Donner du sens à la science

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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches s'inscrivent dans le programme « Science avec et pour la société » de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
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Des nanofils pour booster l’hydrogène propre
19.06.2023, par Samuel Belaud, Délégation Rhône Auvergne
Mis à jour le 19.06.2023
Pour optimiser la méthode de production d’hydrogène dit « solaire », un carburant propre et renouvelable, des scientifiques explorent les propriétés physiques de structures d’échelle nanométrique : les nanofils. Explications dans ce nouveau billet du blog « Focus Sciences ».

Intermittentes, coûteuses, dépendantes des conditions météorologiques, consommatrices d’espaces naturels… Les critiques à l’endroit des énergies renouvelables (EnR) abondent encore dans les discours qui entourent leur déploiement. Ces bruyantes réprobations masquent une réalité pourtant plus inquiétante, à savoir l’écrasante domination des énergies fossiles dans le mix énergétique mondial1, en dépit des conclusions de la récente étude conduite par RTE ou des rapports que le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) publie depuis plus de 30 ans. Pour répondre à ces défis, les scientifiques travaillent à consolider les technologies de production décarbonée d’énergie et à accélérer leur développement.

Dans cette perspective, José Penuelas, enseignant-chercheur à l’Institut des nanotechnologies de Lyon2 et une équipe de scientifiques se sont fixé pour objectif d’optimiser la méthode de production d’hydrogène dit « solaire », un carburant propre et renouvelable grâce à l’adjonction de structures d’échelle nanométrique : les nanofils.
 
Mieux piéger la lumière solaire
 
L’hydrogène solaire est obtenu par photo-électrolyse de l'eau. Il s’agit d’une méthode qui permet de séparer les molécules d'eau en dihydrogène et dioxygène, à l’aide d’un courant électrique généré par l’exposition d’électrodes à la lumière du soleil.

Le dispositif de photoélectrolyse de l’eau se compose de deux photoélectrodes (une photoanode, une photocathode) immergées dans un électrolyte (une substance conductrice) liquide. La photoanode va - en absorbant la lumière du soleil – faire s’échapper du dioxygène (O2) et libérer 4 ions hydrogène H+. Ces ions seront « transformés » de l'autre côté par la photocathode qui, également via l’absorption de la lumière, produira de l’hydrogène (H2), qu’il s’agit ensuite de capter et stocker. © S. BelaudLe dispositif de photoélectrolyse de l’eau se compose de deux photoélectrodes (une photoanode, une photocathode) immergées dans un électrolyte (une substance conductrice) liquide. La photoanode va – en absorbant la lumière du soleil – faire s’échapper du dioxygène (O2) et libérer 4 ions hydrogène H+. Ces ions seront « transformés » de l’autre côté par la photocathode qui, également via l’absorption de la lumière, produira de l’hydrogène (H2), qu’il s’agit ensuite de capter et stocker. © S. Belaud

« Il s’agit de convertir efficacement l’énergie solaire en un carburant propre, stockable et facilement pilotable », explique le chercheur. Pour ce faire, il faut parvenir à dépasser deux contraintes majeures : d’une part, le coût important de certains composants nécessaires à la photo-électrolyse de l'eau ; de l’autre, la faible efficacité de ces électrodes en termes de rendement énergétique (rapport entre l'énergie générée par un dispositif et celle qui aura été nécessaire à sa production).

Le groupe pluridisciplinaire de scientifiques3 mené par José Penuelas a pris le pari d’ajouter une couche de nanofils sur les électrodes. Ces objets d’échelle nanométrique sont dotés de propriétés physiques remarquables et sont facilement intégrables sur le matériau de base utilisé pour la photo-électrolyse de l’eau, ou encore pour le photovoltaïque : le silicium (l'élément chimique le plus abondant sur Terre après l'oxygène. Composant principal du verre, il entre également dans la composition de nouvelles technologies, comme les panneaux photovoltaïques). « Il faut imaginer ces nanofils comme des brins qu'on va faire croître verticalement sur la surface des électrodes, précise José Penuelas. Ce faisant, nous augmentons jusqu’à 10 fois la surface des électrodes, ce qui amplifie leur capacité à absorber de la lumière et donc à générer les électrons nécessaires à la photo-électrolyse de l’eau ».

Image par microscopie électronique à balayage de nanofils de GaAs épitaxiés sur substrat de silicium. © Philippe RegrenyImage par microscopie électronique à balayage de nanofils de GaAs épitaxiés sur substrat de silicium. © Philippe Regreny

L’usage de nanofils présente un autre avantage non négligeable en raison de leur capacité à « piéger les photons ». Autrement dit, leur morphologie leur confère une capacité supérieure à absorber la lumière solaire par rapport aux éléments semi-conducteurs (matériau isolant qui ne peut conduire l'électricité que dans certaines conditions. Ils sont actuellement utilisés comme matériau de base dans le photovoltaïque) en couche mince. Par exemple, sous forme planaire, le silicium « réfléchit jusqu'à 60% de la lumière qu'il reçoit, indique le chercheur. C’est une importante perte d'énergie potentielle, que nos nanofils permettent d’éviter puisqu’ils peuvent capter plus de 99 % des rayons solaires ».

Éviter la corrosion

Forts de cette capacité à mieux absorber la lumière, tout en réduisant la quantité de matériau nécessaire pour la conversion énergétique, les nanofils semblent donc constituer la technologie qu’il manquait pour mettre l’hydrogène solaire sur de bons rails.

