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Nous savons tous comment un bébé se développe dans le ventre de sa mère. Il est dans sa bulle, l’utérus, et la maman subvient à tous ses besoins nutritionnels par l’intermédiaire du placenta. Mais saviez-vous qu’il existe un processus à peu près similaire chez les plantes à fleurs ? Le bébé-plante, l’embryon, se développe bien à l’abri dans la graine, et la plante-mère lui fournit tous les nutriments grâce à un tissu que l’on appelle l’albumen. Celui-ci sera progressivement éliminé jusqu’à la maturation de la graine. Gwyneth Ingram, biologiste CNRS au laboratoire Reproduction et développement des plantes1, passionnée par la dynamique du développement des graines, tente de percer les mystères de la communication entre plante-mère, albumen et embryon.
UNE graine mais TROIS compartiments !
Gwyneth est intraitable sur le sujet : pour comprendre le fonctionnement d’une graine, il faut la considérer comme un ensemble de tissus génétiquement différents, et non pas comme une simple entité homogène. Rappelons tout d’abord qu’à sa maturité, une graine est une structure dormante qui résulte de la fécondation et du développement de l'ovule chez les plantes à fleurs et qui contient un nouvel individu qui commence sa vie autonome lors de la germination.
Pour en arriver là, un grain de pollen déposé sur le pistil d’une fleur, va émettre un tube par lequel il envoie son contenu (dont deux cellules spermatiques) à un ovule caché dans les organes femelles de la fleur. Il s’y produit alors une double fécondation : la première avec une cellule œuf qui donne naissance à l’embryon et la seconde avec un autre type de cellule, dite cellule centrale, pour la création de l’albumen. On se retrouve ainsi avec une graine constituée de trois compartiments génétiquement différents : l’enveloppe, issue de la paroi de l’ovule (un tissu de la plante-mère donc), l’albumen (un mixe génétique entre le grain de pollen et la cellule centrale), et l’embryon (un mixe génétique entre le grain de pollen et la cellule œuf).
À gauche, coupe d’une graine d’Arabidopsis thaliana montrant l’élimination de l’albumen autour de l’embryon. À droite, schématisation de la coupe avec tissus indiqués par des couleurs. © Audrey Creff, CNRS
Ce n’est donc pas juste une graine, c’est un système complexe, nécessitant des mécanismes de communication performants afin de permettre le bon développement de la plante en devenir ! Et c’est cela que Gwyneth cherche à appréhender au sein de son laboratoire, en travaillant sur l’Arabette des dames (Arabidopsis thaliana).
Gros plan sur des hampes florales d'Arabidopsis thaliana (arabette des dames). © Benoît Rajau / IBMP / CNRS Images
Au cœur des échanges : l’albumen, le tissu nourricier
L’albumen est un tissu étrange. Chez l’Arabette des dames, comme chez la plupart des plantes à fleurs, il commence sa vie comme une cellule qui croît sans se diviser (appelée coenocyte). En se gonflant, un peu comme un ballon, il donnera sa taille finale à la graine, en s’opposant à la contrainte physique imposée par l’enveloppe maternelle qui l’entoure. Ensuite il se compartimente en cellules individuelles collées les unes aux autres, séparées par leurs parois respectives. Pendant toute sa vie, il va permettre aux nutriments fournis par l’enveloppe de transiter vers le bébé-plante. Mais son temps est compté ! Après la cellularisation, et au fur et à mesure du développement de l’embryon, les cellules de l’albumen vont s’éliminer, libérant ainsi de l’espace pour sa croissance. Un processus que l’on retrouve chez toutes les graines des plantes à fleurs malgré quelques variations temporelles selon les espèces. Fascinant donc, mais intriguant ! Comment est déclenchée l’élimination de ce tissu, comment l’embryon en est-il préservé ? Est-ce que le flux de nutriments, et donc la survie de l’embryon, dépend de cette élimination ? Autant de questions auxquelles Gwyneth a cherché les réponses !
Une « simple » mort cellulaire ?
La réponse est bien évidemment non ! Il s’agit en réalité d’un recyclage complet des cellules de l’albumen. Leurs parois et leur contenu sont progressivement démantelés, les composés sont recyclés, conduisant à terme à la mort cellulaire.
À l’aide de techniques de génétique moléculaire, Gwyneth cherche des molécules particulières, ces fameux interrupteurs qui vont pousser l’albumen à démarrer son cycle d’élimination, ainsi que les molécules exécutrices. Par ailleurs, en utilisant des techniques d’étiquetage avec des molécules fluorescentes, visibles au microscope, elle va aussi identifier les cibles exactes de ces molécules dans la paroi des cellules. Enfin, des analyses biochimiques permettent de déterminer précisément les composés relargués lors de la dissolution. C’est ainsi que Gwyneth et son équipe, ont réussi à étudier les mécanismes en jeu dans le processus d’élimination de l’albumen.
Coupe d’une graine d’Arabidopsis thaliana montrant l’élimination de l’albumen autour de l’embryon (en magenta, coloration générale des parois et, en vert, localisation d’un composé spécifique de la paroi détecté principalement dans la zone d’élimination de l’albumen avec un anticorps spécifique). À gauche, superposition des colorations des parois et du composé spécifique. À droite, composé spécifique seul. © Eduardo Berenguer
Une élimination maitrisée ?
En effet, l’embryon est préservé ! L’élimination est contenue, restreinte à l’albumen. Comment l’expliquer ? Et encore plus intriguant, chez l’Arabette des dames, pourquoi ce processus s’arrête-t-il lorsqu’il ne reste plus qu’un seul rang de cellules ? Gwyneth a pu démontrer que l’embryon est protégé par une cuticule, une couche externe qui forme une barrière imperméable aux protéines. Concernant la conservation du dernier rang de cellules de l’albumen, tout reste encore à prouver, même si les premiers résultats montrent une composition de la paroi et une expression des gènes potentiellement différentes sur ce rang.
Le flux des nutriments entre la plante-mère et l’embryon est-il dépendant de l’élimination de l’albumen ?
C’est la question qui pose le plus de problèmes aux scientifiques. L’hypothèse semble évidente, mais encore faudrait-il pouvoir le prouver au niveau métabolique. Montrer que dans la graine où l’élimination de l’albumen est perturbée, le transfert des nutriments l’est également. Et c’est là que les choses se corsent….
Les graines vivantes d’Arabette des dames sont un peu trop grosses et pas assez transparentes pour pouvoir facilement les observer au microscope à fluorescence au moment de l’élimination de l’albumen. Mais elles sont également trop petites pour les disséquer. Il faut donc développer des outils spécifiques. Une étape complexe qui n’a pas encore été franchie.
Gwyneth Ingram contribue ainsi à faire avancer les connaissances sur la communication chimique dans la graine, avec des résultats prometteurs pour la suite. Résultats qu’elle pourra confronter à ceux de ses partenaires2 travaillant sur le nucelle, un autre tissu qui est en partie éliminé pendant le développement précoce de la graine.
Et comme souvent dans les projets de recherche, de nombreuses questions sont apparues en cours d’étude, parfait pour alimenter de futures hypothèses !
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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence nationale de la recherche (ANR) au titre du projet ANR-CLEANSE -AAPG20. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 20 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 20).
