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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches bénéficient du label « Science avec et pour la société » du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
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De l’architecture moléculaire pour simplifier les dispositifs d’affichage
22.01.2024, par Nolane Langlois
Mis à jour le 22.01.2024

À Rennes, les chercheurs manipulent des fragments moléculaires, comme dans un jeu de construction. L’exercice vise à obtenir des molécules aux propriétés suffisamment intéressantes pour être intégrées à des dispositifs organiques émetteurs de lumière phosphorescente : les PhOLEDs.

Bien connues dans le domaine de l’électronique, les diodes électroluminescentes organiques (OLEDs) ont progressivement été intégrées dans nos objets du quotidien. Cette nouvelle génération de dispositifs organiques se retrouve aussi bien dans des écrans de télévision, d’ordinateur, de smartphone ou dans divers systèmes d’éclairage. Par rapport aux écrans LED, cette technologie d’affichage, qui ne nécessite pas de rétroéclairage, offre des qualités de contrastes inégalées. La deuxième génération de ces diodes, les PhOLEDs, émettent de la lumière phosphorescente avec un meilleur rendement que ses prédécesseuses.

Le défi de la couche unique
L’essor de cette technologie a amené un défi de taille, ou plutôt de simplification. En effet, l’architecture en multicouches des PhOLEDs rend leur production coûteuse en énergie et en matériaux. Cyril Poriel, directeur de recherche du CNRS à l’Institut des sciences chimiques de Rennes1 s’est donné pour mission de simplifier ce dispositif. Avec son équipe, il travaille depuis de nombreuses années sur les molécules au sein de la couche émissive de lumière. « Il faut imaginer la PhOLED comme un sandwich composé de différentes couches. À chaque extrémité, on retrouve une électrode, puis différentes couches fonctionnelles, et au centre du dispositif la couche émissive de lumière, illustre ce dernier. Simplification des dispositifs électroniques ©Jean-François Bergamini
Simplification des dispositifs électroniques ©Jean-François Bergamini / ISCR

L’objectif était donc de ne laisser que les électrodes et une unique couche, celle qui émet la lumière », illustre-t-il. Depuis vingt ans, la quête d’une technologie « couche unique » anime les chercheurs. Mais de nombreux échecs se sont succédé dans le milieu, car en enlevant les différentes couches, ce sont les performances du dispositif qui s’effondrent, comme un château de cartes. « Les couches fonctionnelles aident notamment au transport de charges de l’électrode jusqu’à la couche émissive de lumière. Sans elles, il est beaucoup plus difficile d’obtenir une PhOLED performante », précise Cyril Poriel. Avec son équipe, il s’est penché sur la synthèse de molécules qui servent de matrice à l’émetteur phosphorescent de lumière. « Il fallait trouver des molécules capables à la fois de transporter les charges et de faire tout le reste du travail au sein de la couche émissive », résume-t-il.

Des résultats immédiats  
L’aventure prend un premier tournant en 2015 par l’obtention d’une PhOLED couche unique dont les performances élevées étaient très prometteuses2. Après quelques années consacrées à d’autres thématiques, l’équipe s’intéresse de nouveau aux PhOLEDs à couche unique, peu avant le commencement du projet SPIRO-QUEST. Financé par l’ANR et initié en 2020, ce dernier sonne comme l’aboutissement de ces premières années de recherche et voit naître en quelques mois des résultats presque jamais atteints. Une PhOLED bleue avec un rendement de 17%, un exploit.3 « Nous avons synthétisé une molécule très performante dès le début du projet, ce qui n’est pas forcément un cadeau dans le milieu de la recherche, confie Cyril Poriel. Le risque est de toujours faire moins bien, mais, par la suite, nous avons obtenu une autre molécule extrêmement performante dépassant 20% de rendement pour de l’émission verte. Cette molécule est à ce jour la plus performante dans le domaine4», ajoute-t-il. L’obtention d’un rendement satisfaisant dans le bleu était un défi supplémentaire. « Injecter des charges dans des matériaux qui émettent dans des longueurs d’ondes basses comme le bleu est beaucoup plus difficile que pour le rouge et le vert », explique Cyril Poriel. Et dans un système à couche unique, impossible de compter sur les couches fonctionnelles pour “gommer” ces difficultés. Pourtant, ils l’ont fait, grâce à un fragment moléculaire particulier : « La clé réside dans l’ajout d’unités oxyde de phosphine qui permettent de maximiser le transport d’électrons », rapporte le chercheur.
Diodes électrophosphorescentes organiques (PhOLED) ©Jérémy Barande / LPICM / MaCSE / École polytechnique / CNRS Images
Diodes électrophosphorescentes organiques (PhOLED) émettant dans le bleu ©Jérémy BARANDE / LPICM / MaCSE / École polytechnique / CNRS Images

