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Les MOF sont des matériaux présentant deux parties, une organique et une inorganique. Certains d’entre eux peuvent servir de thermomètres miniatures à distance, tels que recherchés en nanotechnologies et en nanomédecine.
La miniaturisation des thermomètres conventionnels à contact, comme les thermocouples composés de fils de métaux soudés entre eux, a atteint ses limites et ces systèmes ne conviennent de toute façon pas à des méthodes non invasives. Il n’est donc pas possible de s’en servir pour étudier la fluctuation de température intracellulaire, la température à l’échelle moléculaire, celle dans des microcircuits électroniques ou bien dans des cellules microfluidiques. Une meilleure approche tiendrait dans la nanothermométrie de luminescence, c’est-à-dire l’utilisation de matériaux qui vont émettre une lumière en fonction de la température.
Hélène Brault est maîtresse de conférences à Nantes Université et membre de l’Institut des matériaux de Nantes Jean Rouxel1. Elle travaille sur des MOF à base de lanthanides pour la thermométrie de luminescence. Les MOF, pour metal–organic frameworks ou réseaux métallo-organiques, sont des solides poreux cristallins et hybrides, c’est-à-dire qu’ils contiennent un cation inorganique et des ligands organiques.
Des MOF à l’europium et au terbium
« Par rapport aux matrices inorganiques, les MOF ont comme avantage d’offrir une plus grande diversité dans le choix du matériau, explique Hélène Brault. De plus, leur porosité, qui sert pour la catalyse ou l’adsorption de gaz le plus souvent, permet de proposer un matériau multifonctionnel : le MOF peut servir à la thermométrie de luminescence et contenir une molécule ayant d’autres propriétés. J’ai par exemple lancé des projets sur le relargage de médicaments tels que de l’ibuprofène et des anticancéreux. C’est encore loin d’être fiable, mais cela reste une possibilité intéressante, d’autant que les MOF sont assez faciles à designer. »
Hélène Brault utilise comme cations métalliques des ions d’europium et de terbium, respectivement Eu3+ et Tb3+, de la famille des lanthanides. Excités par une lumière ultraviolette, ils émettent une lumière correspondant à des transitions électroniques bien distinctes. Hélène Brault et son équipe identifient les paramètres structuraux des MOF, comme la topologie du réseau inorganique et leur composition chimique, afin de comprendre comment ils influencent les principales caractéristiques optiques des nanothermomètres, notamment la plage de température dans laquelle ils sont opérationnels. Celle-ci va de régions très froides, autour de 100 Kelvins, aux températures ambiantes. Hélène Brault synthétise également les MOF sous forme de nanoparticules afin qu’ils soient plus aisés à utiliser, notamment pour des applications biomédicales. Hélène Brault fabrique « facilement » ses MOF dans de l’eau par voie hydrothermale classique ou avec chauffage assisté par micro-ondes.
Plus précis qu’un thermocouple
« L’objectif est de mesurer la température avec un signal optique, et de pouvoir le faire à distance contrairement à un thermocouple avec lequel on est obligés d’être reliés à un fil électrique, avance Hélène Brault. Cela nous permet de faire des mesures dans des endroits peu accessibles. Une grosse partie de la communauté travaille dans le biomédical, mais il y a aussi, par exemple, des travaux sur les turbines des moteurs d’avion afin de regarder si la combustion génère de hautes températures sur des pièces mécaniques spécifiques et provoque leur usure prématurée. »
Elle mentionne que les mesures de température par signal optique peuvent se faire à très grandes distances, notamment avec des satellites qui sont équipés de capteurs permettant la mesure à la surface de la mer. Hélène Brault se concentre plutôt sur des cas où l’on se place à quelques dizaines de centimètres de la cible. En effet, plus la distance augmente et plus il y a de difficultés à garder un signal propre.
Le type de lumière utilisé est également important. Ainsi, dans le corps humain, il faut employer de la lumière infrarouge pour traverser les tissus organiques, mais avec une longueur d’onde différente en fonction des organes que l’on veut étudier. Cela se passe par injection des thermomètres sous forme de nanoparticules, puis par mesure de leur réponse optique sous excitation. Cela sert par exemple pour détecter des cellules cancéreuses, qui sont en moyenne deux à cinq degrés plus chaudes que les cellules saines. On peut également déployer ces nanothermomètres dans des circuits microfluidiques pour surveiller les réactions qui s’y produisent lors de la culture cellulaire.
Prédire les propriétés des MOF
Il reste cependant souhaitable de pouvoir prédire les propriétés des MOF pour mieux les utiliser dans ces applications. « J’ai voulu rationaliser les études sur les MOF en regardant comment leur agencement structural influence leurs propriétés thermométriques, poursuit Hélène Brault. On peut maintenant savoir à quelle gamme de température sera sensible un nouveau MOF. Les MOF sont en effet versatiles et il suffit de varier le ligand pour en obtenir un autre. Nous avons pour cela exploré plusieurs familles de ces matériaux et identifié leur structure cristallographique. »
Ces travaux sont si riches que tous les résultats n’ont pas encore été publiés et Hélène Brault prépare une review générale sur l’utilisation des MOF en nanothermométrie. La chercheuse compte ensuite employer d’autres lanthanides que l’europium et le terbium, car ces derniers fonctionnent sous excitation ultraviolette plutôt que par l’infrarouge, qui permet lui un déploiement dans le domaine biomédical. Elle pense ainsi à l’holmium et au thulium, que l’on peut exciter dans le proche infrarouge et qui, s’ils sont excités par une autre longueur spécifique, se mettent à chauffer. Cela en fait d’excellents candidats pour de la photothérapie thermique en étant capables de détecter une anomalie thermique et de la détruire en la brûlant.
Les MOF d’Hélène Brault peuvent en tout cas être utilisés pour la surveillance de la chaîne du froid, une fois mis sous forme de patchs qui permettent de mesurer la température à distance. La scientifique veut cependant s’orienter vers des applications biomédicales.
Pastille de PMMA dans laquelle est dispersé un MOF et immergée dans un liquide N2 (luminescence verte) alors que la partie supérieure (Température ambiante) présente une luminescence orange © Zoé LANGUENOU.
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Ces recherches ont été financées en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet « THERMOF - MOFs à base de lanthanides pour une application de nanothermomètres luminescents ». Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 18-19).
- 1. IMN (CNRS/Nantes Univ.)