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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches bénéficient du label « Science avec et pour la société » du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
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Du verre à l’atome : quand la matière révèle ses secrets
17.10.2024, par Sophie Blitman
Mis à jour le 20.09.2024

Grâce aux progrès techniques, des scientifiques parviennent aujourd’hui à observer des couches de verre ultrafines et contribuent à faire avancer une question complexe, encore en partie mystérieuse : la structure de la matière. Un sujet de recherche fondamentale qui pourrait cependant trouver des applications concrètes avec les micro-batteries, utilisées notamment dans le domaine médical.

De quoi est faite la matière ? Complexe, le sujet intrigue et passionne les êtres humains depuis plus de 2 000 ans. Dans l’Antiquité, le philosophe Démocrite affirmait que l’univers est composé de particules indivisibles appelées « atomos », terme grec d’où est issu notre français « atome ». Cependant, comme le dit Olivier Lafon, « aujourd’hui encore, nous sommes loin d’avoir tout compris ! »

Physico-chimiste, ce professeur des universités mène ses recherches au sein de l’Unité de catalyse et chimie du solide (UCCS) de Lille. Il a notamment coordonné le projet ThinGlass[1], financé par l’Agence nationale de la Recherche (ANR) entre 2018 et 2023. Sa spécialité ? La spectroscopie de résonance magnétique nucléaire (RMN) : « cette méthode fonctionne sur le même principe que l’imagerie par résonance magnétique (IRM) utilisée en médecine mais au lieu de regarder le corps humain, on sonde un matériau et plus précisément la structure de la matière qui le compose à l’échelle des atomes », explique Olivier Lafon. Composée d’une quinzaine de chercheuses et chercheurs, son équipe travaille depuis longtemps sur les verres, des matériaux difficiles à caractériser parce que les atomes n’y sont pas ordonnés de manière périodique.
 

« Repousser les limites »

« Avec le projet ThinGlass, nous avons voulu repousser les limites techniques en étudiant des verres obtenus sous forme de films très fins », souligne Olivier Lafon : alors que ceux étudiés jusqu’alors mesuraient quelques millimètres, ces nouveaux matériaux n’atteignent plus qu’un micromètre d’épaisseur et leur poids est cent fois moindre qu’avant, autour de seulement un milligramme. Les étudier est donc un véritable défi !

Pour le surmonter, l’UCCS fait appel au savoir-faire de l’Institut de la chimie et de la matière condensée de Bordeaux (ICMCB) et du CEA Liten. Une des difficultés était de décrocher ces films minces des supports de silicium sur lesquels ils sont déposés, pour les placer ensuite dans l’aimant utilisé pour les mesures de RMN. Une solution a consisté à déposer la couche mince de verre sur une couche de polymère. « On décroche ensuite les deux couches ensemble : comme les éléments chimiques ne sont pas les mêmes dans les deux couches, cela ne gêne pas l’observation des noyaux atomiques dans le verre », relève Olivier Lafon.

Cette préparation délicate demande plusieurs jours : un atome mesurant environ 0,1 nanomètre, il faut 10 000 couches d’atomes pour obtenir un échantillon. Des précautions sont ensuite nécessaires pour bien empaqueter ces matériaux sensibles à l’humidité et à l’air.
À Lille, les équipes de l’UCCS analysent alors les échantillons par RMN. Objectif : déterminer la structure de ces verres ultra-minces. Pour cela, on place l’échantillon dans un aimant supraconducteur très puissant qui crée un champ magnétique environ 200 000 fois plus intense que celui de la Terre.

De la compréhension théorique…

Grâce à cette technique RMN, les chercheuses et chercheurs observent non seulement les atomes, mais aussi leur environnement : « la fréquence à laquelle ils tournent dans le champ magnétique et la manière dont ils s’orientent nous donnent des informations sur les atomes voisins avec lesquels ils se lient », détaille Olivier Lafon qui compare son travail à « une enquête de détective : on recueille des indices qu’il faut interpréter et rapprocher d’autres données pour remonter à la structure du matériau ».

Une enquête couronnée de succès, qui a permis de distinguer des atomes de phosphore avec différents voisins dans les couches minces étudiées : certains sont liés à trois atomes d’oxygène (O) et un d’azote (N), tandis que d’autres sont liés à quatre atomes d’oxygène (voir figure 1). Par ailleurs, il apparaît que deux atomes de phosphore peuvent être liés soit par un atome d’azote, soit par un atome d’oxygène.

