Donner du sens à la science

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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches bénéficient du label « Science avec et pour la société » du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
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Par le réseau de communicants du CNRS

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La photosynthèse, une réaction largement méconnue
12.10.2023, par Pedro Lima
Mis à jour le 12.10.2023
Vitale pour l’équilibre de notre écosystème, la photosynthèse n’a pas livré tous ses secrets… Mieux la comprendre aiderait à nous adapter au changement climatique, et même à diminuer son impact.  

Sans le savoir, nous bénéficions au quotidien d’une réaction biologique complexe et ingénieuse, indispensable à la vie et apparue très tôt au cours de l’évolution (il y a plus de 3,5 milliards d’années) : « la photosynthèse est une réaction chimique qui se déroule au cœur des cellules des plantes, des algues vertes et de certaines bactéries appelées cyanobactéries, explique Jean Alric, directeur de recherche au CNRS et responsable de l’équipe Photosynthèse et Environnement de l’Institut de biosciences et biotechnologies d’Aix-Marseille, BIAM (AMU/CNRS/CEA). Cette réaction utilise le rayonnement solaire pour capter le CO2 atmosphérique et le transformer en énergie sous la forme de sucres, autrement appelés hydrates de carbone ».

Arabette des dames (Arabidopsis thaliana) cultivée au sein d’un phytotron © BIAM/CEA
Arabette des dames (Arabidopsis thaliana) cultivée au sein d’un phytotron © BIAM/CEA

Pour étudier cette série de réactions bioénergétiques, le scientifique cultive l’arabette des dames, une plante herbacée dont le génome a entièrement été dévoilé en 2000. Cette plante, modèle d’étude végétale, pousse sous éclairage LEDs en conditions très contrôlées, aux côtés d’autres espèces comme la tomate, le blé ou le maïs. Cultivées au sein d’un phytotron, elles sont soumises à diverses conditions de stress environnementaux, leurs réponses à ces stress, sont finement mesurées. Sécheresse, élévation de température ou modifications du taux de CO2 atmosphérique, l’arabette répond par l’activation ou l’inhibition de certains biomécanismes bien connus des chercheurs.  
« La photosynthèse a radicalement changé la vie sur Terre. Elle joue à présent un rôle crucial dans la régulation du climat et fournit également notre oxygène. En absorbant le dioxyde de carbone, elle libère l’O2. De plus, elle est à la base de toute notre alimentation puisqu’elle produit les plantes que nous mangeons, ou avec lesquelles nous nourrissons nos animaux d’élevage. La matière organique végétale (biomasse), dite primaire, est à l’origine du réseau alimentaire planétaire. En outre, de nombreux matériaux comme le bois et les fibres naturelles comme le lin ou le coton sont des produits directs de la photosynthèse. Enfin, toutes les énergies et matériaux fossiles que nous exploitons depuis des siècles (charbon, pétrole, gaz, goudrons, plastiques...), résultent de la décomposition, durant des millions d’années, de matière végétale issue de la photosynthèse. L’exploitation excessive de ces dernières est la source des problèmes environnementaux et climatiques d’aujourd’hui. », énumère Jean Alric.

Percer les secrets de la photosynthèse au niveau moléculaire
De nombreux mystères demeurent encore sur les mécanismes précis de la photosynthèse, en particulier au niveau moléculaire. Les scientifiques savent qu’elle se déroule à l’intérieur de compartiments cellulaires appelés chloroplastes. Ceux-ci absorbent l'énergie lumineuse notamment grâce à un pigment vert connu sous le nom de chlorophylle. Ce pigment est utilisé pour hydrolyser l'eau (c’est-à-dire diviser la molécule d’H2O) et produire de l’oxygène (O2), des protons (H+) et des électrons. Ce processus est essentiel pour synthétiser une molécule énergétique, l’ATP ou adénosine triphosphate qui est utilisée par toutes les cellules vivantes, qu’elles soient animales ou végétales. L'ATP et les électrons issus de l’oxydation de l’eau, sont utilisés pour la réduction du CO2 et la production des hydrates de carbone, tels que le glucose, par un ensemble complexe de réactions chimiques.

