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Comment battent les cils à la surface des cellules ?
10.07.2023, par Pedro Lima
Mis à jour le 10.07.2023

Grâce à des méthodes originales, une équipe marseillaise perce peu à peu le secret des cellules multiciliées. Encore largement méconnues, elles facilitent le déplacement de certains fluides indispensables pour le bon fonctionnement de l'organisme. De plus, leur étude permet d’éclairer plusieurs pathologies humaines dont le cancer.


Au stade embryonnaire, l’épiderme de xénope est couvert de cellules multiciliées (MCC) dont les battements ciliaires assurent la circulation de fluide à sa surface. Image de microscopie électronique à balayage. © Camille Boutin-Nicolas Brouilly.

« Regardez cette structure fine et délicate, cet agencement parfait des cils entre eux… J’ai beau les observer et les étudier depuis 15 ans, je ne me lasse pas de leur beauté ! » C’est par ces mots que Camille Boutin, chercheuse dans l’équipe Biologie des épithéliums ciliés de l’IBDM (Institut de Biologie du Développement de Marseille – AMU, CNRS), nous reçoit dans son laboratoire situé sur le campus de Luminy. À l’écran du microscope électronique à balayage, l’image en noir et blanc, très esthétique, évoque un étrange paysage de dunes sur lesquelles pousseraient, ça et là, des buissons d’herbes fines agitées par le vent. Chaque buisson constitue en réalité une cellule multiciliée (MCC), d’une dizaine de microns à peine, captée par le microscope sur la couche superficielle de la peau (ou épiderme) d’un embryon de xénope (Xenopus laevis). Ce petit amphibien constitue l’un des deux modèles d’étude de la biologiste, avec la souris.

Pour comprendre ce que sont les MCC, il faut revenir à la structure de chaque cil : « Dans de nombreuses cellules de l’organisme, le centriole (structure jouant un rôle fondamental dans plusieurs processus physiologiques) sert de structure de base pour la construction du cil. Ce dernier peut être présent en un seul exemplaire dans une cellule et permettre à cette dernière d’intégrer les signaux de son environnement. Mais d’autres cellules, dites multiciliées (MCC) présentent de nombreux cils, de plusieurs dizaines à plusieurs centaines, et ce sont elles qui nous intéressent. Dans le cadre du projet MCCproteome (Protéomique fonctionnelle des cellules multiciliées), nous cherchons à comprendre, en utilisant des approches protéomiques (c’est à dire en étudiant l’ensemble des protéines associées à ce processus), comment les centrioles sont fabriqués au cœur des cellules avant de migrer vers leur surface pour construire les cils », explique la biologiste.
Etude d'un échantillon
Etude d’un échantillon sous une loupe binoculaire en lumière fluorescente. © Florent Kolandjian.

Les cellules multiciliées, des alliées intéressantes
Mais pourquoi étudier d’aussi près ces cellules à l’architecture si particulière ? « D’une part, car elles constituent un système puissant pour répondre à plusieurs questions fondamentales qui touchent à la biologie des cils et au-delà. D’autre part, elles sont impliquées dans de nombreuses fonctions physiologiques, en particulier chez l’être humain, à travers leur capacité à générer des flux de fluides biologiques ou à déplacer des particules et des cellules à la surface de tissus épithéliaux spécialisés ».

En d’autres termes, les MCC assurent la propulsion du liquide céphalo-rachidien dans le cerveau et le système nerveux central, font circuler l’œuf fécondé depuis l’oviducte jusqu’à l’utérus, ou encore permettent l’élimination du mucus souillé dans les voies aériennes. À l’inverse, des mutations sur des gènes impliqués dans la formation de ces MCC sont responsables de syndromes familiaux entraînant des infections chroniques des voies respiratoires et un risque élevé d'infertilité. De plus, il a été montré que des nombres anormalement élevés de centrioles, composants produits lors de la formation des MCC, sont fréquemment détectés dans les cellules tumorales.

Equipe Biologie des épithéliums ciliés de l'IBDM
L’équipe Biologie des épithéliums ciliés de l’IBDM (Institut de Biologie du Développement de Marseille) en 2022 // 1er rang de gauche à droite : Camille Boutin, Laurent Kodjabachian (directeur), Amel Toudji-Zouaz // 2eme rang de gauche à droite : Athullya Baby, Virginie Thomé, Claire Schirmer. © Florent Kolandjian.

Le deutérosome, une plateforme d'amplification des centrioles
Pour percer les secrets de ces cellules à fort intérêt scientifique et thérapeutique, Camille Boutin et ses collègues se concentrent sur une structure qui n’existe qu’en leur sein, appelée deutérosome. Il s’agit d’une plateforme de production à partir de laquelle se forment les centrioles en grande quantité.
Image de microscopue confocale d'une cellule multiciliée
Image de microscopie confocale d’une cellule multiciliée épendymaire montrant les centrioles (en vert) en cours de synthèse autour du deutérosome (en rouge). © Camille Boutin.