Cependant, les chercheurs ont dû faire preuve d’ingéniosité pour s’affranchir d’une problématique de taille dès lors que l’eau entre dans l’équation : la corrosion. « Au contact de l’eau, nos nanofils ont tendance à s'abîmer et à s'oxyder assez rapidement (…) et cette dégradation intervient parfois en l’espace de quelques secondes », constate le chercheur. Or, un matériau détérioré, ne serait-ce que sur quelques nanomètres, peut empêcher le processus de libération de l'électron (voir le schéma plus haut) et donc bloquer l’ensemble de la réaction chimique voulue.

Pour résoudre ce phénomène, les chercheurs ont mis au point une surcouche à déposer sur la surface du nanofil. « En plus d’être protectrice, décrit José Penuelas, cette “coquille” est également transparente pour laisser passer les photons ; et partiellement conductrice pour permettre (dans le cas de la photocathode) aux électrons générés de sortir du nanofil. » Les chercheurs ont trouvé dans le dioxyde de titane (TiO2)4 le matériau répondant à ces trois caractéristiques. Ils sont parvenus à l’adapter aux nanofils, augmentant ainsi la durée de vie globale des électrodes sans compromettre significativement leur efficacité. Après le dépôt de ces catalyseurs pour accélérer la production d’hydrogène, la photo-électrode s’avère fonctionnelle. Toutefois, José Penuelas souligne avec exigence que « la qualité de l'interface entre le nanofil et sa coquille doit encore être améliorée, pour permettre aux charges de bien circuler entre ces couches ».

Les conditions de l’ultravide

Afin de pouvoir contrôler la fabrication à l’échelle nanométrique de ces semi-conducteurs, les chercheurs ont besoin de travailler dans les conditions très spécifiques de l’ultravide (niveau de vide caractérisé par une pression extrêmement basse) afin de réduire au maximum le risque de contamination et de limiter d’éventuelles perturbations indésirables. Pour y parvenir, ils disposent d'un équipement sophistiqué5 qui permet de déposer la matière atome par atome, sans la moindre contamination. « Ce réacteur MBE (Molecular Beam Epitaxy) crée un environnement d'une extrême pureté, caractérisé par une pression inférieure de 1013 fois à celle de la pression atmosphérique », s’enthousiasme le chercheur.

Croissance de nanofils par épitaxie par jets moléculaires à l’Institut des nanotechnologies de Lyon © Lucie Khlat / INL Croissance de nanofils par épitaxie par jets moléculaires à l’Institut des nanotechnologies de Lyon. © Lucie Khlat / INL

L’utilisation de cette machine demeure relativement coûteuse et rend difficilement envisageable son transfert en l’état à l'échelle industrielle. « Nous adoptons ce procédé particulièrement minutieux parce que nous concevons des matériaux semi-conducteurs modèles, argumente José Penuelas. C’est grâce à notre capacité à contrôler les conditions de nano fabrication sous ultravide, que nous sommes en mesure de proposer un prototype idéal de photoélectrolyse de l’eau. » L’émergence d’une filière de production d’hydrogène solaire par nanofils nécessitera, malgré tout, d’adapter ces méthodes de fabrication « vers quelque chose de plus simple et moins coûteux », prédit-il.  

Le groupe de chercheurs a donc largement atteint son objectif scientifique en démontrant l’intérêt de ces nanofils pour l’efficacité de la photo-électrolyse de l'eau, en comparaison avec d’autres semi-conducteurs (publication à paraître / T. Dursap et al). En parallèle, d’autres programmes de recherche tendent à démontrer la pertinence de ces nanomatériaux pour d’autres énergies propres, à l’instar du photovoltaïque. Les nanofils pourraient ainsi participer à résoudre l’impasse technologique dans laquelle le secteur énergétique demeure bloqué, en augmentant le rendement des dispositifs de conversion d'énergie solaire.

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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR-BEEP-AAPG2018. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI-JCJ et PRC AAPG 18/19).
 

Notes
  • 1. Les énergies fossiles représentent encore plus 81% du mix énergétique primaire mondial en 2021 (source : agence internationale de l’énergie).
  • 2. Unité CNRS / Ecole Centrale de Lyon / CPE Lyon / INSA de Lyon / Université Claude Bernard Lyon 1
  • 3. Institut des Nanotechnologies de Lyon (CNRS, Ecole Centrale de Lyon, INSA-Lyon, Université Claude Bernard Lyon 1 ; CPE Lyon) ; Laboratoire de Chimie et Biologie des Métaux (Université Grenoble Alpes, CNRS, CEA/IRIG Grenoble) ; Service de Physique de l'Etat Condensé (CNRS ; CEA Saclay) ; Laboratoire Matériaux, Ingénierie et Science (CNRS, INSA-Lyon, Université Claude Bernard Lyon 1) ; Institut Camille Jordan (Université Claude Bernard Lyon 1, CNRS, Université Jean-Monnet Saint-Etienne, INSA-Lyon, Ecole Centrale de Lyon)
  • 4. Le TiO2 est déposé par ALD (atomic layer deposition). Cette technique permet un dépôt régulier et précis du matériau sur tout le nanofil.
  • 5. Machine MBE : acronyme anglais pour Molecular Beam Epitaxy (épitaxie par jets moléculaires).