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Le marmouset, petit génie des neurosciences
11.07.2024, par Augustin Aubert
Mis à jour le 12.07.2024
L'étude de ce petit singe d’Amérique latine s'annonce décisive pour mieux comprendre les fonctions cérébrales en jeu dans le système visuel et auditif, le contrôle moteur, les interactions sociales… Les chercheurs marseillais de l'Institut de neurosciences de la Timone, parmi les premiers promoteurs en France du modèle marmouset, nous expliquent pourquoi.

Prenez une pomme. Lancez-la en l’air. Rattrapez-la. Le geste vous semble naturel… les interactions sensorimotrices qu’il implique sont pourtant complexes. Et beaucoup d’entre elles restent à découvrir. Comment votre système visuel a-t-il pu anticiper la trajectoire du fruit ? Comment cette information a-t-elle transité dans votre cerveau pour déclencher le mouvement au bon moment et dans les meilleures conditions possibles ? Ce sont quelques-unes des questions fondamentales que les neurosciences comptent éclaircir avec l’aide de Callithrix jacchus, le marmouset commun, plus connu sous le nom de « ouistiti ».

Etudier les marmousets (Callithrix jacchus) pourra permettre de mieux comprendre nos interactions sociales
Etudier les marmousets (Callithrix jacchus) pourra permettre de mieux comprendre nos interactions sociales © Sabrina Ravel

L’intérêt qu’il suscite chez les explorateurs du cerveau est assez récent. La première étude d’ampleur date de 2014. Une initiative scientifique réunit alors plusieurs équipes japonaises pour réaliser une cartographie complète des connectivités cérébrales de l’animal. La communauté prend alors conscience de son potentiel en tant que modèle de recherche fondamentale et biomédicale pour les neurosciences.

Un modèle de plus ? Est-ce bien nécessaire ?

 « Avant toute chose, il est important de savoir que beaucoup des processus neuronaux que l’on étudie ne peuvent pas l’être in vitro, ni sur des organoïdes, ou même chez l’humain avec des outils non invasifs. Ceux dont la communauté dispose n’ont pas la résolution temporelle et spatiale nécessaire. On travaille donc avec un modèle animal quand il n’y a aucune autre solution pour progresser dans la compréhension du système nerveux », expose Frédéric Chavane, directeur de recherche à l’Institut de neurosciences de la Timone – INT (Aix-Marseille Université / CNRS) et responsable du projet MarmoBrain qui a permis de créer un des premiers modèle marmouset en France pour la recherche translationnelle.

En neurosciences, les modèles le plus souvent sollicités sont les rongeurs et les primates non-humains (PNH). Certains travaux font intervenir des vers, des insectes ou des poissons. « Il faut choisir le bon modèle pour la question neuroscientifique posée », poursuit Frédéric Chavane. « Le rongeur, par exemple, n’est pas suffisamment pertinent si on travaille sur le système visuel. Le sien est trop éloigné du nôtre, à commencer par l’absence de fovea. Le système visuel du macaque et du marmouset, en revanche, est similaire à celui de l’humain, avec des performances équivalentes dans de nombreuses tâches. C’est un système visuel expert. » Sur ce sujet et sur d’autres, comme le contrôle moteur ou les interactions sociales, le modèle primate non-humain est d’évidence plus approprié pour comprendre les fondements neuronaux de nos fonctions cérébrales. Mais pourquoi stimuler le développement du modèle marmouset en France alors que les modèles macaque ou babouin existent déjà ?

« Le marmouset ne doublonne pas les modèles existants, il les complète », explique Thomas Brochier, directeur de recherche à l’INT et l’un des initiateurs de MarmoBrain. « Son cortex préfrontal très développé a beaucoup de similitudes neuro-anatomiques avec celui des humains. C’est un très bon intermédiaire entre le rongeur, très étudié pour la locomotion et la navigation spatiale par exemple, et le macaque, qui reste le modèle de prédilection pour des tâches fines impliquant la manipulation d’objets. Le marmouset, lui, est très bon pour toucher des cibles, ou capturer des objets en mouvement avec dextérité. La façon dont son cerveau exploite les informations visuelles pour contrôler le mouvement est proche de l’humain. C’est utile pour comprendre l’organisation des circuits cérébraux mis en jeu, la coordination entre traitement des informations visuelles et contrôle moteur. »

