parlent d’eux-mêmes : aujourd’hui, un Américain sur soixante naît grâce à la fécondation in vitro (FIV) ou à d’autres traitements artificiels. Au Danemark, en Israël et au Japon, le chiffre est de plus d’un sur 25, et il augmente. La tendance dans l’Hexagone est similaire. L’Agence de biomédecine a ainsi révélé une hausse des différents actes de PMA. En 2019, il y a eu 157 500 tentatives de FIV ou d’insémination artificielle contre 150 000 en 2016. 3,6 % des enfants sont nés en 2019 grâce à une PMA soit environ une naissance sur 284.
 
Ces traitements sont donc en forte hausse. Mais à quel prix pour les patients ? En moyenne aux États-Unis, une FIV revient à 12 000 dollars quand en France il faut compter 4 000 euros pour une tentative. À raison de quatre tentatives, le coût d’une grossesse sous PMA est proche de 20 000 euros. À cela s’ajoutent des frais d’examens médicaux et de traitements hormonaux. Cette charge financière est parfois prise en charge par les États, mais dans d’autres cas, c’est à la charge des individus. En France, l’Assurance maladie rembourse à hauteur de 100 % quatre tentatives de FIV.

Quant au taux de réussite ? Il est encore faible. Beaucoup se retrouvent déçus après ce parcours du combattant. Le taux de succès des tentatives de PMA est de l’ordre d’une sur cinq environ. Les chances de grossesse varient en moyenne de 10 à 22 % par essai, en fonction des techniques utilisées, insémination ou fécondation in vitro. Même si la recherche vise à améliorer les chances de succès de grossesse, 10 % des couples restent infertiles après deux ans de tentatives et jusqu’à 25 % des cas d’infertilité restent inexpliqués5.

Infographie sur la FIV en France et ses dates clès

L’infertilité engendre moins d’humains et moins de richesses

L’infertilité génère donc une double inégalité : celle des chances de succès qui demeurent aléatoires et celle financière face aux coûts des traitements. Johanna Etner, Natacha Raffin et Thomas Seegmuller ont donc cherché un système optimal qui permettrait de trouver un financement de santé publique plus juste. Ils ont travaillé sur trois modèles possibles. Le premier favorisant la majorité des individus, le second mettant l’accent sur l’égalité d’accès aux traitements de fertilité et le troisième centré sur les personnes les moins favorisées, celles qui resteront infertiles même après des traitements.
 
Et les chercheurs ont été surpris. Leurs travaux révèlent que dans les deux premiers cas, la croissance du pays, le bien-être des gens et l’augmentation de la population ne sont pas au rendez-vous. En effet, dans le cas où l’État subventionne les dépenses de santé liées à la fertilité, il y aura toujours des gens qui, in fine, ne pourront pas procréer après plusieurs tentatives de FIV et l’État aura donc subventionné ces soins en vain. Par ailleurs, si les traitements restaient à la charge des individus, la société en pâtirait également. En effet, comme l’infertilité connaît une évolution croissante, les gens ne cesseraient de mettre la main au portefeuille pour des dépenses de santé au lieu d’investir ou de consommer pour leur bien-être.
 
« Cette conclusion va à l’encontre de l’inconscient collectif qui tendrait à croire que pour plus d’égalité face à l’infertilité, l’État devrait intervenir et pouvoir contribuer à l’accès aux soins. Seulement, ces soins génèrent des dépenses telles pour un problème qui continue de croître et les résultats positifs ne sont pas à la hauteur des dépenses », explique Thomas Seegmuller.
 

 Vue d'artiste d'une fécondation in vitro
S’attaquer aux racines du problème
Alors, comment résoudre ces inégalités ? La solution émerge dans le troisième modèle étudié par les économistes. « Pour qu’il y ait plus d’égalité, il faut un système de financement de santé qui augmente le prix des traitements ART pour ensuite redistribuer cet argent de manière forfaitaire aux gens les moins riches ». « Notre modèle met en lumière le fait que des investissements de la part de l’État envers la recherche et la lutte contre la pollution permettront plus d’égalité face à cette infertilité croissante », détaille-t-il.

Puisque notre manière de produire et de consommer apparaît liée à la baisse de fertilité croissante, penser ce problème uniquement d’un point de vue sanitaire ne résout qu’une partie de la question. Les impacts financiers à venir sont tels qu’il faut s’attaquer aux origines du problème. De nombreuses études scientifiques pointent du doigt notre mode de vie contemporain comme cause principale de l’infertilité. Pollution environnementale, habitudes alimentaires, présence de particules chimiques dans les produits de consommation courante.... tous ces facteurs externes ont un impact avéré négatif sur la santé reproductive des individus. Pour les chercheurs, il est clair qu’il faut s’attaquer à la réduction de ces maux pour, in fine, enrayer l’infertilité.
 
Référence

Etner, Johanna, Natacha Raffin, and Thomas Seegmuller. 2020. “Reproductive Health, Fairness, and Optimal Policies.” Journal of Public Economic Theory 22 (5): 1213–44.

 

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