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Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.
7 janvier 2015. Le jour où les frères Kouachi ont attaqué la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo, causant la mort de douze personnes. On se souvient de l’horreur suscitée par ce déchaînement de violence, des manifestations dans toute la France, et du slogan « Je suis Charlie ». Cet attentat n’était malheureusement que le premier d’une tragique succession d’événements violents qui ont secoué la France entre 2015 et 2016. En effet, dix mois plus tard, les attentats de Paris font 130 victimes près du Stade de France, dans la salle de concert du Bataclan et dans plusieurs bars et restaurants de la capitale. Le 14 juillet de l’année suivante, un camion déboule sur la promenade des Anglais à Nice, en pleine fête nationale, tuant 87 personnes. En France, selon le Global Terrorism Database, 212 attaques ont été enregistrées entre 2012 et 2018, causant la mort de 286 personnes et en blessant 1003 autres. En comparaison, entre 2000 et 2011, période presque deux fois plus longue, 242 attaques avaient causé la mort de 8 personnes et fait 90 blessés.
En prenant comme matière ces trois évènements resserrés sur une période courte et touchant l’ensemble du territoire, les chercheurs Sylvie Blasco, Eva Moreno-Galbis et Jérémy Tanguy, dans leur recherche Getting used to terrorist threats ? Evidence from French terrorist attack between 2015 and 2016, ont essayé de comprendre si l’exposition à des attentats successifs amène les populations à s’habituer à la violence terroriste ou si au contraire l’impact sur la santé mentale empirait après chaque attentat.
Les symptômes dépressifs diminuent
Des recherches en psychologie confirment que les traumatismes sur la santé mentale déclinent lorsque l’individu est exposé plusieurs fois à des évènements violents. A mesure que ceux-ci se répètent, le corps réduit la production des hormones du stress. Pour certains auteurs qui se sont emparés de la question, les personnes qui continuent consciemment de vivre dans des endroits qui risquent des ouragans, des inondations ou des attaques violentes démontrent que les successions de désastres n’ont fait qu’augmenter leur résistance au stress. En psychologie, cet effet peut être appelé l’accoutumance (habituation).
Au contraire, d’autres chercheurs ont montré que si un individu avait déjà vécu un traumatisme, alors un nouveau choc amplifierait la réponse à ce stress. On parle alors de sensibilisation (sensitization). Par exemple, des travaux sur les enfants victimes de l’ouragan Katrina en 2005 montrent que ceux-ci étaient plus durement impactés mentalement s’ils avaient déjà eu un choc auparavant, comme un accident, ou un divorce. Une critique qui a pu être faite à cette recherche est que le questionnaire avait été réalisé juste après la catastrophe, basée sur des souvenirs anciens, et d’autres traumatismes qu’une catastrophe naturelle.
Les trois chercheurs de Getting used to terrorist threats ? Évidence from French terrorist attack between 2015 and 2016 ont essayé de leur côté de comprendre si les symptômes dépressifs constatés suite aux évènements diminuaient ou augmentaient au fur et à mesure des différentes attaques. Pour cela, ils se sont appuyés sur des questionnaires médicaux, qui incluent des questions portant sur la santé mentale, issus des données de Constances. Il s’agit d’une cohorte épidémiologique généraliste constituée d’un échantillon représentatif de 200 000 adultes âgés de 18 à 69 ans, consultants des centres d’examens de santé de la Sécurité sociale. L’indicateur de santé mentale CES-D appliqué à ces examens évalue la présence de symptômes dépressifs chez le patient ressentis durant la semaine précédente. L’évaluation se fait au moyen de dix propositions telles que « Je n’ai pas confiance en l’avenir », « Je me suis senti déprimé », ou encore « Mon sommeil n’a pas été bon ».
Les données hebdomadaires ont été analysées, cinq semaines avant les attentats et jusqu’à six semaines après. Elles révèlent une dégradation de 1,7 point de la santé mentale la semaine après la première attaque, 0,9 pour la semaine après la deuxième attaque et 1,3 trois semaines ensuite, tandis que la troisième attaque n’a eu aucun effet significatif sur la santé mentale.
Des critères sociodémographiques écartés
Pour comprendre les résultats obtenus, les chercheurs ont caractérisé les trois attaques en profils sociodémographiques. Par exemple, est-on plus impacté lorsque l’âge des victimes de l’attaque se rapproche plus de sa propre tranche d’âge, permettant ainsi une identification forte ? Dans le cas de Charlie Hebdo, 47 % des victimes étaient âgées de plus de 55 ans. Lors des attentats du Bataclan, 80 % étaient des 18-40 ans, tandis que 19 % des victimes de l’attentat de Nice concernaient les moins de 18 ans. Outre l’âge des victimes, la population était de plus en plus indifférenciée, passant de journalistes, à jeunes Parisiens, jusqu’à des familles entières sans caractéristique spécifique. Or la population étudiée a moins souffert de ces deux derniers attentats, quel que soit leur âge. Les chercheurs ont également cherché l’impact des attentats de Nice sur les parents, qui auraient pu identifier leur progéniture dans le jeune âge des victimes. Or, les parents s’avèrent eux aussi moins touchés par ce dernier attentat. Cependant, on constate qu’ils sont en moyenne plus touchés que la population sans enfants face aux trois attaques, suggérant peut-être un attachement à la vie et donc une inquiétude plus forte.
