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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches bénéficient du label « Science avec et pour la société » du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
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MarmoBrain, ou le long chemin vers la construction d’un modèle animal
15.07.2024, par Augustin Aubert
Mis à jour le 15.07.2024

À Marseille, un projet porté par un consortium inédit permet de doter la recherche française d'un centre de référence pour l'étude du marmouset, en même temps que de lancer des défis scientifiques prometteurs.

Petit singe originaire d'Amérique du Sud, le ouistiti commun ou marmouset prend place depuis le milieu des années 2010 parmi les animaux d'intérêts pour les neurosciences. De par ses spécificités physiologiques, cognitives et sociales, il donne la possibilité de compléter et d'enrichir l'étude de certaines fonctions cérébrales. Ce qui amène les chercheurs à développer ce modèle animal pour avancer sur des questions scientifiques majeures. Par exemple la compréhension du vieillissement pathologique du cerveau, des fonctions cérébrales à l'œuvre dans notre coordination visuo-motrice ou encore dans nos interactions sociales.

En France, l'Institut des neurosciences de la Timone - INT (Aix-Marseille Université / CNRS) décide dès 2017 de développer un modèle marmouset. Une initiative qui ne va pas sans risque. Elle implique en effet de respecter de multiples exigences éthiques, scientifiques, réglementaires, financières, techniques et logistiques. C'est un travail considérable, qui peut prendre le pas sur d’autres projets, mettre du temps à donner des résultats et ralentir le rythme des publications. Mais, bien conscients de l'enjeu de compétitivité scientifique, les chercheurs de l'INT décident de se lancer.

D'autant qu'ils ne partent pas de zéro. Les équipes ont déjà mutualisé leurs expertises sur les modèles rongeurs et macaques. Et puis la stratégie scientifique de l’Institut, à la fois intégrative (des mécanismes moléculaires aux fonctions cognitives) et translationnelle (de la recherche fondamentale à la recherche clinique), facilite les coopérations. Tout le reste est à construire : animalerie, élevage, expertises, méthodes, outils spécifiques d’observations et de mesures…

L'importance du collectif

« On a réfléchi le modèle comme un projet de laboratoire, dans une dynamique collaborative. Le modèle marmouset est stratégique : faire le lien entre les fonctions visuelles, auditives, motrices, sociales, l’expression des gênes, c’est un enjeu des neurosciences. Chez le marmouset, ces fonctions ont le même type de convergences que chez l’Homme », raconte Frédéric Chavane, responsable du projet.

Des réunions hebdomadaires se mettent en place pour co-développer Marmobrain. Autour de la table, on retrouve plusieurs des sujets de l’INT et leurs équipes de recherche : les opérations neuronales au sein de cartes corticales visuelles (sous la direction de Frédéric Chavane), le contrôle moteur cognitif (Thomas Brochier), la cognition sociale et la connectomique (Eduardo Gascon), l’inférence et les comportements visuels (Guillaume Masson), les bases neurales de la communication (Pascal Belin).

 Sabrina Ravel – Eduardo Gascon – Thomas Brochier – Frédéric Chavane – Guillaume Masson.
De gauche à droite : Sabrina Ravel – Eduardo Gascon – Thomas Brochier – Frédéric Chavane – Guillaume Masson. © Fanny Thavot

La table s’agrandit encore pour accueillir des collaborations internationales, et un partenaire clé : le centre de primatologie de la Méditerranée – MPRC (Aix-Marseille Université / CNRS), une des rares structures en France et en Europe dédiée au soutien des travaux d'exploration fonctionnelle chez les primates non humain. Au total, plus d’une vingtaine de personnes sont mobilisées. L’INT assure l’expertise scientifique en contrôle comportemental, imagerie cérébrale, enregistrement électrophysiologique et outils moléculaires, le MPRC apporte l’ingénierie et l’accompagnement technique nécessaire à l'élevage des animaux, leur sélection et leur mise à disposition pour les projets de recherche.

Une mise en œuvre complexe

Plus de trois ans seront nécessaires pour installer les animaux et mettre en œuvre des défis scientifiques connectés les uns aux autres.
Le premier consiste à identifier, au sein des groupes de marmousets, des caractères liés à leurs comportements sociaux et compétences en communication, notamment la reconnaissance des visages et des voix. Des dispositifs d'apprentissage automatisés sont développés afin d'évaluer les performances de chaque individu dans diverses tâches cognitives et sociales. Un travail nécessaire aux défis qui suivent.
Le second vise à étudier in vivo et enregistrer en temps réel les réseaux neuronaux actifs dans la perception d’une trajectoire de mouvement ainsi que la reconnaissance des visages et des voix, chez des marmousets anesthésiés et éveillés, à plusieurs échelles (du neurone unique au cerveau entier) via des instruments micro (imagerie à deux photons), méso (imagerie optique et ECoG) et macroscopique (IRM).
Avec l’appui des données des deux premiers défis, le troisième se place dans le champ de l’épigénétique* des comportements sociaux et de communication.

