Donner du sens à la science

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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches s'inscrivent dans le programme « Science avec et pour la société » de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
Pour en savoir plus, lire l'édito.

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Par le réseau de communicants du CNRS

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Des nanoparticules à la transition écologique des laboratoires
20.01.2025, par Martin Koppe
Mis à jour le 20.01.2025

Directrice de recherche au CNRS, Fabienne Gauffre travaille à l’interface entre la matière molle et les matériaux. En plus de ces projets, elle s’implique pour l’environnement et les générations futures.

Une physico-chimiste de la matière molle, c’est comme cela que se décrit Fabienne Gauffre. Cette directrice de recherche CNRS à l’Institut des sciences chimiques de Rennes1 explore la corrélation entre la structure de molécules, capables de s’assembler physiquement plutôt que par des liaisons chimiques, et la structure, la texture et les propriétés du matériau ainsi formé. « Les applications grand public concernent la formulation pour l’agroalimentaire ou la médecine, explique Fabienne Gauffre. Il s’agit de donner la bonne texture à des matériaux mous, ou encore la solubilité ou la biodisponibilité à des médicaments sous forme particulaire. »

Avec des collègues de l’Institut Charles Sadron2 et du Centre de recherche Paul Pascal3,  elle a notamment étudié l’effet Ouzo4, qui doit son nom au fameux alcool grec. Celui-ci, tout comme le raki ou le pastis, forme une émulsion particulière lorsqu’on y ajoute de l’eau : les huiles essentielles qu’il contient se regroupent spontanément en petites gouttes d’une centaine de nanomètres, sans même avoir besoin d’être mélangées. « Nous voulons contrôler ce phénomène et recouvrir ces gouttes de nanoparticules d’or, afin de construire des métamatériaux, c’est-à-dire des matériaux aux propriétés optiques inconnues dans la nature, précise Fabienne Gauffre. Pour avoir les propriétés attendues et obtenir des composants appelés nanorésonateurs plasmoniques, on doit contrôler la taille des gouttes, des nanoparticules d’or à la surface des gouttes et la distance entre ces nanoparticules d’or ! C’est un gros enjeu que de pouvoir utiliser ce type d’approche, finalement très low-tech, pour élaborer des objets avec une grande précision. »

Des ateliers sur la transition écologique

En parallèle de ces travaux scientifiques, Fabienne Gauffre s’investit pour la transition écologique. Après une formation sur la transformation des organisations vers le développement durable, proposée par l’Université de Rennes, Fabienne Gauffre s’est en effet de plus en plus impliquée dans la réduction de l’impact environnemental de la recherche. « L’ISCR est un très gros laboratoire, regroupant plus de 500 personnes, décrit Fabienne Gauffre. On peut donc espérer un impact important si on lance des actions de réduction de notre empreinte environnementale. L’idée n’est pas d’imposer les choses par le haut, ce qui fonctionne rarement sur les thématiques environnementales et ne correspond pas à ma vision des choses, mais d’entraîner le plus de gens possible dans la sensibilisation et la montée en compétences. Ma première action a été de créer un groupe de travail “Environnement et Société” au sein de l’ISCR, qui réunit des collègues très motivés et qui est fortement soutenu par la direction. »

De nombreux ateliers, comme la « Fresque du climat », « Ma vie bas carbone » ou « Ma Terre en 180 minutes », ont été proposés aux membres du laboratoire et suivis par une centaine de collègues, incluant la direction et les responsables des diverses fonctions du laboratoire. Le groupe de travail a également organisé, au mois de mai, une journée de montée en compétences qui a réuni environ 250 participants, embarquant les doctorants et CDD en plus du personnel permanent. Biais cognitifs, réchauffement climatique, analyse de cycles de vie, outils économiques, commandes publiques ou bilan carbone du laboratoire, les sujets des conférences et ateliers étaient vastes et nombreux.