La proximité géographique aurait pu constituer une autre possibilité d’identification aux victimes. Or, lors des attentats de Charlie Hebdo, ce sont principalement des personnes résidant en province qui ont été impactées. À Paris et Nice, l’effet était le même, quel que soit l’endroit où résidaient les personnes . Par ailleurs, Le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, le Centre de Recherche pour l'Étude et l'Observation des Conditions de Vie, avait constaté en 2016 que lorsqu’on demandait à la population de citer les actes terroristes commis dans le monde ou en France, qui les ont le plus marqués depuis l’an 2000, 78 % des répondants âgés de 25 à 39 ans citaient des attentats ayant eu lieu à l’étranger, et non pas en France. Le critère de la proximité géographique n’est donc pas pertinent dans ce cas.
© Clément Falize sur Unsplash
Les chercheurs se sont également intéressés à l’appartenance communautaire des populations étudiées. Dans les données Constances, la circoncision est mentionnée, ce qui leur a permis d’identifier un groupe d’individus juifs ou musulmans. Les premiers auraient pu se sentir visés par l’attentat contre un supermarché casher le 8 janvier 2015, au lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo, tandis que les seconds auraient pu être négativement impactés par le rejet d’une partie de la société française qui a associé leur religion au terrorisme. Limités par un petit échantillon de 5000 personnes, les résultats ne montrent pas de dégradation de la santé mentale spécifique en fonction de l’appartenance religieuse, éloignant l’hypothèse communautaire.
Un autre critère sociodémographique analysé était la consommation médiatique, avec pour hypothèse que celle-ci aurait pu modifier l’intensité des symptômes dépressifs. Les chercheurs se basent sur une enquête de l’European Social Survey sur le temps passé en moyenne un jour de semaine à regarder les informations ou la politique à la télévision. En utilisant les données sociodémographiques de cette étude sur leur propre cohorte, les chercheurs constatent que le volume de médias ingurgité n’explique pas symptômes dépressifs après la survenue d’attentats. Au contraire, dans le cas des attaques de Charlie Hebdo et Paris, plus la consommation de médias est forte, plus les symptômes dépressifs diminuent, suggérant peut-être que les personnes s’habituent également aux images de violence.
Agir vite et largement
C’est donc en écartant ces hypothèses sociodémographiques que les chercheurs arrivent à conclure que le corps et le cerveau humains de la population générale s’habituent à la menace terroriste, et que cette accoutumance n’est pas en lien avec l’identification aux victimes ou la consommation de médias. Ces résultats ne sont pas non plus liés à une meilleure anticipation des attentats, car après une analyse des tendances de recherche Google, les mots « attaque », « terrorisme » ou encore « menace terroriste », n’ont pas été tapés plus souvent dans la période précédant les deux derniers attentats — seulement les jours mêmes des attaques. Les résultats sont bien sûr à circonstancier. L’OMS nous apprend par exemple qu’une personne sur cinq en zone de conflits souffre de troubles mentaux.
Les recommandations concernant les politiques de santé publique que l’on peut tirer de cette recherche reposent sur l’importance de prendre en charge la santé mentale de la population, en lien avec les professionnels de santé, immédiatement après la première catastrophe ou attaque, celle qui aura l’impact le plus fort. Cela nécessite de déployer des supports rapidement et largement, via des canaux qui touchent toute la population (réseaux sociaux, TV, etc.), puisque celle-ci est impactée de manière indifférenciée, hormis pour les personnes qui étaient directement ou indirectement présentes lors de ces différents attentats4.
Référence
Blasco S., Moreno Galbis E., Tanguy J.,2022, " Getting used to terrorist threats? Evidence from French terrorist attacks between 2015 and 2016 ", Health Economics, 31(3), 508-540.
Notes
1. Andersen J. P., Silver R. C., Stewart B., Koperwas B., & Kirschbaum, C., 2013. "Psychological and physiological responses following repeated peer death". PloS One, 8(9), e75881. Bleich A., Gelkopf M., & Solomon Z., 2003. "Exposure to Terrorism, Stress-Related Mental Health Symptoms, and Coping Behaviors Among a Nationally Representative Sample in Israel". JAMA : the journal of the American Medical Association, 290, 612‑620
2. Kronenberg M. E., Hansel T. C., Brennan A. M., Osofsky H. J., Osofsky J. D., Lawrason, B.,2010,. "Children of Katrina : Lessons learned about postdisaster symptoms and recovery patterns". Child Development, 81(4), 1241‑1259.
3. L’indicateur CES-D, Center for Epidemiologic Studies- Depression Scale, repose sur 20 questions formulées développé en 1977 par Laurie Radloff pour mesurer la gravité des symptômes dépressifs d’une population.
4. Dans une étude IMPACTS publiée par Santé Publique, six mois après les attentats, près de 4 personnes sur 10 directement ou indirectement exposées aux attaques de Paris présentaient toujours au moins un trouble de la santé mentale
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