Caractérisation de la réponse photosynthétique des micralgues soumises à de hautes concentrations de CO2 © BIAM/CEA
Caractérisation de la réponse photosynthétique des micralgues soumises à de hautes concentrations de CO2 © BIAM/CEA

« Au sein de l’équipe photosynthèse et environnement, nous étudions les mécanismes de collecte de la lumière, de transfert d'électrons et de protons ou encore de capture du CO2 et d'assimilation en hydrates de carbone par les cellules », détaille Jean Alric. Nous cherchons à comprendre comment ces processus biologiques s’articulent à différentes échelles, moléculaire, membranaire, chloroplastique, cellulaire, et comment ils contribuent à l’efficacité et à la résilience de la photosynthèse ». Pour cela les spécialistes utilisent un équipement scientifique de pointe comme la chambre de culture Imaplant.
81 plants dans une chambre de culture Imaplant © BIAM/CEA
La chambre de culture Imaplant crée un climat dynamique finement régulé permettant de mesurer les réponses spatiales et temporelles des plantes en temps réel. Trois caméras embarquées (visible, infrarouge, fluorescence) permettent de suivre la croissance, le niveau d’évapotranspiration, et l’activité photosynthétique en continu sur 81 plants. © BIAM/CEA

Les biologistes s’intéressent ainsi plus particulièrement à deux acteurs majeurs du processus de transformation de la lumière en énergie chimique. Véritables « machines moléculaires » nichées au cœur des chloroplastes, il s’agit des photosystèmes I et II (PSI et PSII). Les scientifiques ont découvert dans les années 1960 qu’ils jouent un rôle crucial dans la transformation de l’énergie lumineuse en énergie chimique. Le PSI, par exemple, comprend plus de 100 composés différents, impliqués dans la captation d’énergie lumineuse. « C’est au cœur du photosystème II que nous étudions, entre autres, le rôle d’une protéine appelée APE1 (Acclimation of Photosynthesis to the Environment 1). Son importance a été mise en évidence lors d’une recherche de gènes sur l’un de nos modèles d’étude, une algue verte unicellulaire microscopique du nom de Chlamydomonas. Sa structure simple est idéale pour mener nos recherches car elle est munie d’un seul chloroplaste. Cela permet d’explorer plus facilement les processus moléculaires de la photosynthèse », poursuit le biologiste.

Calcul des rendements photosynthétiques de différentes souches de microalgues par la mesure de la fluorescence de la chlorophylle © BIAM/CEA
Calcul des rendements photosynthétiques de différentes souches de microalgues par la mesure de la fluorescence de la chlorophylle © BIAM/CEA

L’un des axes de nos recherches, en particulier dans le cadre du projet PhotoRegul, porte sur l’une des protéines les plus complexes du chloroplaste, appelée le complexe cytochrome b6f (cyt b6f). Il joue un rôle central dans la régulation du transfert d'électrons et de protons au niveau du chloroplaste, et son action est donc primordiale dans toute la chaîne photosynthétique. De plus, le cyt b6f participe à l’optimisation du rendement de la photosynthèse par sa capacité à réguler la distribution de l’énergie entre PSI et PSII. Nous sommes loin de comprendre exactement comment cela fonctionne, mais nous soupçonnons le rôle central, dans la cascade moléculaire impliquant le cytochrome b6f, d’un composant appelé l’hème ci et sur lequel nous concentrons nos efforts scientifiques ».

