A la une
Les progrès de la microscopie ont montré que, chez des patients souffrant de troubles neuropsychiatriques, certains récepteurs des synapses se retrouvent hors des voies de communication du cerveau. Une découverte qui ouvre des espoirs thérapeutiques.
De nos jours, les traitements des patients souffrant de troubles psychotiques, dont la schizophrénie, se heurtent à de grandes différences d’efficacité. Ces écarts soulignent que les causes et les mécanismes de ces pathologies restent encore mal compris, et très vraisemblablement différents d’un patient à l’autre. Que se passe-t-il donc dans le cerveau ?
« Avec mon équipe d’une vingtaine de chercheurs et d’ingénieurs, nous étudions le développement de la communication entre neurones, au niveau des synapses, explique Laurent Groc, directeur de recherche CNRS et directeur de l’Institut interdisciplinaire de neurosciences (IINS, CNRS/Univ. Bordeaux). Nous regardons à la fois comment les connexions entre les neurones et les synapses se forment à l’échelle moléculaire, et comment elles se dérèglent dans des maladies neuropsychiatriques. Selon l’hypothèse de travail la plus reprise à l’échelle mondiale, le dérèglement de la transmission synaptique est à la base de nombre de ces maladies. Mais comment les synapses, qui sont les zones de contact entre deux neurones, se dérèglent-elles ? »
Le frein et l’accélérateur
Laurent Groc explore, au sein des synapses, les récepteurs des neurotransmetteurs qui peuvent exciter ou inhiber les neurones de notre cerveau. Les neurotransmetteurs étant des molécules produites par les neurones pour transmettre une information à d’autres neurones. Principal excitateur, le glutamate est responsable de 80 % de la transmission synaptique. « À l’état physiologique, les récepteurs synaptiques entrent dans la synapse, passent l’information, puis en sortent, dans un balai dynamique qui a révolutionné notre compréhension de la communication synaptique, précise Laurent Groc. On sait, depuis longtemps, que des problèmes dans la transmission du glutamate affectent la plasticité cérébrale et sont liés à des pathologies telles que les psychoses. On ne comprend hélas pas encore comment cela fonctionne. »
La question est d’autant plus délicate que ces phénomènes ne sont pas contrôlés par une seule protéine, mais par toute une mosaïque de gènes et de molécules. La découverte en 2007, par le neurologue américano-espagnol Josep Dalmau, de l’encéphalite à autoanticorps dirigés contre le récepteur glutamatergique NMDA a cependant fourni un précieux outil d’étude aux chercheurs.
Des traitements qui peinent à se renouveler
Les patients atteints de cette encéphalite fabriquent des autoanticorps qui ciblent le récepteur NMDA1, provoquant des troubles psychotiques, des hallucinations, des crises d’épilepsie et des problèmes moteurs. Ces derniers peuvent aller jusqu’à nécessiter une mise sous respirateur ou une plongée dans le coma. Un traitement par immunothérapie guérit cependant les patients, qui ne rechutent que dans 10 % des cas.
« Cette pathologie nous a permis de comprendre, pour la première fois, que la dynamique des récepteurs NMDA était au cœur du dysfonctionnement de la synapse chez ces patients, poursuit Laurent Groc. Pendant des décennies, l’industrie pharmaceutique a investi des centaines de milliards de dollars pour moduler l’activité de ce récepteur. Sans grands résultats, au point que les patients psychotiques sont aujourd’hui encore traités avec des versions légèrement améliorées des molécules développées dans les années cinquante. Le problème n’était en fait pas l’activité du récepteur NMDA, mais sa localisation. »
Représentation des neurotransmetteurs le long des synapses. © Zoé Jamet et Laurent Groc
L’apport crucial de la microscopie
Avec des collègues comme Marion Leboyer, professeure à l’université Paris Est Créteil et praticienne hospitalière, et Jérôme Honnorat, professeur à l’université de Lyon et praticien hospitalier, Laurent Groc a découvert que jusqu’à 20 % des patients diagnostiqués avec une schizophrénie étaient positifs aux anticorps qui s’attaquent au récepteur NMDA. Ce lien entre maladie auto-immune et pathologie psychiatrique souligne que l’immunothérapie pourrait être bien plus utile aux patients que les solutions classiques. « Ces traitements existent déjà en routine dans les services hospitaliers, ils pourraient changer la vie de certains patients », affirme Laurent Groc.
Ces découvertes ont notamment été rendues possibles par les progrès de l’imagerie, comme avec la microscopie de super-résolution. Au cœur du prix Nobel de physique 2014, ces méthodes permettent d’observer des molécules isolées dans un tissu vivant. « Seuls quelques centres au monde, dont l’IINS à Bordeaux, possèdent l’expertise pour déployer ce type d’imagerie dans le réseau cérébral, souligne Laurent Groc. Nous marquons les récepteurs avec des molécules fluorescentes et nous les suivons en temps réels. Nous avons constaté que, contrairement à ce qui était admis, les récepteurs bougent beaucoup et que c’est primordial pour une communication synaptique efficace. »
Un récepteur en maraude
En présence des anticorps qui perturbent le récepteur NMDA, ce dernier n’est plus du tout capable de s’arrimer efficacement à une synapse pour un temps suffisant pour passer l’information. La microscopie à super-résolution est aussi utilisée par l’équipe de Laurent Groc afin d’étudier les dysfonctionnements de ce récepteur NMDA dans le pancréas et autres organes. Une exploration en cours au-delà du cerveau.
« Plus nous avançons et plus nous comprenons pourquoi les patients souffrants de troubles neuropsychiatriques forment une mosaïque de patients aux symptômes et aux réponses aux traitements variés, conclut Laurent Groc. Nous nous rapprochons ainsi de traitements plus personnalisés et efficaces : la psychiatrie de précision. »
--------------------
Ces recherches ont été financées en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet « Physiopathologie du récepteur glutamatergic NMDA chez les cellules pancréatiques et cérébrales : analyse multi-échelle – BetaNeuro ». Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projets Sciences Avec et Pour la Société – Culture Scientifique Technique et Industrielle.
- 1. N-méthyl-D-aspartate
Commentaires
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS