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Les forêts représentent le plus connu des deux poumons de la Terre. Le second, pourtant tout aussi vital, se niche dans les océans et les cours d’eau : les microalgues. Ces organismes microscopiques, véritables puits de carbone naturels, jouent un rôle déterminant dans la régulation du climat terrestre en captant le CO2 atmosphérique. Des travaux scientifiques récents lèvent le voile sur les rôles complexes, et jusqu'alors méconnus, de la photosynthèse chez ces végétaux aquatiques, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives prometteuses dans la lutte contre le réchauffement climatique et la quête de sources d'énergie alternatives.
Cultures de microalgues disposées sur un plateau agitateur pour obtenir des starters pour des cultures dans des bioréacteurs de contenance plus importante. © Jean-Claude Moschetti / GEPEA / CNRS Images
Les microalgues au microscope
Au cœur de ces avancées se trouvent les recherches du biologiste Dimitris Petroutsos, menées au Laboratoire de physiologie cellulaire et végétale de Grenoble (LPCV – UGA / CNRS / CEA / INRAE) dans le cadre du projet ANR MetaboLIGHT[1]. Elles ont conduit à la publication – en 2023 – de deux études majeures dans la revue Nature Communications, qui ont grandement fait évoluer l’état des connaissances sur les processus photosynthétiques. Les travaux des scientifiques ont notamment décrit le rôle central du CO2 dans l’activation transcriptionnelle de la photosynthèse des végétaux.
Le chercheur, que nous avons appelé dans son nouveau laboratoire à l’université d’Uppsula en Suède, souligne d’emblée l’importance capitale des microalgues pour la régulation du climat de la Terre : « les microalgues captent le CO2 de l’atmosphère et le convertissent en biomasse. [...]. 50 % de la photosynthèse globale provient de ces organismes que l’on retrouve dans les océans, les lacs et même les sols. » La photosynthèse à l’œuvre dans ces organismes consiste à convertir l’énergie lumineuse en énergie chimique sous forme de glucides. Ce processus se déroule dans les chloroplastes, situés à l’intérieur des cellules, là où réside la chlorophylle : le pigment qui donne la couleur verte aux végétaux.
Les scientifiques ont travaillé sur Chlamydomonas reinhardtii, une microalgue devenue un organisme de référence pour l’étude de la photosynthèse. Ils ont découvert que, pour survivre, ces végétaux font face à un double défi : ils doivent s’adapter à la disponibilité variable de la lumière et du CO2. « Or, rappelle Dimitris Petroutsos, bien que la lumière soit cruciale pour la photosynthèse, à haute dose elle peut aussi être toxique pour les cellules photosynthétiques. » Pour échapper à ce paradoxe, les microalgues disposent de deux mécanismes d’adaptation : le « Quenching of Energy » (qE) et le « CO2 Concentrating Mechanism » (CCM).
Une harmonie entre lumière et CO2
Le qE agit comme un bouclier photo-protecteur pour les microalgues, nous apprend le chercheur, grâce à « un mécanisme très ingénieux qui convertit l’excès d’énergie lumineuse – potentiellement toxique pour les cellules photosynthétiques – en chaleur. » Le CCM, quant à lui, permet à ces végétaux de prospérer même lorsque le CO2 est rare dans leur environnement. La découverte majeure de Dimitris Petroutsos et ses collègues réside dans l’interconnexion inattendue de ces deux mécanismes. « Nous avons notamment brisé le dogme selon lequel il faut de la lumière pour activer la photoprotection », souligne le biologiste. Pour y parvenir, les scientifiques ont réussi à reproduire l’activation des gènes de photoprotection (qE) et du mécanisme de concentration du CO2 (CCM) dans l’obscurité totale. Cette observation remet en question notre compréhension traditionnelle de la photosynthèse. Elle démontre notamment que les processus de qE et de CCM ne sont pas distincts, mais étroitement corégulés.
Dans un autre volet de leurs recherches, les scientifiques ont aussi découvert, grâce à la combinaison de l’approche génétique et de la modélisation mathématique (menée par le laboratoire de Zoran Nikoloski, à l’université de Potsdam en Allemagne), des régulateurs transcriptionnels communs aux mécanismes de qE et de CCM. Ces régulateurs sont des protéines qui contrôlent l’activation d’un gène en particulier. L’équipe de recherche a ainsi identifié CIA5 et LCR1, initialement connus pour leur rôle dans la concentration du CO2, mais qui s'avèrent également orchestrer la photoprotection. QER7, un facteur de transcription commun aux deux mécanismes et dont l’action est modulée par la lumière bleue a également été caractérisé.
Une augmentation de la respiration ou une diminution de la photosynthèse entraîne un taux élevé de CO2 intracellulaire, qui réprime les gènes CCM et qE en inactivant CIA5. L'exposition à la lumière forte augmente le taux de fixation du CO2, ce qui entraîne un appauvrissement en CO2 et l’activation de CIA5, qui active les gènes liés à qE et CCM. La voie CIA5-dépendante est indépendante de la lumière. La lumière a un impact sur l’expression des gènes qE et CCM par l’intermédiaire de la phototropine, qui agit comme un répresseur du facteur de transcription QER7 qui réprime à son tour les gènes CCM et qE. La voie PHOT-QER7 est indépendante de CIA5. © Dimitris Petroutsos
Un atout de plus pour l’environnement
En aboutissant à ce niveau de compréhension du métabolisme photosynthétique, les scientifiques ouvrent la voie au développement de souches d’algues plus performantes pour la capture du carbone atmosphérique. « Les microalgues elles-mêmes ne peuvent pas sauver le monde, prévient Dimitris Petroutsos, mais elles peuvent faire partie de la solution. Si nous comprenons précisément les mécanismes photosynthétiques, nous pourrons alors les manipuler génétiquement et imaginer des applications écologiques ! ». Parmi celles-ci : faire croître les algues plus rapidement, leur faire consommer plus de CO2 et optimiser le métabolisme algal pour produire de l’énergie. En effet, grâce à leur forte capacité à transformer la lumière en biomasse – bien supérieure à celle des plantes terrestres – les microalgues s'imposent comme une source prometteuse de biocarburants, d’autant plus que les scientifiques peuvent désormais optimiser leurs conditions de culture en laboratoire (quantité de lumière, de CO2...), voire les modifier génétiquement pour améliorer leur rendement.
La convergence entre biologie, génétique et modélisation mathématique, incarnée par les travaux de Dimitris Petroutsos et ses collègues, dessine les contours d'une approche novatrice dans notre quête de solutions pour lutter contre le changement climatique en cours. Les réponses aux grands défis de notre temps peuvent parfois se trouver dans les plus petites formes de vie.
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Ces recherches et cet article ont été financés tout ou partie par l’Agence nationale de la recherche.
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[1] Projet de recherche ANR MetaboLIGHT : Régularisation de la photosynthèse par la lumière et le métabolisme chez les algues (https://anr.fr/Projet-ANR-18-CE20-0006)
Références
- Ruiz-Sola, M.Á., Flori, S., Yuan, Y. et al. Light-independent regulation of algal photoprotection by CO2 availability. Nat Commun 14, 1977 (2023). https://doi.org/10.1038/s41467-023-37800-6
- Arend, M., Yuan, Y., Ruiz-Sola, M.Á. et al. Widening the landscape of transcriptional regulation of green algal photoprotection. Nat Commun 14, 2687 (2023). https://doi.org/10.1038/s41467-023-38183-4