Cette étape clef dans le processus de « multiciliogénèse » aboutit, après migration des centrioles vers la surface cellulaire, à la structure caractéristique des MCC. Grâce aux puissants outils d’imagerie dont elle dispose (microscopie fluorescente à super-résolution et microscopie électronique 2D et 3D), l’équipe de l’IBDM a pu montrer des différences entre les cellules multiciliées étudiées sur les deux modèles animaux du laboratoire. Ainsi, le nombre de centrioles dans les MCC n’est pas le même dans l’épendyme (couche cellulaire du cerveau) de souris (40 centrioles par cellule en moyenne) et l’épiderme de xénope (150 par cellule environ).
Reconstruction picturale de la multiciliogénèse
Reconstruction picturale de la multiciliogenèse / Ce dessin visait à mettre en évidence le mode de formation de la cellule multiciliée. Il montre toutes les étapes importantes du processus : l’apparition de granules fibreux (1) qui condensent progressivement pour former les deutérosomes (2), qui sont des plateformes de production pour les centrioles multiples (3). Une fois construits, les centrioles sont libérés dans la cellule (4) et migrent vers la surface pour permettre la croissance des cils multiples (5). © schéma adapté de Sorokin, 1968.

De récentes découvertes à l'Institut de Biologie du Développement de Marseille
De manière surprenante, si la découverte du deutérosome date de la fin des années 1960, son étude a été délaissée durant un demi-siècle pour reprendre au début des années 2010 à peine. Résultat, très peu d'études ont porté sur son fonctionnement au niveau moléculaire comme le fait l’équipe marseillaise, et les principales étapes de la formation des MCC restent encore à découvrir. « Il s’agit d’une piste scientifique entièrement nouvelle, ce qui la rend d’autant plus passionnante. Ainsi, deux équipes seulement en France et moins d’une dizaine dans le monde étudient les deutérosomes dans les cellules multiciliées, confirme la chercheuse. Nous voulons déterminer la composition, l’organisation et le fonctionnement de ces deutérosomes. Pour cela nous devons d’abord identifier les protéines qui leur sont associées et ainsi expliquer comment elles fonctionnent ».

En 2013, une première protéine composant le deutérosome, baptisée Deup1, a déjà été identifiée par l’équipe du Dr Zhu au Shanghai Institute for Biological Sciences. Pour aller plus loin, Camille Boutin et ses collègues ont mis au point à partir de 2018 une méthode entièrement nouvelle, qui leur a permis de faire des progrès majeurs. « Tout d’abord, nous avons obtenu une culture homogène et à grande échelle de cellules capables de produire des MCC, étape indispensable pour notre approche. Puis nous avons réussi, par un procédé biochimique entièrement nouveau, à isoler les deutérosomes dans nos cellules de culture.

Cela nous permet, depuis 2021, de rechercher activement d’autres protéines que Deup1 dans les deutérosomes ainsi obtenus en grande quantité », détaille la biologiste.  En collaboration avec l’équipe de Jean-Paul Borg du Centre de recherche en cancérologie de Marseille (CRCM), spécialisée en protéomique, environ 200 protéines candidates ont été identifiées, et une dizaine d’entre elles validées comme étant associées au deutérosome. Mieux, Camille Boutin et son équipe ont mis en évidence que l’inhibition d’un gène codant la protéine Cep76 entraîne une diminution du nombre de centrioles produits dans les cellules multiciliées. Et l’étude du rôle de cette protéine dans la production des centrioles dans les MCC va faire l’objet d’une thèse financée par la Ligue contre le cancer. Le phénomène de sur-duplication des centrioles est en effet connu pour être associé à la survenue des cancers. Sa meilleure compréhension pourrait donc conduire, à terme, à la mise au point de nouvelles stratégies anti-cancéreuses.

Laboratoire de l'IBDM
Laboratoire de l’Institut de Biologie du Développement de Marseille, situé sur le campus de Luminy. © Florent Kolandjian.   

Cette belle avancée, parmi d’autres à mettre au crédit de l’équipe de Camille Boutin, valide l’approche globale qui a été choisie, de la composition à la fonction en passant par l’organisation : « Sans une description fine du deutérosome des MCC, poussée jusqu’au niveau protéique, nous n’aurions pas pu mettre en évidence la fonction de la protéine Cep76 ». Une démarche scientifique solide et élégante, tout autant que les fascinantes et délicates structures qu’elle contribue à révéler.

Pour en savoir plus sur le rôle des cellules multiciliées dans les poumons. https://lejournal.cnrs.fr/articles/voyage-au-coeur-du-poumon
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Ces recherches et cet article ont été financés en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR-MCCProteome - AAPG 2018-2019. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle.

 

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