Donner du sens à la science

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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches s'inscrivent dans le programme « Science avec et pour la société » de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
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Dévoiler les secrets des nuages de CO2 martiens
04.09.2025, par Sophie Dotaro pour le CNRS Délégation Île-de-France, Gif-sur Yvette

Comment se forment les nuages de CO2 de Mars observés pour la première fois dans les années 2000 ? En développant des modèles numériques, de l’échelle microphysique à l’échelle planétaire, Anni Määttänen, directrice de recherche CNRS au Laboratoire atmosphères et observations spatiales (LATMOS[1]), a percé les mystères de l’origine de ces nuages et ouvert de nouvelles perspectives pour l'étude des climats actuels ou passés des planètes.

Pour mieux comprendre le climat martien, Anni Määttänen, d'origine finlandaise, consacre ses travaux de recherche à la formation de ses nuages de CO2, dès son arrivée en France en 2008 dans le cadre de son post-doctorat en sciences de l'atmosphère, financé par le CNES. Un an auparavant, des nuages de cristaux de glace de CO2, présents dans la mésosphère martienne (entre 40 et 100 km d’altitude), avaient été observés pour la première fois grâce à la mission Mars Express de l’ESA.

« L'atmosphère martienne est majoritairement composée de dioxyde de carbone. Or celui-ci peut condenser sous forme de glace à la surface de la planète ou former des nuages dans l’atmosphère, expose la chercheuse. Cette condensation du gaz majoritaire d’une atmosphère est un phénomène qualifié d’« exotique », car il est très rare dans le Système solaire, ce qui nécessite une vérification des formulations utilisées pour décrire les processus impliqués. »

Des modèles efficients

Auparavant, Anni Määttänen avait contribué, dans le cadre d’une thèse qu’elle co-encadrait, à développer un modèle numérique en une dimension de la microphysique des nuages qui simulait la formation et l'évolution des nuages de CO2. « Imaginons une très longue colonne d'air qui s'élève depuis la surface de Mars jusqu’à l'espace : au lieu de modéliser la planète en trois dimensions, ce qui est très complexe et demande d'énormes capacités de calcul, comme c’est le cas pour un modèle climatique global, ce modèle 1D simplifié se focalise uniquement sur la microphysique de cette colonne verticale », précise-t-elle.

Ainsi, afin de décrypter la formation et l'évolution de ces nuages mésosphériques, l’objectif du projet MECCOM (Modéliser des nuages exotiques de CO2 sur Mars), coordonné par Anni Määttänen, proposait d’intégrer ce modèle microphysique dans le modèle climatique global martien établi à la fin des années 90. Ce projet a été financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), dont l’objectif est de soutenir l’excellence de la recherche et l’innovation française sur le plan national, européen et international. Il a permis de soutenir les travaux d’un doctorant et d’un post-doctorant de 2019 à 2023.

« Le nouveau modèle numérique de simulation de formation des nuages repose sur une paramétrisation similaire à celle utilisée pour les nuages de glace d'eau afin de ne pas alourdir le temps de calcul du modèle climatique global, tout en conservant les spécificités des nuages de gaz carbonique », précise la chercheuse.

Pendant l’hiver martien

Un autre modèle dit « à aire limitée » ou « méso-échelle » a également été utilisé pour explorer les nuages de CO2 qui se forment au-dessus des calottes polaires en hiver martien, là où les températures sont suffisamment basses pour que le CO2 condense et forme de la neige. « Il permet de zoomer sur une région spécifique de l'atmosphère avec une haute résolution spatiale et temporelle. »

Ainsi, grâce à des simulations numériques idéalisées, l'équipe a étudié le rôle de la chaleur latente dégagée lors de la condensation du CO2 sur la dynamique de convection de ces nuages. Ils ont également testé l'influence de différents paramètres, comme l'écart de température dans une « bulle froide » initiale ou la quantité de poussière minérale sur la formation de ces nuages polaires.

Le rôle des cristaux de glace

L'équipe de scientifiques a également démontré que les cristaux de glace d’eau qui se forment à des températures plus élevées servent de noyaux de condensation pour les nuages de CO2 dans la mésosphère, où la poussière minérale est rare. « Le modèle reproduit la distribution des nuages mésosphériques de CO2 uniquement en utilisant les cristaux de glace d'eau comme noyaux de condensation, souligne Anni Määttänen. Cela met en évidence un couplage fort entre les nuages de glace d’eau et ceux de glace de CO2. »

Un catalogue de nuages

Enfin, Anni Määttänen et son équipe ont eu l’idée d’appliquer pour la première fois des méthodes d'apprentissage automatique à des observations obtenues il y a une vingtaine d’années par un instrument initialement conçu pour mesurer la topographie de la surface de Mars. « L’utilisation de l’IA pour l’analyse de données dans cette étude - une des premières en atmosphères planétaires - a permis de constituer une nouvelle base de données des nuages martiens », affirme la chercheuse.

Mis à disposition de la communauté scientifique travaillant sur Mars, ces résultats ouvrent des perspectives non seulement pour la modélisation des climats passés de la planète rouge, mais aussi pour des études des exoplanètes à forte teneur de CO2 dans l’atmosphère.
 


Cette figure montre le mouvement convectif du nuage de glace de CO2 dans la nuit polaire martienne, formé dans les simulations idéalisées de l'article Caillé et al. (2024, figure 2a-d). Les quatre sous-figures montrent l'évolution du rapport de mélange de la glace de CO2 (en couleurs) et des vents (flèches) en fonction du temps. © Licence CC BY-NC-ND 4.0 - Caillé et al. 2024
 
[1] LATMOS (CNRS/Sorbonne Université/UVSQ/CNES) à Paris et à Guyancourt.