Au plus près des atomes
Au cours du projet, l’équipe s’est affairée aussi bien à tester de nouvelles molécules qu’à en affiner les designs. Le travail effectué au niveau des fragments moléculaires ferait penser à de l’architecture, voire de l’orfèvrerie. « En fonction de la manière dont on agence les atomes entre eux, cela va modifier fortement les propriétés des molécules, notamment en ce qui concerne leur transport, qui déterminera leur performance en PhOLEDs, explique Cyril Poriel. Cela représente un jeu très fin car il faut trouver des compromis entre différents paramètres pour obtenir une molécule performante, il y a donc parfois une part de chance », ajoute-t-il.

De la molécule jusqu’au dispositif PhOLED, différentes étapes sont nécessaires et mobilisent plusieurs équipes de recherche. Après une étude approfondie de ses propriétés, la molécule d’intérêt parcourt quelques centaines de mètres depuis l’ISCR pour être testée par une équipe de l’Institut électronique et des technologies du numérique5. Là-bas, ses performances sont mesurées en termes de transport de charges. Si la molécule est validée, elle voyage jusqu’à l’École polytechnique de Saclay6 pour être intégrée dans des dispositifs PhOLEDs, dont l’efficacité est évaluée. Ces résultats permettent d’entamer un travail d’enquête à l’ISCR, visant à comprendre pourquoi certaines molécules arrivent à donner des dispositifs très performants et d’autres échouent. Et la boucle recommence. « C’est la synergie entre toutes les équipes, l’efficacité des stratégies mises en place et le travail acharné de mes étudiants qui nous ont permis d’aller aussi loin », observe Cyril Poriel.

Finalement, ce sont les casse-têtes qui animent la recherche fondamentale. Et il en reste un qui animera l’équipe de l’ISCR jusqu’à l’achèvement du projet en juin 2024. « Nous voulons tester encore quelques molécules et également essayer de comprendre plus finement le lien entre le transport de charges et les performances des PhOLEDs », rapporte Cyril Poriel. Cette aventure qui touche à sa fin n’est qu’un chapitre dans l’histoire de ces technologies. « Je pense que les dispositifs monocouches ont un bel avenir, même si à l’origine peu de monde y croyait car personne ne réussissait à synthétiser les molécules nécessaires. Dans notre équipe, on est assez fiers d’y être arrivé car c’était un gros challenge », raconte le chercheur.
Ce dernier s’est lancé un objectif encore plus ambitieux qui nécessitera un nouveau projet : l’émission de lumière blanche dans des dispositifs simplifiés.

 

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Ces recherches ont été financées en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR SPIRO-QUEST (Des matériaux innovants pour simplifier les dispositifs PhOLEDs des écrans et des systèmes d’éclairage de demain). Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projets Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle.

 
 
Notes
  • 1. ISCR - Unité CNRS / université de Rennes
  • 2. Ref : Thiery, S.; Tondelier, D.; Geffroy, B.; Jacques, E.; Robin, M.; Métivier, R.; Jeannin, O.; Rault-Berthelot, J.; Poriel, C., Spirobifluorene-2,7-dicarbazole-4′-phosphine Oxide as Host for High-Performance Single-Layer Green Phosphorescent OLED Devices. Org. Lett. 2015, 17, 4682-4685
  • 3. Ref : Lucas, F.; Ibraikulov, O. A.; Quinton, C.; Sicard, L.; Heiser, T.; Tondelier, D.; Geffroy, B.; Leclerc, N.; Rault-Berthelot, J.; Poriel, C., Spirophenylacridine-2,7-(diphenylphosphineoxide)-fluorene: A Bipolar Host for High-Efficiency Single-Layer Blue Phosphorescent Organic Light-Emitting Diodes. Adv. Opt. Mater. 2020, 8, 1901225
  • 4. Lucas, F.; Brouillac, C.; Fall, S.; Zimmerman, N.; Tondelier, D.; Geffroy, B.; Leclerc, N.; Heiser, T.; Lebreton, C.; Jacques, E.; Quinton, C.; Rault-Berthelot, J.; Poriel, C., Simplified Green-Emitting Single-Layer Phosphorescent Organic Light-Emitting Diodes with an External Quantum Efficiency > 22%. Chem. Mater. 2022, 34, 8345–8355
  • 5. IETR - unité CNRS / CentraleSupélec / INSA Rennes / Nantes Université / Université de Rennes
  • 6. Au laboratoire de physique des interfaces et des couches minces (LPICM) - unité CNRS / Ecole Polytechnique

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