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Entre mère et père, des apports génétiques pas tout à fait équivalents
21.12.2023, par Romain Loury
Mis à jour le 21.12.2023
Chez les mammifères, le génome des descendants est constitué de gènes provenant, à part égale, de la mère et du père. Or, cette origine détermine l’activité ou non des gènes hérités. Ce phénomène, dénommé « empreinte génomique », repose sur l’intrication complexe de plusieurs mécanismes. Un entrelacs moléculaire que l’équipe de Robert Feil, de l’Institut de génétique moléculaire de Montpellier (IGMM), s’attache à démêler.

Jusqu’aux dernières décennies du siècle dernier, il était admis qu’un individu ne se déterminait, génétiquement, qu’en fonction de la séquence de ses gènes, codée sous forme d’ADN. Au croisement de la génétique et de la biologie moléculaire, cette idée a depuis connu bien des retouches. En particulier grâce à l’épigénétique : longtemps perçu comme marginal, ce vaste ensemble de processus s’est avéré, au fil des travaux menés depuis une trentaine d’années, jouer un rôle biologique de premier plan.

Par « épigénétique », on entend l’ensemble des processus influant d’une manière stable sur l’expression des gènes, sans que leur séquence soit affectée. Ils font appel à divers mécanismes, dont la méthylation de l’ADN et diverses modifications des histones, protéines qui forment l’habillage de la chromatine. L’un de ces processus épigénétiques intrigue particulièrement la communauté scientifique depuis sa découverte il y a 40 ans12 : l’empreinte génomique.

Des gènes cruciaux pour le développement

Tout individu se caractérise par un nombre défini de paires de chromosomes, l’un d’origine maternelle, l’autre d’origine paternelle. Chez la plupart des groupes d’espèces, il est pourtant possible d’obtenir en laboratoire des individus viables constitués de deux génomes du même sexe. Or, tel n’est pas le cas pour les mammifères, chez qui la présence des deux génomes parentaux est un prérequis absolu pour le développement.

A l’origine de cette impossibilité, l’existence de gènes soumis à l’empreinte génomique. Selon de nombreuses études sur l’homme et la souris, leur nombre est estimé à environ 170. Comme tout gène, ils sont présents en deux copies (maternelle et paternelle), à une différence fondamentale près : seule l’une des deux copies s’exprime, tandis que l’autre demeurera silencieuse tout au long de la vie de l’individu. Pour certains de ces gènes, seul l’allèle maternel est actif, pour d’autres ce sera l’allèle paternel, et ceci est contrôlé par l’empreinte génomique.

Observée uniquement chez les mammifères placentaires (dont l’homme) et les marsupiaux, mais pas chez les monotrèmes (échidnés, ornithorynque, tous ovipares), « l’empreinte génomique est apparue à partir d’il y a 180 millions d’années. Elle pourrait être liée à la dépendance très forte du petit vis-à-vis de sa mère », en particulier lors de la grossesse et de l’allaitement, explique Robert Feil, qui dirige l’équipe « Empreinte génomique et développement » de l’IGMM (CNRS, université de Montpellier). Cette forte implication maternelle aurait engendré « une lutte d’influence entre les génomes maternel et paternel », ajoute le chercheur.

Au centre de ce conflit, désormais à l’équilibre, les gènes soumis à l’empreinte génomique jouent un rôle crucial durant le développement et la croissance, ainsi que dans l’homéostasie (régulation de fonctions physiologiques vitales) et le comportement. Parmi les premiers gènes humains chez lesquels l’empreinte génomique a été mise en évidence, IGF2 code ainsi pour une hormone de croissance particulièrement importante au cours de la vie fœtale3. À lui seul, il conditionne 40% du poids de naissance ! Seul l’allèle paternel d’IGF2 est exprimé, tandis que l’allèle maternel est inactif.

La méthylation de l’ADN, et bien plus

Autre exemple, la région Dlk1-Dio3, au centre des travaux menés par l’équipe de Robert Feil dans le cadre du projet ANR IMP-Regulome, notamment en association avec l’équipe de Daan Noordermeer de l’Institut de biologie intégrative de la cellule (I2BC, Gif-sur-Yvette). Ce locus génétique héberge divers gènes impliqués dans le développement, dont celui codant pour l’inhibiteur DLK1 de la voie de signalisation Notch, qui intervient dans la formation des cellules neurales, des cellules musculaires et du placenta. Comme pour Igf2, son expression est exclusivement paternelle.

Comment expliquer ce phénomène ? Lors de la formation des cellules sexuelles (spermatozoïdes et ovules), des séquences régulatrices essentielles dénommées ICR (‘Imprinting Control Regions’), nichées dans les régions chromosomiques soumises à l’empreinte, sont méthylées chez un sexe, mais pas chez l’autre. Lorsque les deux copies sont mises en présence, après la fécondation, leur différence de méthylation de l’ICR est maintenue et conditionne lequel des deux allèles s’exprimera. Le processus fait aussi intervenir des ARN longs non codants (lncRNA), donc non traduits en protéines - à la différence des ARN messagers (ARNm). Très abondants dans les régions soumises à l’empreinte génomique, ces ARN jouent un rôle important dans la régulation de l’expression des gènes.