Marmouset dans le dispositif expérimental en libre accès permettant d'interagir avec un écran tactile pour obtenir une récompense. La tâche proposée permettra d'étudier la flexibilité cognitive.
Marmouset dans le dispositif expérimental en libre accès permettant d’interagir avec un écran tactile pour obtenir une récompense. La tâche proposée ici permettra d’étudier la flexibilité cognitive. © Sabrina Ravel

« La mise en place du modèle a été complexe », reconnait Frédéric Chavane. « Pour la souris et le macaque, il y a désormais des décennies d’antécédents et des milliers d’articles. Pour le marmouset, on avait très peu de recul : quelques années et quelques dizaines de publications. On a progressé par essais-erreurs. Chaque défi a également nécessité des développements technologiques spécifiques. »

Des réussites et des suites

Les premiers résultats arrivent au bout de trois ans, en 2021. Une thèse sur les mécanismes comportementaux et neuronaux du traitement de la voix chez le marmouset est soumise en septembre 2023. Plusieurs publications sont en préparation ou en soumission.
« Le projet a engendré un réseau de coopérations et une dynamique de communauté, qui favorise les échanges, produit de nouvelles convergences et continue de s’élargir », se réjouit Frédéric Chavane. Deux conférences internationales dédiées au marmouset ont déjà été organisées autour de MarmoBrain. L’expertise développée inspire de nouveaux projets. Récemment retenu par l’ANR, Marmocatch étudie les dynamiques des réseaux corticaux visuomoteurs chez le marmouset pour la capture d'un objet réel en mouvement. « Comment l’animal est capable d’attraper cet objet qui tourne sur lui-même, quelle coordination entre système visuel et système moteur ? Cette question n’a jamais été posée. »
La réflexion est en cours sur le développement de modèles pathologiques pour se rapprocher de la recherche biomédicale. Les travaux fondamentaux engagés grâce à MarmoBrain pourraient demain déboucher sur de nouveaux traitements des maladies cérébrales, ou le développement d’interfaces homme-machine pour soigner la cécité ou des troubles moteurs.

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MarmoBrain et le bien-être animal

Les colonies de marmousets développée pour le projet comptent aujourd’hui 80 individus hébergés en différents groupes dans des unités du MPRC, spécialement aménagées pour leur permettre de reproduire leurs habitudes dans la nature et satisfaire leurs besoins.
Les zootechniciens assurent l'entretien quotidien des animaux, le nourrissage et le nettoyage. Leur mission consiste également à les observer pour détecter tout signe anormal, et en référer à la responsable de la Structure chargée du bien-être animal (SBEA) et au vétérinaire de l'unité.

Marmouset allongé sur une poutre, en position de détente.
Marmouset allongé sur une poutre, en position de détente. © Gircor

Chaque marmouset arrive dans la colonie par naissance, ou acquisition par couple dans un élevage agréé en France. Après un temps d’habituation à l’humain, l'individu est attribué à un projet. Il apprend des tâches (le plus souvent interactives sur écrans tactiles) sans aucune contrainte. La plupart des apprentissages sont liés à l’exploration fonctionnelle qui va suivre. Une fois l’animal devenu expert, les chercheurs relient le comportement acquis à l’activité cérébrale selon différentes échelles neuronales avec différents outils. Certains nécessitent une chirurgie pour placer les implants nécessaires aux mesures.
L'animal est ensuite replacé dans son lieu d'hébergement et pourra être sollicité de nouveau. Il peut aussi être replacé dans une autre structure de type retraite d’animaux. Ou mis à mort si le projet implique des prélèvements de tissus.
Ivan Balansard, vétérinaire du MPRC, réalise une visite clinique de toutes les colonies une fois par semaine. Chaque animal est suivi individuellement et dispose d'un livret de soins dans lequel figurent tous les évènements le concernant.
Toutes les recherches conduites dans le cadre de MarmoBrain (comme tout projet utilisant des animaux vertébrés), sont soumises à l’autorisation du ministère de la Recherche, après examen et avis favorable d’un comité d’éthique local agréé, conformément à la réglementation européenne. Chaque projet a l’obligation d’expliquer en détail les procédures effectuées sur l’animal, les mesures destinées à limiter les contraintes (stress, angoisse, douleur) et son devenir post-protocole, avec un résumé non-technique rendu public. La SBEA se réunit tous les quinze jours pour faire le point, ajuster ou stopper les protocoles si besoin. C'est un enjeu éthique et scientifique : un animal qui souffre ou stresse est un mauvais modèle expérimental. Comme le disait dès 1997 le chercheur Trevor Poole : « Happy animals make good science ».

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Ces recherches et cet article ont été financés en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR-Marmobrain - AAPG 2018. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle.

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