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Bien que d’apparence ordinaire, les cellules souches possèdent des capacités extraordinaires. Elles peuvent produire les autres types de cellules du corps, se régénérer à l'infini et réparer des tissus endommagés. Les cellules souches et leurs capacités uniques sont largement étudiées en vue de traiter de nombreuses pathologies allant des cardiopathies aux cancers, en passant par les maladies neurodégénératives.
Toutefois, de récentes découvertes ont montré que les cellules souches sont beaucoup plus diversifiées et complexes que pensé jusqu’alors. Cette diversité soulève plusieurs questions abordées par le projet STEM - Philosophie, phylogénie et biologie des cellules souches. Le terme « cellules souches » regroupe-t-il des types de cellules qui ne seraient pas vraiment comparables ? La nature d'une cellule souche peut-elle changer selon le contexte dans lequel elle évolue ?
Reconstruction 3D de cultures distinctes de cellules souches vues ici en microscopie à fluorescence (l’échelle indique 5 µm). © Rémi GALLAND / Jean-Baptiste SIBARITA / Corey BUTLER / IINS /CNRS Images
Retour aux origines des cellules souches
Pour répondre à ces questions, le projet s’appuie sur une approche pluridisciplinaire innovante associant philosophie, biologie expérimentale et biologie de l’évolution. Avec ses collègues, la philosophe des sciences et pilote du projet, Lucie Laplane, a d’abord adopté une approche phylogénétique. Celle-ci consiste à retracer l’histoire évolutive des cellules souches de différentes espèces, allant de l’hydre à l’humain, pour déterminer si elles partagent une origine unique ou non.
« Les similarités entre les cellules souches ne signifient pas qu’elles forment un ensemble biologique cohérent. Par exemple, tous les yeux servent à voir. Cependant, ils ont été produits à plusieurs reprises et de manière indépendante au cours de l’évolution de sorte que les yeux à facettes de la drosophile sont des objets biologiques très différents de nos yeux caméra », illustre la chercheuse de l’Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques1. En ce sens, le projet se concentre sur les origines de trois catégories de cellules souches. Les cellules souches pluripotentes peuvent devenir presque n'importe quelle cellule du corps humain. Les cellules souches germinales forment les gamètes. Et les cellules souches spécifiques de tissu comme celles de l’intestin, de muscle, du sang, etc. ont pour rôle principal de maintenir, réparer et régénérer les tissus dans lesquels elles se trouvent.
Résultat ? Ces catégories de cellules souches se regroupent davantage par type que par espèce. Autrement dit, les cellules souches germinales des mammifères ressemblent davantage à celles de l’hydre qu’elles ne ressemblent aux autres types de cellules souches des mammifères. « Nous observons donc des catégories bien distinctes, ce qui laisse supposer des origines évolutives séparées mais très ancestrales, au moins pour les cellules germinales et pluripotentes. Les conclusions concernant les cellules des tissus sont moins catégoriques », résume la chercheuse.
Une diversité superficielle ?
La deuxième partie du projet s’est davantage centrée sur les cellules souches des tissus. Tout est parti d’un résultat préalable de la chercheuse qui a démontré que la propriété souche peut être de quatre natures différentes selon les tissus concernés. Par exemple : les cellules souches du sang ont des propriétés dispositionnelles qui dépendent donc de leur constitution intrinsèque, mais ne s’expriment qu’en présence de stimuli extérieurs. À l’image d’un verre naturellement fragile qui ne casse que s’il est soumis à un choc. À l’inverse, la propriété souche des cellules de l’intestin est relationnelle. Cela veut dire qu’elle dépend plutôt de la relation entre la cellule et son micro-environnement.
Le fait que les cellules présentent des propriétés souches différentes selon les tissus signifie-t-il pour autant que ces cellules sont des objets biologiques distincts ? Pour y répondre, les chercheurs ont étudié expérimentalement des cellules souches d’un même tissu placées dans différents contextes : régénération, leucémie aigüe, etc. « En régénération, nous observons que des cellules non-souches peuvent devenir souches, alors que ces phénomènes ne semblent jamais se produire en condition normale. Cela signifie que pour un même type de cellule souche, la propriété souche peut être de nature différente en fonction du contexte », explique Lucie Laplane.
L’ensemble des observations du projet suggèrent finalement que les différences de comportement observées entre différents types de cellules souches spécifiques de tissus seraient l’expression d’une diversité contextuelle plutôt que d’une diversité plus fondamentale liée à la nature de ces types de cellules souches.
Quelles retombées pour la biologie médicale ?
Les cellules souches cancéreuses partagent les mêmes propriétés exceptionnelles que nos cellules souches saines. Une question récurrente dans le traitement du cancer est donc de déterminer s’il vaut-il mieux cibler les cellules souches cancéreuses ou toutes les cellules cancéreuses sans distinction pour éradiquer la maladie. Les questions autour des origines et de la stabilité des cellules souches sont d’autant plus cruciales que leurs réponses peuvent impacter directement les stratégies thérapeutiques contre ces maladies.
Des cellules souches issues d’une tumeur cérébrale (en bleu à gauche) migrent et adoptent un phénotype semblable aux astrocytes (en vert) et aux neurones (en rouge) à proximité. © Caroline DELMAS / Laetitia LIGAT / CRCT / CNRS Images
Or, les recherches de Lucie Laplane ont montré que les différences observées jusqu’ici sont liées au contexte plutôt qu’à des identités souches profondément différentes. « Et comme le cancer entraîne un changement de contexte, il est possible que la propriété souche initialement observée change avec la pathologie », explique la chercheuse. Ces résultats indiquent qu’il serait risqué de déterminer le meilleur choix de traitement en se basant sur ce qui est connu des cellules souches normales dans les tissus concernés. Au contraire, il faudrait systématiquement vérifier la nature de la propriété souche en amont d’une thérapie.
« Cela prendrait autant de temps que de tester directement un traitement pour voir s’il fonctionne, explique Lucie Laplane. En revanche, comme le comportement souche dépend du contexte, cela veut dire qu’il est possible de le moduler. En cancérologie, cela pourrait être utile pour contrôler les risques de rechute en contraignant la propriété souche. En médecine régénérative, il serait possible d’influer sur la propriété souche en jouant sur le contexte. Par exemple : faire en sorte que plus de cellules deviennent souches pour stimuler la régénération tissulaire ». Mais cela est un tout autre sujet à explorer.
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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre de l'ANR STEM - AAPG2019. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projets Science Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI JCJC et PRC AAPG 18/19).
- 1. Unité CNRS/Université Panthéon-Sorbonne