Dans la région DLK1-DIO3, l’ICR est située à proximité d’une région riche en ARN non codants. Or, lors d’une étude publiée en 2018, l’équipe montpelliéraine a montré que la production de ces ARN, en particulier celle de Meg3, bloquait l’expression des gènes codants, dont Dlk14. Tel est le scénario qui se déroule au sein du chromosome maternel : l’ICR y est déméthylée, ce qui permet la production de Meg3, et l’expression de cet ARN non codant va bloquer l’expression du gène Dlk1. A l’inverse, sur le chromosome paternel, dont l’ICR est méthylée, l’ARN Meg3 n’est pas exprimé, et en conséquence, ce chromosome parental est le seul à exprimer Dlk1 durant le développement.

Une réorganisation structurale de la chromatine

Ce n’est pas tout : l’empreinte génomique implique aussi une réorganisation locale de la structure de la chromatine. Dans une autre étude, publiée en 2019, les équipes de Robert Feil et Daan Noordermeer ont mis en évidence des différences structurales entre les régions maternelle et paternelle, susceptibles d’activer, ou de réprimer, l’expression des gènes et des ARN non codants5. En cause, l’implication de CTCF, une protéine structurante de la chromatine, qui ne s’ancre à l’ICR que lorsqu’elle est déméthylée. Que ce soit via la méthylation de l’ADN, les ARNs longs non codants ou leur organisation structurale, les régions soumises à l’empreinte obéissent à « des couches de régulation qui dépendent les unes des autres », explique Robert Feil.

Outre l’étude des mécanismes sous-jacents à l’empreinte génomique, que l’équipe montpelliéraine souhaite pousser plus avant, ces travaux ouvrent des perspectives médicales -d’où la participation à IMP-Regulome du Centre de Recherche Saint-Antoine (CRSA, Hôpital Saint-Antoine, Paris 12). Notamment en matière de maladies rares, dont plusieurs sont associées à des régions soumises à l’empreinte génomique. Pour la région DLK1-DIO3, les syndromes de Temple et de Kagami-Ogata découlent de disomies uniparentales6, ou de défauts de méthylation sur l’un des chromosomes. Idem pour le locus IGF2-H19, lié à deux ‘syndromes miroirs’, ceux de Silver-Russell et de Beckwith-Wiedemann. Génétiquement (ou plutôt épigénétiquement) complexes, ces maladies rares, méconnues de nombreux médecins, peinent à être correctement diagnostiquées. Selon Robert Feil, ces altérations de l’empreinte génomique concerneraient collectivement « un enfant sur 4.000 à 5.000 ».

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Une souris hybride pour distinguer les génomes parentaux

Face aux infimes différences génétiques d’un individu à l’autre, comment faire la différence entre génomes maternel et paternel ? En laboratoire, l’étude de l’empreinte génomique impose de pouvoir distinguer les deux. Pour cela, l’équipe de Robert Feil travaille sur des cellules provenant de souris hybrides créées dans le laboratoire. Issues d’un croisement entre deux sous-espèces génétiquement distantes, l’une européenne, l’autre japonaise, l’écart entre les chromosomes parentaux s’élève à quatre polymorphismes toutes les 1.000 paires de bases d’ADN, un taux suffisant pour déterminer l’origine parentale par séquençage.

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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre de l'ANR IMP-REGULOME - AAPG2018. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI JCJC et PRC AAPG 18/19).
 

Notes
  • 1. Completion of mouse embryogenesis requires both the maternal and paternal genomes, McGrath and Solter, Cell. 1984 May;37(1):179-83. doi: 10.1016/0092-8674(84)90313-1
  • 2. Development of reconstituted mouse eggs suggests imprinting of the genome during gametogenesis, Surani et al., Nature. 1984 Apr;308(5959):548-50. doi: 10.1038/308548a0
  • 3. IGF2 is parentally imprinted during human embryogenesis and in the Beckwith-Wiedemann syndrome, Ohlsson et al., Nat Genet. 1993 May;4(1):94-7. doi: 10.1038/ng0593-94
  • 4. Meg3 Non-coding RNA Expression Controls Imprinting by Preventing Transcriptional Upregulation in cis, Sanli et al., Cell Rep. 2018 Apr 10;23(2):337-348. doi: 10.1016/j.celrep.2018.03.044
  • 5. CTCF modulates allele-specific sub-TAD organization and imprinted gene activity at the mouse Dlk1-Dio3 and Igf2-H19 domains, Llères et al., Genome Biol. 2019 Dec 12;20(1):272. doi: 10.1186/s13059-019-1896-8
  • 6. La disomie uniparentale est une anomalie résultant de la présence de deux chromosomes issus du même parent (de la mère pour le syndrome de Temple, du père pour le syndrome de Kagami-Ogata) au sein d’une même paire de chromosomes.

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