Les raisons de la passion

Caractéristique des primates non-humains, l'organisation neuro-anatomique du marmouset se rapproche de celle de l'humain par le nombre et le positionnement hiérarchique des aires motrices et sensorielles. Son cerveau diffère cependant du nôtre (et de celui d’autres primates) en ce qu’il est lissencéphale, c’est à dire dépourvu des plissements et sinuosités du cortex. La surface cérébrale est donc plus facilement accessible que celle du macaque. « Cela nous permet d’observer plus de choses dans l'activité cérébrale pour étudier les bases neurales du traitement de l'information au niveau cortical », ajoute Frédéric Chavane. « Mon équipe s’intéresse à la représentation du mouvement : comment un objet qui bouge dans le monde visuel est intégré par le système visuel. On a besoin d’avoir accès à des échelles précises, du micro au mésoscopique, pour savoir ce qui se passe entre les groupes de neurones qui représentent la trajectoire de l’objet. Avec le marmouset et les nouveaux outils d’imagerie actuelle, photonique notamment, on peut imager la dynamique corticale sur un sous-ensemble complet du flux cortical visuel. »

Schéma illustrant les cerveaux d’un macaque et d’un marmouset et les aires corticales visuelles. Chez le macaque certaines de ces aires sont dans les sillons. Chez le marmouset toutes les aires sont en surface et donc plus facilement accessibles.
Schéma illustrant les cerveaux d’un macaque (à gauche) et d’un marmouset (à droite) et les aires corticales visuelles (de V1 à V5). Chez le macaque les aires V3, V5 et partiellement V2 sont dans les sillons. Chez le marmouset toutes les aires sont en surface et donc plus facilement accessibles. © Frédéric Chavane

« L’originalité du marmouset, c’est aussi son organisation sociale », complète Sabrina Ravel, chargée de recherche à l’INT engagée dans le projet MarmoBrain et responsable de la structure du bien-être animal de l'institut. « Il vit en groupes familiaux structurés autour d'un couple reproducteur, et présente des interactions sociales nombreuses et complexes, avec notamment de la coopération et de l’entraide autour de la progéniture, une communication riche avec un répertoire varié de vocalises… Le modèle est donc intéressant, par exemple pour étudier comment la famille joue un rôle dans l’attribution du statut social, quels rôles jouent la vision et l’audition dans cette structuration, comment le statut social d’un animal va influencer ses capacités cognitives et son adaptation à l’environnement changeant, les réseaux corticaux à l’œuvre pour reconnaître une personne, l’émotion, le besoin d’autrui… »

Les marmousets ont besoin de vivre avec leurs congénères. Ils forment des familles d'une quinzaine d'individus.
Les marmousets ont besoin de vivre avec leurs congénères. Ils forment des familles d'une quinzaine d'individus. © GIRCOR

Autre point d’intérêt scientifique : le développement postnatal rapide de l’espèce. Un macaque a besoin de 5 à 8 années pour atteindre l’âge adulte. Pour un marmouset, c’est 12 mois, avec des capacités cognitives comparables. Un avantage certain pour l'étude de la maturation, de la plasticité ou du vieillissement pathologique du cerveau. Le marmouset, c’est enfin l'un des plus petits primates au monde : adulte, il mesure 15 cm et pèse 350 g. « Cela permet de lui offrir en laboratoire des conditions d'hébergement se rapprochant au mieux des besoins de son espèce, en allant au-delà de ce qu'impose la réglementation pourtant très exigeante », indique Ivan Balansard, vétérinaire au centre de primatologie de la Méditerranée – MPRC (Aix-Marseille Université / CNRS).

Voilà qui explique l’adoption du marmouset par la communauté neuroscientifique, et le développement d’un modèle optimisé par de nouveaux outils de recherche dans l'objectif d'adresser des questions encore irrésolues. Mais pour pouvoir utiliser ce modèle, il faut le construire… Et ce n’est pas simple, comme le montre l'histoire du projet MarmoBrain.

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Ces recherches et cet article ont été financés en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR-Marmobrain - AAPG 2018. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle.

 

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