Spectre RMN des noyaux de phosphore dans des couches minces - crédit Racha Bayzou et Olivier Lafon / UCCS
Figure 1. Spectre RMN des noyaux de phosphore dans des couches minces utilisées comme électrolyte de micro-batteries et permettant de distinguer différents environnements des atomes de phosphore © Racha BAYZOU et Olivier LAFON - UCCS

… aux applications concrètes

Si comprendre la structure de la matière dans les couches minces est une question scientifique fondamentale, et même philosophique, elle trouve aussi des applications concrètes dans le domaine des batteries, où les couches minces vitreuses sont des électrolytes prometteurs. Ces matériaux vitreux ont en effet l’avantage de ne pas former de grains, contrairement aux matériaux cristallins. Cela empêche des filaments de lithium de croître dans les interstices entre les grains et de provoquer un court-circuit. Aujourd’hui, le défi est d’améliorer la puissance des batteries contenant ces électrolytes. Pour cela, il faut augmenter la vitesse à laquelle les ions lithium se déplacent dans l’électrolyte, ce qui suppose de mieux comprendre les interactions en jeu dans le matériau.

« Depuis les années 1990, les expériences ont mis en évidence que l’incorporation d’azote dans les phosphates de lithium augmente leur conductivité ionique, relate Olivier Lafon. Mais jusqu’ici, on ne comprenait pas pourquoi d’un point de vue théorique. » Le projet ThinGlass révèle que la structure désordonnée d’atomes dans un matériau solide crée davantage d’ions lithium faiblement liés, ce qui facilite leur transport au sein du matériau. En outre, ils dépensent moins d’énergie en présence d’azote car celui-ci, moins riche en électrons que l’oxygène, les attire peu. Voilà donc pourquoi une plus grande quantité d’azote facilite le déplacement des ions lithium. « La RMN a permis d’établir un lien entre le mouvement des ions lithium à l’échelle atomique et les mesures de conductivité », se félicite Olivier Lafon.

Ces résultats ouvrent la voie à la création de nouveaux matériaux plus conducteurs, qui pourraient servir à fabriquer des micro-batteries pour le domaine médical (voir figure 2). Le chercheur évoque notamment « des capteurs pour mesurer la tension oculaire ou intracrânienne, ou des implants pour stimuler le cerveau profond ou administrer des médicaments, qui permettraient d’améliorer les traitements d’un grand nombre de pathologies ».

Microbatteries utilisant des couches minces comme électrolyte - crédit Rafaël Bianchini Nuerberg / ICMCB
Figue 2. Photographie de microbatteries utilisant des couches minces comme électrolyte © Rafaël BIANCHINI NUERBERG - ICMCB

D’autres secteurs sont concernés : l’Internet des objets, la défense via le développement de micro-drones, ou encore la sécurité des transactions bancaires avec, par exemple, des écrans sur les cartes bancaires qui afficheraient un code temporaire et seraient alimentés par une micro-batterie. Mais Olivier Lafon reste prudent car « aujourd’hui, le coût économique est un obstacle au développement de ces applications. En revanche, la santé est un domaine à haute valeur ajoutée ».

Projets à venir

Fortes de ces résultats, les équipes de l’UCCS espèrent augmenter encore la conductivité des matériaux en leur ajoutant d’autres éléments chimiques comme le soufre, le silicium ou le bore, afin de diminuer les interactions avec le lithium et donc d’augmenter encore la mobilité des ions. « Les résultats préliminaires montrent que ces stratégies sont prometteuses », se réjouit Olivier Lafon, curieux d’observer comment ces éléments se lient aux atomes et modifient la structure du matériau, grâce à un équipement de pointe : depuis fin 2022, le laboratoire lillois possède l'un des trois spectromètres les plus puissants au monde, capable de créer un champ magnétique de 28 teslas, soit 600 000 fois celui de la Terre (voir figure 3).

Spectromètre RMN de 28 teslas installé à Lille - crédit Alexandre Caffiaux / université de Lille
Figure 3. Photographie du spectromètre RMN de 28 teslas récemment installé à Lille, qui ouvre de nouvelles possibilités pour l'étude des couches minces © Alexandre Caffiaux - université de Lille

Le chercheur envisage aussi d’utiliser les rayons X : « alors que la RMN donne des informations sur l’environnement local d’un atome, des expériences réalisées sur un synchrotron permettraient d’avoir une vue plus large », explique-t-il. Le projet est également de faire « des calculs de dynamique moléculaire pour créer des modèles par ordinateur qui pourraient être comparés avec les mesures prises par RMN ». Dans cette perspective, de nouvelles collaborations pourraient voir le jour avec l’Institut des sciences chimiques de Rennes (ISCR) et l’Installation européenne de rayonnement synchrotron (ESRF). Pour réussir à percer un peu plus les secrets de la matière.

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Ces recherches et cet article ont été financés en tout ou partie par l'Agence Nationale de la Recherche (ANR).
Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l'appel à projet Science Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour le projet ThinGlass des appels à projets génériques 2018-2019.

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[1] Liste des partenaires du projet :
- UCCS (Unité de Catalyse et de Chimie du Solide) : CNRS-Université de Lille-Centrale Lille-Université d’Artois (UMR 8181)
- ICMCB (Institut de Chimie de la Matière Condensée de Bordeaux) : CNRS-Université de Bordeaux-Bordeaux INP (UMR 5026)
- CEA-Liten (Laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives)

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