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Les métamatériaux ont la capacité de contrôler les ondes qui nous entourent, mais que se passe-t-il quand les ondes sont particulièrement intenses ? Une équipe basée au Mans mène l’enquête grâce à des métamatériaux flexibles.
Grâce à leurs structures artificielles et sans équivalent dans la nature, les métamatériaux permettent de guider et de « contrôler » les ondes qui les rencontrent, qu’il s’agisse par exemple de la lumière ou de sons. Mais plutôt que d’étudier des comportements classiques, certains chercheurs poussent les métamatériaux dans leurs retranchements en explorant des événements ondulatoires extrêmes.
« Je m’intéresse à la propagation d’ondes et à la dynamique de matériaux mécaniques flexibles, explique Vincent Tournat, directeur de recherche CNRS au Laboratoire d’acoustique de l’Université du Mans1. Cela passe par la conception et l’analyse de métamatériaux, qui sont obtenus par impression 3D, découpe laser et des méthodes de fabrication récentes comme les moulages de silicone. Cela permet d’avoir des matériaux flexibles fabricables de manière arbitraire, qui supportent la propagation d’ondes de fortes amplitudes, parfois “extrêmes”. »
Une résolution d’équations non linéaires
En choisissant soigneusement la géométrie de ces métamatériaux, conçus à partir de cellules élémentaires aux propriétés bien connues, il est possible de modéliser leur comportement avec des ingrédients simples, menant à des équations d’ondes non linéaires variées. Ils peuvent ainsi servir de plateforme expérimentale à des équations qui se résoudraient sinon par simulation ou qui possèdent des solutions connues. « L’étude des ondes de fortes amplitudes dans ces métamatériaux couvre différentes facettes de la recherche : théorie, simulation et expérience », affirme Vincent Tournat.
Ils permettent même d’explorer des comportements très riches qui intéressent les mathématiques appliquées : les équations non linéaires. Il s’agit d’équations dont les solutions ne sont pas proportionnelles aux sources qui les engendrent, que l’on retrouve notamment dans les domaines de l’optique, du quantique ou encore de l’astrophysique. Les métamatériaux mécaniques, capables de changer de forme de façon contrôlée et d’adapter leurs propriétés, permettent de tester, voire de résoudre expérimentalement, des équations très générales. « On peut faire un peu ce que l’on veut avec les ondes qui se propagent dedans, poursuit Vincent Tournat. C’est un vrai jeu dans cet espace pour explorer plein de choses sur le comportement des ondes. »
Le cas des vagues scélérates
Le chercheur s’intéresse tout particulièrement aux événements ondulatoires extrêmes, tels qu’on les retrouve dans la nature dans le cas des vagues scélérates, ou rogue waves. Ces vagues soudaines dépassent la houle classique d’un facteur trois à cinq, et ont longtemps été considérées comme une légende appartenant au folklore marin. Leur existence a été attestée depuis par des mesures systématiques de la houle en haute mer, mais le phénomène reste mal compris, car difficile à observer de façon contrôlée en contexte océanique.
Dans les métamatériaux, au contraire, il est possible d’étudier avec une approche précisément maîtrisée ce phénomène non linéaire. « Nous nous sommes dit que nous pouvions ainsi tester l’apparition de vagues scélérates de manière rationnelle, affirme Vincent Tournat. Nous envoyons des ondes d’amplitude raisonnable et constatons qu’elles peuvent générer des événements extrêmes. »
Si les applications sont encore loin, le phénomène peut servir à obtenir des ondes de transition, c’est-à-dire capables de reconfigurer l’état du métamatériau. Certains sont en effet dits bistables : ils peuvent être dans deux états différents et n’en changent qu’après avoir reçu un signal fort. « Cela rendrait ces métamatériaux un peu plus intelligents, car capables de s’adapter à leur environnement par une sorte d’effet domino tandis que l’onde se propage à l’intérieur suite à une sollicitation, précise Vincent Tournat. On pourrait ainsi avoir un contrôle fin du son ou de la lumière, laissant par exemple passer ou non les ondes selon l’état dans lequel le métamatériau se trouve. »
Vers des mémoires mécaniques
Ces derniers sont ici conçus à la fois avec des plastiques flexibles, du silicone et des produits rigides d’impression 3D. Cela offre d’importants contrastes d’élasticité qui permettent de faire usage de modèles poussés.
En plus de son équipe au LAUM, Vincent Tournat a reçu l’aide de collègues du laboratoire Quartz2. Ces derniers disposent de moyens de fabrication 3D spécifiques, différents de ceux du LAUM, et possèdent une expertise sur l’absorption de vibrations par des systèmes mécaniques. Ils disposent également d’un pot vibrant puissant, conçu pour des projets en aéronautique et qui permet d’exciter des ondes de forte amplitude.
Cette année, Vincent Tournat poursuit également une collaboration initiée en 2016 avec l’université d’Harvard (États-Unis) via le lancement d’un International research project (IRP) d’une durée de cinq ans. Il travaille en particulier avec la professeure de mécanique appliquée Katia Bertoldi. Il s’agit du premier IRP entre le CNRS et la prestigieuse institution américaine.
« Le sujet des événements extrêmes dans les métamatériaux souples est particulièrement riche, et il reste plein d’autres aspects à étudier, affirme Vincent Tournat. Je compte regarder à l’avenir du côté de la mémoire et de l’intelligence mécaniques. Un matériau bistable permet théoriquement d’alterner entre un état 0 et 1, et serait donc éligible pour écrire et lire une mémoire qui, au lieu d’être électronique, serait mécanique. Ces questions sont de plus en lien avec un domaine en pleine explosion : le calcul analogique. » De quoi continuer d’explorer le passage d’ondes dans les métamatériaux pour des années.
Athina Galani, doctorante au LAUM, expérimente sur des métamatériaux en silicone souple © Thomas Brousmiche pour Le Mans Université
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Ces recherches ont été financées en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet « Exploiter les événements ondulatoires extrêmes dans les métamatériaux élastiques flexibles non linéaires – ExFLEM ». Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2021 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 2021).