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Les CCP, une garantie contre toute nouvelle crise financière ?
14.09.2023, par Maxime Lerolle
Mis à jour le 14.09.2023

Comment éviter une crise équivalente à celle initiée par les subprimes ? Après celle-ci, le G20 fit la promotion des chambres de compensation (ou contreparties centrales). Une dizaine d’années après l’introduction de ces dernières, le projet FIRR a pu évaluer leur efficacité au sein du système financier international.

Suite à la crise des subprimes, la faillite de la banque états-unienne Lehman Brothers en septembre 2008 entraîna une crise économique mondiale. Pour prévenir toute nouvelle crise et rendre le système financier plus résilient, un train de mesures est annoncé un an plus tard au G20 de Pittsburgh. Elles visent à mieux contrôler le risque systémique créé par les transactions des produits dits dérivés (qui comprennent les marchés à terme et les subprimes) notamment en les rendant plus transparentes grâce à la collecte exhaustive de données et en les assurant par l’intermédiaire d’institutions appelées chambres de compensation (CCP).

Ce sont précisément ces nouvelles mesures, encore en cours de déploiement pour certaines, qui ont été l’objet d’étude du projet Infrastructure Financière : Risques et Régulation (FIRR), porté par Gabrielle Demange, économiste à l’EHESS et professeure à Paris School of Economics (PSE), membre du laboratoire Paris Jourdan Sciences Économiques1, et Guillaume Vuillemey, professeur associé en finance à HEC Paris.
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Les CCP ou la résilience partielle du système financier

L’équipe s’est particulièrement intéressée à l’un des dispositifs phares de ce train de réformes : les chambres de compensation (CCP), rendues obligatoires pour certains types d’actifs. En pratique, une CCP est une institution spécifique à un marché (de matières premières, de produits dérivés, etc.), composée de plusieurs membres, s’interposant entre deux transactions en collectant des garanties pour prévenir tout défaut de paiement, et le cas échéant se substituer à tout défaut de paiement. Mais, « contrairement à l’image qu’on se fait de la régulation financière, précise Guillaume Vuillemey, les CCP sont pour la plupart des entreprises privées qui offrent leurs services au marché ».

Une dizaine d’années après la promotion des CCP dans le système financier, l’équipe a pu mesurer leurs effets en s’appuyant sur des documents d’archives, en produisant des modèles théoriques ainsi qu’en s’appuyant sur les données de supervision rendues accessibles par Thibaut Piquard, économiste à la direction de la stabilité financière à la Banque de France, associé au projet.

Ces différentes approches amènent à tempérer l’efficacité des CCP, qui ont « à la fois du positif et du négatif » aux dires de Guillaume Vuillemey. Certes, l’augmentation significative des CCP rend a priori le système financier plus résilient. Les récentes crises du Covid-19 et de la guerre en Ukraine, dont la grande volatilité des prix fut relativement bien absorbée par les CCP, prouvèrent l’utilité de ces dernières. Cependant, plusieurs évènements, moins connus du grand public, en montrent les limites. En septembre 2018, Nasdaq Clearing AB, une CCP basée en Suède agissant sur le marché de l’électricité, se retrouva au bord de la faillite en raison du manque de surveillance de l’un de ses traders, dont les placements causèrent des pertes importantes à l’entreprise. Néanmoins, « ce qui est intéressant dans ce cas-là, nuance Gabrielle Demange, c’est le mécanisme mis en place. La CCP a fait appel à ses membres, parmi lesquelles des municipalités suédoises, qui contribuèrent de manière collaborative à la garantie du défaut de paiement ». Trois ans plus tard, Nasdaq Clearing AB se vit sanctionner par le régulateur suédois. En-dehors du champ des CCP, d’autres faillites mettent en lumière les surexpositions individuelles aux dérivés. En fait, comme le souligne Gabrielle Demange, les réformes entreprises visent à contrôler les risques liés aux échanges de dérivés sans pour autant toucher directement aux montants échangés, laissant la possibilité de prises de risque excessives.
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Un risque de faillite des CCP

Ce dernier exemple met également en lumière le rôle de la puissance publique. Bien que discrète, celle-ci n’est pas absente du nouveau paysage financier international, dont elle « fixe les règles du jeu », comme le dit Gabrielle Demange, mais sans elle-même collecter des garanties. L’Autorité européenne des marchés financiers (Esma) veille ainsi au bon respect des règles financières au niveau de l’Union européenne… ce qui n’empêche pas les conflits entre certains États et l’UE. Dans un souci de garder une part de souveraineté publique sur le marché financier, quelques pays membres de l’UE tiennent à conserver une CCP nationale, contestant de fait les prérogatives de l’Esma à l’échelle européenne. Ces litiges se sont particulièrement accrus depuis le Brexit, qui « pose des problèmes en matière de contrôle » selon Gabrielle Demange. En effet, dans la mesure où toutes les grandes banques européennes disposent de filiales à Londres, comment l’Esma peut-elle les contrôler depuis que le Royaume-Uni a quitté l’Union ? de même, comment peut-elle agir en cas de faillite d’une CCP basée à Londres dont les conséquences impacteraient tout le continent ? Pour prévenir tout accident de ce type, l’UE affiche clairement sa volonté de rapatrier le plus de transactions possibles vers les places financières européennes, sous le regard de l’Esma et des régulateurs nationaux.

Autant de controverses qui révèlent certaines fragilités des réformes. Pour les scientifiques, celle-ci tiennent entre autres à trois raisons. D’une part, le renforcement du rôle des grandes banques privées, qui disposent de sièges au sein des conseils d’administration des CCP et y jouent un rôle non-négligeable. D’autre part, les objectifs affichés en 2009 n’ont pas encore été atteints, notamment en matière de transparence du marché. Enfin, Gabrielle Demange note que l’objectif de transparence n’est que très partiellement atteint. Pour l’instant, les données collectées ne sont accessibles aux chercheurs que par l’intermédiaire d’organismes de supervision. En conséquence, les deux économistes se montrent prudents sur l’avenir des CCP, pour lesquelles les procédures à suivre en cas de faillite n’ont pas encore été éprouvées. Les faiblesses du système des CCP laissent songeur Guillaume Vuillemey, pour qui « seule la crise majeure d’une CCP permettra de tester la résilience des processus ».

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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR-FIRR-AAPG2018. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projets Science Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PPRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI-JCJ et PRC AAPG 18/19).

Notes
  • 1. Unité CNRS/École des Ponts ParisTech/EHESS/ENS – PSL/Inrae/Université Paris-I Panthéon-Sorbonne

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