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« Depuis le début de l’année, nous avons recensé au total 1 776 personnes décédées en mer Méditerranée », a confirmé Adrian Edwards, porte-parole de l’agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). Pour la seule semaine du 13 au 20 avril, 700 personnes ont sombré au large des côtes libyennes. Après avoir envisagé une intervention armée en Libye contre les passeurs, qualifiés de terroristes par le président François Hollande, le sommet des chefs d’État européens, réuni à titre extraordinaire le 20 avril, a finalement opté pour une augmentation des budgets en faveur du sauvetage en mer. Une solution de rustine qui ne saurait résoudre de manière structurelle les problèmes à l’origine de ce corridor de la mort. Face à ce désastre humanitaire, silence assourdissant des États africains et de l’Union africaine. Pourtant ce sont bien leurs concitoyens – Erythréens, Sénégalais, Somaliens, Congolais, Gambiens, Camerounais – qui empruntent les chemins périlleux de l’exil.
Autre latitude : Johannesburg. Depuis plusieurs semaines, des scènes de violences xénophobes explosent et contraignent des milliers de travailleurs, commerçants, artisans non sud-africains à fuir la nation arc-en-ciel qui vire couleur orage. Et semblent grever les espoirs unionistes panafricains au nom de l’affirmation du mouvement des nationalités.
Ces différents cas d’échappement, d’errance, de fuite, contraints ou choisis sont l’expression de discours politiques de contestation face à l’ostracisme. Complexes à l’extrême, ces discours sont néanmoins simplifiés. Portraiturés, voire réifiés, sous les traits d’une catégorie plus ou moins floue de migrants, les porteurs de ces discours deviennent inaudibles. Pourtant, il y a bien des trajectoires individuelles et de groupes plurielles qui se dessinent : des migrants économiques et des réfugiés politiques qui tous sont dans une dénonciation de leur État d’origine : absence de sécurité, d’avenir et d’élaboration de politiques à l’égard de leur jeunesse.
L’objectif des chercheurs est de contextualiser, de mettre en perspective, d’analyser, de donner des clés de lecture pour mieux comprendre les sociétés africaines contemporaines et les enjeux auxquels elles sont confrontées. Par-delà des images sulpiciennes de pauvreté d’un continent à la dérive, affecté par les maladies (VIH/Sida, Ebola), les guerres encore trop nombreuses, ils cherchent à mettre en lumière des mouvements contestataires qui se lèvent, s’affirment et militent pour des changements sociétaux et démocratiques radicaux. Ainsi donc, en 2012, le mouvement sénégalais Y’en a marre s’engageait pour une alternance démocratique tandis que le président Abdoulaye Wade s’agrippait désespérément au pouvoir. Le 31 octobre 2014 marquait encore la fin du règne de Blaise Compaoré chassé par le mouvement du Balai citoyen ! Galvanisés par ses transitions démocratiques, qui présentent néanmoins le risque d’une fragilisation des éco-systèmes étatiques, d’autres mouvements contestataires comme la Lucha au Congo et Filimbi en RDC s’affirment. C’est en écho avec cette actualité que la thématique des mobilisations collectives s’est imposée pour la 6e Conférence européenne des études africaines (Ecas), de sorte à interroger de manière nouvelle la trajectoire sociale d’acteurs contestataires qui s’impliquent sur la scène publique, ainsi que les réponses proposées par les pouvoirs politiques.
L’Ecas est une conférence de renommée internationale. Pour la première fois, elle se tiendra à Paris, du 8 au 10 juillet 2015. Quelque 1 500 spécialistes de l’Afrique seront accueillis à la Sorbonne avec une volonté commune de s’intéresser à différentes facettes de la contestation au croisement de dynamiques locales et globales, nationales et internationales. Ce volet scientifique se doublera d’un volet culturel : Africa Acts, une semaine consacrée à la performance en Afrique et dans ses diasporas qui se présentera sous la forme d’un parcours dans Paris, du 5 au 12 juillet 2015. Pour les deux laboratoires organisateurs de l’événement, l’IMAF et le LAM, cette articulation entre science et culture s’est imposée comme une exigence de rigueur, mais également comme un positionnement intellectuel et culturel visant à toucher un large public. Loin des exotismes et des clichés faciles, cet engagement montre que les chercheurs sont des acteurs de la cité. Les douze artistes invités ont en commun le refus de la facilité. Chacun excellant dans son domaine, ils interrogent l’injustice, l’inégalité sociale, la violence. Exigeants, mais ludiques aussi, au travers de leurs performances coups de poing, ils détonnent, surprennent par leurs talents et participent au ré-enchantement du monde, la contestation apparaissant comme une esthétique de l’engagement.
Chercheurs, artistes, migrants, manifestants, de toute part, une même clameur bruit : « Ça suffit ! » Las des exotismes faciles qui campent immanquablement le continent dans un manichéisme beautiful ou horror à la Joseph Conrad. L’Afrique est plurielle, et ce sont bien des focales, à différents niveaux d’échelle d’analyse, que nous souhaitons mettre en exergue dans le cadre du blog : Focales Afriques.
Pour en savoir plus :
Ça suffit !, Enough is Enough !, Emmanuelle Kadya Tall, Marie-Emmanuelle Pommerolle et Michel Cahen (dir.), à paraître aux éditions Brill en juin 2015.