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Les électrons sous l’œil de DESCARTES
05.09.2024, par Romain Loury
Mis à jour le 05.09.2024

Diviser pour conquérir… ou pour définir la structure électronique d’atomes et de molécules : tel est le pari du projet DESCARTES, mené à l’Institut Charles Gerhardt de Montpellier (ICGM). Des recherches qui ouvrent de nombreux champs d’application, de la physique des matériaux à la biologie, explique le chercheur Matthieu Saubanère.

« Diviser chacune des difficultés (…) en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les mieux résoudre ». Dans son ‘Discours de la méthode’, publié en 1637, René Descartes proposait une nouvelle approche de résolution d’un problème : le décomposer en fragments, puis résoudre ces parties de manière indépendante, et enfin regrouper les résultats pour aboutir à une solution globale. Quatre siècles plus tard, l’idée n’a rien perdu de sa fraîcheur. Exemple, en mécanique quantique, où elle sous-tend l’approche ‘diviser-conquérir’.

Petit rappel : chaque atome est composé d’un noyau chargé positivement, autour duquel gravitent les électrons, de charge négative, et dont le nombre est invariable pour chaque élément chimique. Ainsi, un atome d’hydrogène compte un seul électron, contre 6 pour un atome de carbone, 8 pour un atome d’oxygène, 92 pour un atome d’uranium. Groupements d’atomes associés par des liaisons chimiques, les molécules  et matériaux comptent des milliers, des millions, voire des milliards d’électrons.

Chercheur à l’Institut Charles Gerhardt Montpellier1, Matthieu Saubanère, maintenant au Laboratoire ondes et matière d’Aquitaine (LOMA, Talence, Gironde), s’emploie à trouver de nouveaux moyens pour étudier la structure électronique d’un système, qu’il s’agisse de molécules ou de matériaux. « La structure électronique, c’est le mot barbare pour décrire comment les électrons interagissent entre eux ou avec les noyaux, ou la manière dont ils s’organisent en liaisons chimiques au sein des molécules », rappelle-t-il. L’étude de cette structure, qui permet de mieux comprendre l’organisation des molécules, ouvre de vastes champs d’application, de la chimie à la physique de la matière condensée, en passant par l’étude du magnétisme et de la supraconductivité, avec pour applications ultimes la conception de matériaux ou de médicaments.

Une portée limitée à une quinzaine d’électrons

Déterminer la structure électronique d’un système constitue « un problème compliqué : c’est un peu comme le problème de Kepler, Terre-Lune-Soleil, mais avec des millions d’électrons », explique Matthieu Saubanère. « Chaque système est associé à une équation de Schrödinger , un fondement de la mécanique quantique. Si on résout cette équation, on a accès à toutes les propriétés du système résultant du mouvement des électrons ». Or à ce jour, il est techniquement impossible, faute d’ordinateurs assez puissants, de résoudre des équations de Schrödinger de structures/systèmes comportant plus d’une quinzaine d’électrons. En langage mathématique, « cela revient à ‘diagonaliser’ une matrice dont la taille croît exponentiellement avec le nombre d’électrons ».

Tel est donc l’objectif des approches ‘diviser-conquérir’ : « au lieu d’opérer le calcul sur l’intégralité du système, il s’agit de l’effectuer sur des parties indépendantes, puis de rassembler les résultats obtenus sur ces ‘fragments’ », explique Matthieu Saubanère. Cette stratégie a connu un nouvel essor en 2012, avec l’élaboration à l’université de Princeton (New Jersey) d’un algorithme, le DMET (Density Matrix Embedding Theory)2. Depuis, d’autres méthodes ont vu le jour. Parmi elles, celle élaborée par Matthieu Saubanère et ses collègues dans le cadre du projet DESCARTES, financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR).

Conformément à l’approche ‘diviser-conquérir’, l’algorithme permet de s’affranchir de la limite critique de la quinzaine d’électrons. Autre avantage, sa grande « modulabilité » : « il dispose d’un bon curseur coût-précision. Plus les fragments sont gros, plus le coût numérique sera important, mais notre analyse sera très précise, tout en restant limitée à la quinzaine d’électrons. Si on se penche sur de plus petits fragments, l’analyse sera certes moins précise, mais d’un moindre coût numérique ».

Autre possibilité, celle de mettre en lumière les régions d’un système que l’on souhaiterait analyser à plus haute définition. Exemple, les matériaux de l’électrode positive dans les batteries lithium-ion, notamment celles des véhicules électriques : « on peut centrer notre analyse sur l’atome du métal de transition (par exemple, le cobalt, le nickel, le fer ou le manganèse) et son proche environnement, pour observer l’insertion du lithium, là où se déroulent les réactions physicochimiques qui nous intéressent. En revanche, on mettra moins de précision sur les ligands », moins cruciaux dans la compréhension du fonctionnement de la batterie.

Adapter le logarithme aux ordinateurs quantiques

Prochain horizon, l’optimisation de l’algorithme en vue d’une utilisation sur ordinateur quantique, travail auquel s’est attelé un chercheur postdoctoral encadré par Matthieu Saubanère dans son nouveau laboratoire bordelais. Graal de la recherche informatique, l’ordinateur quantique se distingue par ses ‘qubits’, unités de stockage d’information dont l’état peut présenter une infinité de valeurs entre 0 et 1. A la différence de l’ordinateur classique, de logique binaire, et dont le bit ne peut être que de valeur 0 ou 1. Après les premiers calculateurs quantiques des années 1990, c’est en 2009 que des chercheurs de l’université Yale (Connecticut) ont élaboré un premier support physique, avec la création d’un processeur à transistors de 2 qubits. Depuis la recherche a connu un boom, avec des ordinateurs atteignant plusieurs centaines de qubits.

Véritable révolution informatique, l’ordinateur quantique devrait trouver de nombreuses applications, notamment dans l’intelligence artificielle, la cryptographie, ou encore la conception de médicaments et de matériaux… via l’analyse de structure électronique. « Notre algorithme ne dispose pas de limite théorique quant au nombre d’électrons d’une structure à analyser. Mais avec les ordinateurs quantiques, les fragments à analyser pourraient s’élever jusqu’à 1.000 électrons ». Avec ses collègues, Matthieu Saubanère a obtenu un financement auprès du Plan Quantique, programme de recherche lancé en janvier 2021 et copiloté par le CNRS, le CEA et l’Inria3.

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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre de l'ANR DESCARTES- AAPG2019. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Science Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI JCJC et PRC AAPG 18/19).

Notes
  • 1. ICGM - Unité CNRS / Université de Montpellier / Ecole nationale supérieure de chimie de Montpellier. Récemment installé à Bordeaux, Matthieu Saubanère exerce désormais au Laboratoire ondes et matière d’Aquitaine (LOMA - CNRS / Université de Bordeaux)
  • 2. Density matrix embedding: a simple alternative to dynamical mean-field theory, Knizia et Chan, J Chem Theory Comput. 2013 Mar 12;9(3):1428-32. doi: 10.1021/ct301044e
  • 3. CEA : Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives ; Inria : Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique

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