Verdir les pratiques des chercheurs

« Ces actions nous ont permis de voir ce qu’il était possible de faire à l’échelle de notre laboratoire, poursuit Fabienne Gauffre. Nous travaillons à mieux mutualiser nos instruments, matériels et produits chimiques et à réduire nos déchets, sachant que l’ISCR consomme plus de 50 000 seringues en plastique à usage unique par an, sans compter les dépenses en solvants et en eau. Nous nous inspirons bien sûr de ce que font les autres labos, mais il y a aussi des initiatives très originales, comme le développement d’un réfrigérant à air, développé par un ingénieur et un verrier du laboratoire. Pour 2025, nous mettons en œuvre une démarche participative, en invitant tous les personnels à participer, pour élaborer un grand Plan de réduction de notre empreinte environnementale (PREE). Tous les sujets seront abordés. »
Ce plan va être élaboré avec l’aide d’Open Lande, un cabinet nantais spécialisé. Un vote aura lieu en juillet 2025 pour décider quelles propositions, à différents degrés de contrainte, vont être concrètement prises à partir du plan.

Convaincre sans jamais imposer

« Réunir et entraîner les collègues dans une démarche responsable est un enjeu majeur, il faut que chacun se sente concerné et parvienne à se libérer du temps, précise Fabienne Gauffre. Et au-delà des questions environnementales, nous réfléchissons à d’autres manières de travailler ensemble. Cela m’a d’ailleurs donné envie de donner plus de sens à mes sujets de recherche, de passer plus de temps à m’interroger sur leur utilité sociétale, de trier en faveur de ce qui me semble plus pertinent à ce niveau-là. Il faut se libérer du temps rien que pour s’y pencher. »

Revenant sur le projet Ouzo Fan, Fabienne Gauffre mentionne les interrogations sur l’identification des solvants les plus pertinents du point de vue environnemental, et de leur usage sachant qu’ils ne sont pas forcément les plus performants. « Ces travaux sont aussi en lien avec la formulation de médicaments, mais ce n’est pas parce que le développement de médicaments est clairement utile qu’il ne faut pas se demander comment bien faire cette recherche », insiste Fabienne Gauffre. Ces efforts peuvent devenir eux-mêmes de la recherche. Ainsi, la chercheuse est co-autrice d’un article scientifique sur la comparaison du bilan carbone de trois laboratoires français de chimie et des scénarios de réduction.

Un message aux étudiants

Elle prend également soin de sensibiliser les experts de demain, qui seront en première ligne du changement climatique. « J’ai envie de transmettre de bonnes pratiques à mes étudiants, affirme Fabienne Gauffre. Par exemple de passer plus de temps à travailler leur bibliographie, afin de ne pas reproduire inutilement des expériences qui ont déjà été réalisées. De même, il n’est pas nécessaire de multiplier les manips si l’on n’est pas certains d’avoir le temps d’en exploiter les résultats. »

Pour les doctorants comme pour ses collègues et elle-même, Fabienne Gauffre n’est ainsi jamais à court d’idées et de solutions pour accompagner son laboratoire dans la transition écologique. Des efforts qu’elle continue de mener en parallèle de ses travaux.


Image de microscopie électronique en transmission de nanocapsules obtenues en recouvrant une émulsion de type « Ouzo » par des nanoparticules d’oxyde de fer, selon un procédé de fabrication « low tech » en une seule étape (Thèse de D. Iglicki ; collab: M. Kahn, LCC UPR 8241). La microscopie électronique est réalisée sur les plateformes Themis (UAR 2025-ScanMat) et MRic (UAR 3480 Biosit) © ISCR – ScanMar - Biotsit

Pour en savoir plus sur l'implication de Fabienne Gauffre dans les projets Science et société de son laboratoire : https://lesviesintenses.univ-rennes.fr/

Ces recherches ont été financées en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet « Assemblages de nanoparticules en coques submicroniques par effet Ouzo : vers des résonnateurs optiques – OuzoFAN ». Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2020 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 20).
 

Notes
  • 1. ISCR, CNRS/ENSC Rennes/Univ. Rennes
  • 2. ICS, CNRS
  • 3. CRPP, CNRS/Univ. Bordeaux
  • 4. Iglicki D., Goubault C., Nour Mahamoud M., Chevance S., Gauffre F. Shedding Light on the Formation and Stability of Mesostructures in Ternary “Ouzo” Mixtures. Journal of Colloid and Interface Science 2023, 633, 72–81. https://doi.org/10.1016/j.jcis.2022.11.060