Donner du sens à la science

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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches s'inscrivent dans le programme « Science avec et pour la société » de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
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Par le réseau de communicants du CNRS

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Comment l’épithélium maintient sa cohésion
04.11.2025, par Martin Koppe
Mis à jour le 04.11.2025

Les cellules de l’épithélium s’assemblent et se maintiennent ensemble grâce à un maillage complexe à l’échelle du tissu. À Rennes, une équipe s’intéresse aux gènes et protéines qui composent les jonctions tricellulaires et assurent cette cohésion.

Présents à la surface de la plupart de nos organes, les épithélia sont des tissus composés de cellules étroitement accolées, dont la cohésion est essentielle à de nombreuses fonctions vitales telles que la protection, l’absorption, les échanges gazeux et la filtration. À l’Institut de génétique et développement de Rennes1, Roland Le Borgne, directeur de recherche CNRS, dirige une équipe d’une dizaine de personnes qui explore les mécanismes de maintien de l’intégrité des épithélia.

« L’épithélium sert à l’absorption de nutriments dans le tube digestif, la filtration dans les reins ou encore aux échanges gazeux dans les poumons, rappelle Roland Le Borgne. Il est constitué de cellules polarisées reliées par des jonctions qui jouent le rôle de barrière. Ces jonctions sont sans cesse sollicitées tout au long du développement lors des divisions cellulaires, l’intercalation de nouvelles cellules ou la mort cellulaire. Nous étudions ces processus sur deux modèles complémentaires : la drosophile, un invertébré de référence en biologie du développement, et le xénope, un amphibien représentant des vertébrés. »

Des cellules aux formes polygonales

Dans un épithélium mature, les cellules, vues de dessus, adoptent une organisation hexagonale stable. Avant le stade mature, les cellules présentent des formes de polygones réguliers (pentagones, hexagones). Aux sommets des polygones se forment des points de contact entre trois cellules, appelés jonctions tricellulaires. C’est sur ces jonctions tricellulaires que se concentrent les recherches de l’équipe. Ces jonctions assurent à la fois une fonction de barrière et une régulation des tensions mécaniques dans le tissu. Les chercheurs cherchent à identifier les protéines qui s’y assemblent et à comprendre comment elles contribuent à la cohésion de l’ensemble.

« Les protéines diffèrent selon qu’il s’agit de jonctions bicellulaires et tricellulaires, explique Roland Le Borgne. Le premier cas de figure est mieux connu, d’où le fait que nous nous concentrons sur les jonctions tricellulaires. À l’aide d’outils génétiques, nous enlevons ainsi des composants à ces jonctions pour voir comment cela impacte l’intégrité du tissu. Ces travaux, très fondamentaux, visent à comprendre comment l’épithélium s’assemble et se maintient malgré son renouvellement permanent. Dans l’intestin par exemple, les cellules sont remplacées tous les trois à six jours grâce à la division de cellules souches. Pourtant, tout doit se tenir sans perte de maintien. Les chercheurs ont montré que l’absence de certaines protéines entraîne des défauts d’intégrité, ouvrant la voie à des pathologies où la barrière épithéliale se rompt. »

L’équipe s’intéresse également à l’impact de la division cellulaire sur la cohésion du tissu. Il existe en effet une division symétrique, où une cellule donne deux cellules identiques, et asymétrique, où les deux cellules filles sont différentes. Les chercheurs ont observé que ces divisions présentent des cinétiques d’assemblage distinctes : les cellules issues d’une division asymétrique reforment leurs jonctions bi et tricellulaires plus rapidement.

Assemblages des Jonctions tricellulaires et dialogue avec les bicellulaires 

Les protéines constituant les jonctions tricellulaires diffèrent chez les invertébrés et vertébrés : Anakonda et Gliotactine chez les invertébrés ; Anguline et Tricellunine, chez les vertébrés. L’équipe a contribué à découvrir que les jonctions tricellulaires comprenaient un troisième membre, M6, présent chez les invertébrés et les vertébrés et essentiel à l’assemblage des jonctions tricellulaires. M6 était à la base connue uniquement chez la drosophile, la découverte de sa fonction chez le xénope en fait un point de conservation évolutive entre invertébrés et vertébrés. Chez la drosophile, si M6 est muté cela provoque un défaut d’intégrité des tissus épithéliaux. Dans un contexte oncogénique, les cellules prétumorales sont alors capables de quitter l’épithélium et de migrer au sein de l’organisme pour métastaser. Les travaux ont également montré que les jonctions bi et tricellulaires communiquent entre elles. Lorsqu’une jonction bicellulaire est supprimée, la jonction tricellulaire peut s’étendre pour occuper l’espace libre et préserver la barrière autour de la cellule. Cette plasticité assure la continuité des fonctions de cohésion.

Un travail d’équipes

Les résultats des scientifiques de l’Institut de génétique et développement de Rennes ont été obtenus en collaboration avec l’équipe de Delphine Delacour, directrice de recherche CNRS à l’Institut Jacques Monod2 puis à l’Institut de biologie du développement de Marseille3. Elle a étudié plus spécifiquement les jonctions tricellulaires dans l’épithélium intestinal de vertébrés au niveau des cryptes intestinales, qui sont le bout d’un tube à base arrondie où les contraintes géométriques et mécaniques sont très particulières. Delphine Delacour a montré comment les cellules souches en division réorganisent leurs jonctions tricellulaires pour, vraisemblablement, assurer le maintien de l’intégrité tissulaire.

L’équipe de l’IGDR a multiplié les observations au microscope pour comprendre comment le tissu réagit à la perte de composants de jonctions tricellulaires. Ils ont constaté que, lorsque l’intégrité du tissu est compromise, les cellules activent des mécanismes de secours : elles renforcent leur ancrage à la matrice extracellulaire et augmentent la production de protéines d’adhésion, parfois redistribuées dans des domaines cellulaires inattendus. L’équipe cherche désormais à élucider comment ces mécanismes compensatoires se mettent en place et permettent à l’épithélium de se stabiliser malgré les perturbations.

Les complexes jonctionnels aux interfaces entre les cellules épithéliales et entre les cellules et la matrice extracellulaire © Adapté de Mira Osuna and Le Borgne, Development (2024) 151, dev201086. doi:10.1242/dev.201086

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Ces recherches ont été financées en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet « Assessing the Contribution of Tricellular Junctions to Epithelial Mechanics – ACTRICE ». Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2020 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 2020).

 

Notes
  • 1. IGDR, CNRS/Univ. Rennes
  • 2. IJM, CNRS/Univ. Paris Cité
  • 3. IBDM, CNRS/Aix-Marseille Univ.