Identifier des espèces végétales mieux adaptées au changement climatique
Les recherches fondamentales de pointe menées par l’équipe de Jean Alric, mettant à profit les plateformes technologiques du BIAM, visent avant tout à mieux comprendre les phénomènes très complexes mis en jeu par la photosynthèse. Mais les enjeux sociétaux, au-delà de l’amélioration des connaissances, sont considérables. Ainsi, on sait que les plantes n'utilisent qu'une petite partie de l'énergie lumineuse disponible, le reste étant dissipé sous forme de chaleur. « Le cytochrome b6f que nous avons choisi de cibler représente justement l'une des étapes limitantes de la photosynthèse, et il y a derrière cela un fort enjeu pour l'alimentation, l'énergie et les matières renouvelables », souligne Jean Alric. Tout l’enjeu est ainsi de mieux comprendre les mécanismes énergétiques sous-jacents à la productivité de biomasse pour augmenter le rendement des cultures. Voire en puisant, à l’avenir, dans le réservoir biologique presque infini de la diversité végétale existante pour y découvrir des espèces mieux adaptées que celles que nous cultivons actuellement.
La capacité de production photosynthétique est donc à réévaluer en particulier dans le contexte du changement climatique. L’équipe photosynthèse et environnement mène ainsi des programmes d’amélioration des plantes par croisement en essais contrôlés, ou en plein champ, portant sur différentes variétés d’orges, de maïs ou de tomates.

Tomates cerises cultivées en phytotron ©BIAM/CEA
Tomates cerises cultivées en phytotron ©BIAM/CEA

De manière plus inattendue, le transport du CO2 d'un milieu gazeux (atmosphère) à un milieu aqueux (cellule), mis en jeu dans la photosynthèse, est à rapprocher de certains processus physiologiques à l’œuvre chez les mammifères, comme celui de la respiration et des échanges gazeux au niveau des poumons, qui gèrent par des mécanismes biologiques similaires, les mêmes contraintes physiques.
Autre enjeu de taille pour une meilleure compréhension des mécanismes photosynthétiques : celui de quantifier très finement, et à l’échelle planétaire, le taux de fixation du CO2 atmosphérique par la photosynthèse. Cela permettrait d’exploiter de manière plus avancée les données actuellement obtenues par télédétection de la chlorophylle par satellite, faisant appel en particulier à la fluorescence induite par le soleil (SIF). Ces données sont utilisées dans les modèles globaux de productivité de biomasse primaire et de fixation photosynthétique du dioxyde de carbone. Au final, on aboutirait à une meilleure quantification de la fixation et du stockage par les plantes du CO2 émis en trop grande quantité par l’activité humaine dans l’atmosphère. Que ce soit au niveau moléculaire ou au niveau planétaire, la photosynthèse et ses effets sur la biosphère n’ont donc pas fini de captiver et d’interroger les scientifiques. Avec à la clé, non seulement une modélisation plus précise et une anticipation plus efficace des changements climatiques à venir, mais aussi l’ouverture vers des perspectives liées à la sécurité alimentaire.
 

 

Le BIAM, à la pointe de la recherche en biologie de l’environnement
Implanté sur la zone de la « Cité des Énergies » au CEA Cadarache, le BIAM est une unité mixte de recherche qui regroupe Aix-Marseille Université, le CNRS et le CEA. La mission de cet institut unique en Europe est de faire progresser les connaissances et proposer des solutions bio-technologiques pour répondre aux grands défis posés par la transition écologique et énergétique, par des approches durables de R&D. Trois grands axes de recherche sont ainsi étudiés :

  • de la photosynthèse aux bioénergies ;
  • réponses et acclimatation aux défis environnementaux ;
  • des principes du vivant aux biomolécules et biomatériaux.

Chacun de ces axes adresse des enjeux sociétaux majeurs comme le changement climatique, le cycle du carbone, la sécurité énergétique et alimentaire ou les biotechnologies pour la santé et l’environnement. Le BIAM regroupe 180 personnes issues de ses 3 tutelles, 24 nationalités et pilote 34 projets ANR. Il codirige également l’Institut de microbiologie, bioénergies et biotechnologie (IM2B) qui structure la recherche au niveau de l’écosystème régional.


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Ces recherches et cet article ont été financés en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR-Photoregul - AAPG 2018-2019. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle.
 

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